Etranglée par son mari en octobre dernier, Alexia Daval est l'une des dizaines de femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2017. Aucune donnée ne permet aujourd'hui de quantifier exactement ces meurtres souvent qualifiés à tort de « crimes passionnels ».
Les aveux de Jonathann Daval, mardi 30 janvier, trois mois après avoir tué sa femme, Alexia, ont jeté une lumière crue sur les dizaines de femmes tuées chaque année par leur conjoint ou ex. Des dizaines. Mais combien exactement ?
88, selon les derniers chiffres révélés en septembre 2017, mais portant sur l'année 2015, si l'on se fie à la fiche publiée par l'ONDRP, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Cet organisme, lui-même département de l'INHESJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice), placé sous la tutelle du Premier ministre, a recensé les femmes victimes d'homicides conjugaux. 88 femmes, soit 30,8% des 286 tuées de l'année 2015 (hors attentats), auraient été victimes de leur partenaire ou ancien partenaire. Pour recevoir la qualification de « conjugal », l'homicide doit s'inscrire dans l'une des trois relations listées en bas de page : mariage ; Pacs ; union libre. Assimilée au concubinage, l'union libre est définie par l'Insee comme « une union de fait, stable et continue entre deux personnes ». Au bout de combien de rencards la relation est-elle considérée comme « stable » ?
Et les « non officielles » ? Une lycéenne tombée sous les coups de son petit copain de terminale ? Une femme plantée par son amant ? Reléguées dans la catégories « autres », celles tuées sans lien intime avec leur meurtrier. Pour ces recalées des tableaux statistiques, à l'horreur de la mort s'ajoute l'affront de voir le lien avec leur bourreau effacé. Dans la fiche « Flash crim » de l'ONDRP, elles ne seront jamais victimes de celui qui prétendait les aimer, ou l'a prétendu un temps.
Corrélations mais pas régressions
Alice Lapeyre a rédigé ladite fiche à l'occasion d'un stage. Etudiante en économie et statistiques, elle fait preuve d'un intérêt plus que limité pour le sujet : « On reçoit tout type de bases de données par l'Insee. J'ai choisi ce thème, voilà ». Son enquête relève d'importantes disparités entre zones urbaines et monde rural. En 2015, 49 % des femmes tuées à la campagne ont été victimes de leur conjoint ou ex, contre 30 % dans les villes (10 % à Paris). Est-ce à dire que le couple est plus dangereux à la campagne ? Ou est-ce parce que le cadre conjugal est plus stable à mesure que l'on s'éloigne des villes ? « On observe des corrélations sans qu'il y ait forcément des régressions », évite Alice Lapeyre. Comme un flottement dans les réponses de l'étudiante, dont la mission s'est résumée à une compilation brute de données. Et qui sont loin d'être exhaustives.
La page Facebook du collectif « Féminicides par compagnons ou ex » signale un nombre de meurtres conjugaux bien supérieur à celui de l'ONDRP. Trois femmes se relaient pour y recenser l'ensemble des affaires évoquées par la presse. En 2017, leur compteur tragique s'est arrêté à 120. 114e : Alexia Daval. Davantage que les chiffres collectés par l'ONDRP. « Et encore, notre liste ne représente absolument rien, alerte Brigitte, administratrice de la page ce jeudi 1er février. Ce n'est qu'un minimum. Il faut déjà que les journaux en parlent. Et quand ils ne font pas le lien entre la victime et son meurtrier, on passe à côté. »
Daval, « un type lamentablement ordinaire »
A rebours des critères choisis par les organismes publics, le collectif ne restreint pas son analyse aux couples « officiels ». « On considère qu'il faut une relation suivie pour qualifier un meurtre de féminicide, précise Brigitte. Le sexe tarifé n'est par exemple pas comptabilisé. Même si on a fait une exception l'an passé pour une relation habituelle. »
Le collectif « Féminicides par compagnons ou ex » appelle à un « changement de paradigme », à en finir avec un système où « les hommes sont des prédateurs pour les femmes », avec cet ancien monde où « Daval n'est pas un monstre, mais un type ordinaire. Banalement ordinaire ».
Une relance maladroite évoquant la « vulnérabilité » des femmes vaut à l'impétrant une réponse cinglante. « Je vous arrête tout de suite. Vous raisonnez en dominant. Sans le vouloir, vous en avez intégré le système de pensée. Les femmes ne sont pas plus faibles. Elles sont victimes d'un travail de sape à l'intérieur du couple. »
Pour en finir avec les féminicides, le collectif préconise un « changement multifactoriel de la société » et dessine quelques pistes : réforme du système judiciaire, création de pôles chargés des violences dans chaque département, fin du tout carcéral, promotion de centres de rééducation et d'écoles de la paternité.
La discussion prend fin. Brigitte doit raccrocher pour ajouter « la 10e de l'année ». « Une femme flinguée sur le pas de sa porte par son ex. Imparable. » Comme le hashtag qui ponctue le message sur le réseau social : #TerrorismePatriarcal.
Corentin Lesueur
Photo : Denis Bocquet (Flickr)