Le Grand Est n'a pas attendu le reste de la France pour voter Front National. En 2002, 2816 communes, sur les 5254 que compte la région, placent Jean-Marie Le Pen en tête du scrutin lors du premier tour. Le phénomène s'accentue en 2017, où le FN atteint de nouveau le second tour. Cette fois, Marine Le Pen arrive en pôle position dans 3872 communes.
Une région culturellement et historiquement ancrée à droite
Les raisons du succès du Front National dans le Grand-Est, et particulièrement en Alsace, sont en premier lieu historiques. Richard Kleinschmager, géographe et professeur émérite à l'Université de Strasbourg, a déterminé quatre facteurs clefs pour comprendre l'implantation profonde de la droite dans le Grand-Est :
La classe ouvrière, moteur du vote FN
Le vote Front national était en 2002 et reste en 2017 un vote porté par les ouvriers et les employés. Un vote qui, selon Bernard Schwengler, docteur en science politique, est "l'expression politique de la contestation sociale de ces classes". C'est un vote populaire. Le seul vote populaire étant donné la faiblesse du Parti communiste et de la gauche en général dans le Grand Est.
Cette forte structuration ouvrière du Front national dans la région explique l'autre phénomène qui se dégage de la lecture de la première carte : la ruralité du vote FN. En effet, le Grand Est en général et l'Alsace en particulier, ne sont pas un territoire à dominante agricole, même si certains départements de Champagne font exception. Dans les zones rurales, les ouvriers sont ainsi plus nombreux que les agriculteurs. Phénomène qui s'est accentué ces dernières années. N'ayant pas les moyens de vivre dans les grandes villes ni même dans leur périphérie, cette catégorie professionnelle se rabat dans les campagnes. Alors que chez les agriculteurs, le Front national fait traditionnellement des scores faibles (voir graphique ci-dessous), la présence en masse d'ouvriers dans les campagnes explique qu'aujourd'hui celles-ci mettent souvent le FN en tête lors des élections présidentielles.
Cette forte structuration ouvrière du Front national s'illustre aussi dans les grandes villes. Le FN arrive en tête en 2002 et en 2017 dans douze grandes villes (communes où l'on dénombre plus de 10 000 inscrits sur les liste électorales). Or, celles-ci sont pour la plupart des villes dites « ouvrières » et en crise : Forbach, Wittenheim, Saint-Dizier, Charleville-Mézières, Sedan…
Mais, même si le FN y arrive en tête, le score qu'il fait reste inférieur au score départemental. En 2017, dans le département des Ardennes, le score de Marine Le Pen était de 32,41 %, alors qu'à Charleville-Mézières son score était inférieur de 8 points. Il y a un réel « effet ville » concernant le vote FN. Avec une population en moyenne plus diplômée et moins ouvrière, les grandes villes sont moins concernées par ce vote.
Mulhouse, cas à part
Dans le groupe des villes marquées par le FN, Mulhouse est un cas intéressant. L'ancienne « Manchester française » est marquée par un passé ouvrier qui vit encore à travers l’industrie automobile ou spatiale. Cet héritage se retrouve aussi au niveau social, avec un taux de pauvreté parmi les plus élevés de France métropolitaine selon l’Observatoire des inégalités (31%). Dans cette ville, le taux d'abstention aux différentes élections a toujours été plus élevé que la moyenne nationale (30,43 % d'abstention au premier tour de l'élection présidentielle de 2017). Mulhouse détient toutes les caractéristiques sociologiques d'une grande ville ouvrière. Pourtant alors que le parti frontiste était arrivé en tête lors du premier tour de la présidentielle de 2002, son score à la présidentielle 2017 a été inférieur, en nombre de voix et part d'électeurs.
Fief traditionnel de la gauche, Mulhouse est devenu un bastion du lepénisme au début des années 1980. Grâce au travail de terrain réalisé par les élus FN locaux, le Front national a réussi à s'implanter dans cette partie du Haut-Rhin, une anomalie pour le parti qui pendant longtemps n'a pas eu d'ancrage local. En 1986, les électeurs de Mulhouse envoient un député frontiste, Gérard Freulet, à l'Assemblée Nationale, grâce notamment aux votes du canton nord.
Le score de 2017 peut donc paraître surprenant. Marine Le Pen arrive derrière François Fillon et Jean-Luc Mélenchon. Richard Kleinschmager l'explique par « le culte alsacien pour les personnalités fortes et charismatiques » : l'attrait pour le candidat de la France Insoumise viendrait du statut de tribun et de défenseur des classes populaires qu'il s'est construit.
Jean-Luc Mélenchon a fondé sa campagne sur la contestation sociale, à travers des objectifs comme la transition écologique et la lutte contre la désindustrialisation. Ces thèmes ont trouvé un important écho dans le Grand Est, frappé de plein fouet par les délocalisations et concerné par plusieurs grands projets environnementaux contestés.
Kévin Brancaleoni, Franziska Gromann, Tanguy Lyonnet, Sophie Motte, Victor Noiret, Paul Salin, Margaux Tertre.