Ce mardi 30 janvier, les syndicats appellent à une journée nationale de mobilisation du personnel des Ehpads, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Ils dénoncent de mauvaises conditions de travail qu'ils imputent à un manque d'effectif et de moyens. Reportage dans une Ehpad de Strasbourg.
« Il y a deux semaines, on était au bord de la crise de nerf. Une résidente malade s'est mise à crier. On aurait aimé pouvoir passer plus de deux minutes avec elle pour la rassurer, mais c'était impossible. On a en permanence la pression pour que tout soit finit en temps et en heure », raconte Céline, infirmière à l’Ehpad Les Mélèzes dans le quartier du Neudorf. Elle est sa collègue Charline participent à la journée de mobilisation nationale du personnel d’Ehpad ce mardi 30 janvier.
Il est 14 heures quand elles quittent leur poste pour laisser place à deux autres infirmières. Pendant cette demi-journée, elles ont fait le tour des chambres, soigné les résidents un par un, appliqué les pansements, administré les médicaments et planifié les rendez-vous avec les médecins lorsque nécessaire. Pour arriver à voir chacune des 76 personnes agées qu'accueille l'établissement, elles ne peuvent pas s'attarder. « On fait un passage express de deux à cinq minutes par chambre. On ne peut pas faire plus », déplore Charline. Elles passent juste après leurs collègues aides-soignantes qui, elles aussi pressées par le temps, consacrent maximum un quart d'heure à la toilette de chaque résident. « Le principal problème, c’est le manque de personnel », estime Céline.
Les patients pâtissent bien évidemment de cette situation, récurrente dans les maisons de retraite médicalisées. Monique, 67 ans, est l'une des résidentes des Mélèzes. Handicapée suite à un AVC, elle doit faire appel au personnel de l'Ehpad pour ses gestes quotidiens. « J'attends souvent une demi-heure avant qu'une aide-soignante vienne m'aider. » Pour pallier au manque de personnel, la sexagénaire fait appel à son fils qui lui rend visite presque quotidiennement.
Les patients dépendants, comme Monique, sont de plus en plus nombreux. C'est le constat que font les professionnels du secteur, comme Marion. Depuis cinq ans qu'elle exerce en maison de retraite, cette kinésithérapeute a observé des changements dans le profil des résidents. « Aujourd'hui, avec le vieillissement de la population, tout est fait pour maintenir les personnes âgées à domicile le plus longtemps possible. Résultat, quand elles arrivent en Ehpad, elles sont très dépendantes ». Cette dépendance croissante nécessite des soins spécifiques et coordonnés, et donc davantage de personnel. « Si rien n'est fait pour répondre à cette demande, la situation déjà critique ne pourra que se dégrader », prévient Marion.
Le taux d'absentéisme le plus élevé du secteur
Le climat au sein des Ehpad est tendu. Aussi bien pour les résidents que pour le personnel, ce qui contribue à l'absentéisme de ces derniers. Selon une communication parlementaire rendue publique en septembre dernier, le taux d'absentéisme dans les Ehpad est de 10 % en moyenne, le plus élevé dans le domaine de la santé. Ce même document fait état d'une chute des candidatures à l'obtention du diplôme d'aide-soignant allant jusqu'à 30 %. Une situation que les syndicats imputent à une trop faible rémunération. Et non à un problème de management, contrairement à ce qu'a laissé entendre la Ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn à l'automne.
La ministre a pourtant accordé une enveloppe supplémentaire de 50 millions d'euros aux agences régionales de santé pour une répartition au cas par cas, en fonction des difficultés des Ehpad. Mais les syndicats réclament un traitement égal pour tous les Ehpad. « Nous voulons débloquer de l'argent pour tous les Ehpad et pas seulement en fonction des besoins les plus urgents, car tous les établissements en ont besoin », insiste Sandrine Cnockeart du syndicat SUD.
L'autre revendication-phare de l'intersyndicale (FO, CGT, CFDT, UNSA, CFTC, CFE-CGC et SUD) à l'origine de l'appel à la grève, c'est l'augmentation des effectifs, « condition sinequanone pour une meilleure prise en charge des résidents », juge Sandrine Cnockaert. « Actuellement, les Ehpad fonctionnent en moyenne avec une aide-soignante pour 18 résidents. C'est loin de l'objectif un-pour-un pourtant déjà fixé dans le Plan solidarité grand âge en 2007 », déplore-t-elle.
Les directeurs d'Ehpad ont manifesté leur soutien à la grève du 30 janvier par la voix de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Un rassemblement est notamment attendu devant le ministère de la santé. Les syndicats espèrent être reçus par Emmanuel Macron pour lui faire part de leurs revendications.
Wyloën Munhoz-Boilot