Se faire suivre, interpeller ou fixer du regard... Une femme sur deux aurait vécu ces situations dans les transports en commun, selon les conclusions d'une étude nationale. Dans le tramway strasbourgeois, elles racontent.
« En tant que femme, dans le tram, le métro ou le train, t'es pas à l'aise. Si un mec te regarde, tu te fais des films. » Elise est assise avec ses amies sur la banquette du tramway en direction de la gare de Strasbourg. Cette bande de cinq copines en jeans basket est originaire de Mulhouse. Face à face sur les banquettes, du haut de leur vingtaine, elles racontent à tour de rôle leurs expériences dans les transports. Hajra, la plus jeune et discrète du groupe, assume les appels systématiques de ses parents. Avant, pendant et après être montée dans le tramway. Elle décroche à chaque fois, « ça rassure ».
Les regards insistants, Ceira choisit de les affronter. « Ça m'arrive surtout le soir. Si je lâche pas le mec du regard, il finit par baisser les yeux. » Les anecdotes filent sur les lèvres de ces jeunes-filles mais elles n'ont jamais « rien vu ou subi de grave ». Pourtant, elles restent sur leur garde. Elles ont vu des vidéos sur Youtube de jeunes filles racontant leur agression. « Ça fait peur », commente Elise.
Arrêt Université. Des dizaines d'étudiantes attendent sur le quai après leur dernier cours. Parmi elles, Laura et Sandra, âgées de 23 et 22 ans. Ce n'est pas un hasard si ces deux étudiantes en langues portent aujourd'hui un pantalon et des baskets, « je fais gaffe à ne pas mettre des trucs trop courts ni des talons quand je prends les transports », admet Laura. Pour elle et son amie, il s'agit de ne surtout pas attirer le regard. « Il suffit de porter une jupe pour se sentir observée, ajoute Sandra. Je n'en portais plus du tout au collège. Je commence seulement à en remettre. »
Têtes baissées, regards évités
Ne pas croiser le regard des autres, garder les yeux rivés sur son téléphone, s'installer près du chauffeur avec des écouteurs enfoncés dans les oreilles, c'est la routine. Les deux filles ont opté pour ce modus operandi après s'être fait suivre à plusieurs reprises. Au moment d'aborder les faits, Laura et Sandra soufflent. Elles s'en accommodent, cela fait désormais partie de leur quotidien. Elles relatent la même histoire avant de sauter dans le tramway : « un mec m'a repérée dans le tram et ne m'a plus lâché ensuite. Une fois sortie du tram, cela a duré une dizaine de minutes, enchaine Sandra. J'ai téléphoné à quelqu'un en parlant fort et en accélérant le pas. Il a fini par abandonner. » Cette mésaventure s'est renouvelée plusieurs fois. Laura se souvient également d'une après-midi où un homme est entré dans le tramway et lui a fait la bise contre son gré. Porter plainte ? « Ça sert à rien ». Ne connaissant pas l'identité des « suiveurs » et les caméras étant peu utilisées, Laura et Sandra se sont résignées au silence. Les portes du tramway se ferment sur les visages penchés au-dessus des portables. Etre suivie à la sortie du tramway, c'est un récit qui revient souvent dans la bouche des jeunes femmes rencontrées cet après-midi-là.
Les images de vidéosurveillance de la CTS peuvent être prélevées sur réquisition de la Police et de la Justice à condition qu'une instruction judiciaire soit ouverte. Ces cinq dernières années, le nombre de prélèvements a été multiplié par deux. Mais pour Romane Weill-Rossi, présidente de l'association « Osez le féminisme 67 », le problème est insolvable, à l'instar du harcèlement de rue. « Aujourd'hui, on peut porter plainte contre X, contre quelqu'un qu'on ne reverra jamais, souligne-t-elle. Mais il faudrait avoir un policier sous la main pour pouvoir le faire et constater le flagrant délit. »
Sur les rails du Neuhof, les discours varient avec les générations. Passé la quarantaine, le sentiment d'insécurité semble s'être évanoui. Michelle, 53 ans, habite le quartier et ne comprend pas ce sentiment d'être en danger. D'ailleurs, elle n'a jamais vécu ou remarqué quelconque incivilité dans les transports. Selon Michelle, la nouvelle génération ne communique pas et le problème est là. « Les jeunes portent des écouteurs et prennent peur quand on leur parle, c'est ça, leurs relations, remarque-t-elle. Les garçons veulent juste peut-être faire connaissance et les filles ont peur. » Elle s'interrompt, descend du tramway cabas à la main. Elle semble perdue dans ses pensées et finit par confier sur le quai qu'elle-même adopte un comportement différent le soir. « C'est automatique en fait. Je ne laisse pas transparaitre la peur si je vois des gens un peu louches monter dans ma rame. Je ne me crispe pas, il faut rester normal, ajoute-t-elle. Mais ça n'arrive que le soir. »
Diane Sprimont