Les mesures de déradicalisation des djihadistes en France ont échoué, l’État doit "changer de concept". C'est le bilan d'étape dressé par une mission sénatoriale, publié dans un rapport mercredi 22 février.
Distribution du Coran par des salafistes. Ce mouvement religieux de l'islam est souvent mis en lien avec la radicalisation de certains jeunes. Crédit : CC by Metropolico.org
"C'est un fiasco complet, tout est à repenser, tout est à reconstruire", a déclaré le président de la commission des Lois du Sénat, Philippe Bas, à propos de la politique de contrôle et de prévention de la radicalisation islamiste. Dans leur rapport provisoire, les sénatrices Esther Benbassa (Ecologiste, Val-de-Marne) et Catherine Troendlé (Les Républicains, Haut-Rhin), dénoncent la multiplication des plans d'action après les attentats et leur manque d'efficacité. Un échec dû à la "hâte" avec laquelle les programmes de déradicalisation ont été pensés et mis en place, a précisé le Sénat dans un communiqué de presse mercredi 22 février.
Le centre de Pontourny vide
Le centre de déradicalisation de Pontourny (Indre-et-Loire), le premier et le seul en France, inquiète notamment les deux sénatrices. Dans cette ancienne bâtisse, les radicalisés sont suivis par des psychologues, des éducateurs et des aumôniers musulmans. En théorie, l'équipe doit construire un projet de réinsertion familiale et professionnelle avec les ex-djihadistes. Mais depuis le départ du dernier pensionnaire début février 2017, il n'accueille plus personne. Aucun d'eux n'y est d'ailleurs resté plus de cinq mois. Créé au lendemain des attentats terroristes de 2015, ce centre peut accueillir 25 personnes en voie de radicalisation. Depuis son ouverture en juillet 2016, il n'a reçu que neuf volontaires, comme le précise le rapport provisoire. Autre polémique : un des anciens pensionnaires a été interpellé par les forces de l'ordre à Strasbourg en janvier 2017, lors d'une permission de sortie. Il a été mis en examen avec d'autres personnes pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste".
La mission sénatoriale doute fortement de l'utilité de ce centre, notamment car l’État ne peut imposer aux personnes d'y faire un séjour. "Le volontariat sur lequel repose le programme crée sa fragilité intrinsèque", écrivent-elles dans leur rapport provisoire. Elles dénoncent des "départs anticipés" de personnes à déradicaliser, "avant le terme du programme, rendant le suivi aléatoire et dépendant de la bonne volonté de la personne".
Un véritable "business" pour les associations
Esther Benbassa, co-présidente de la mission d'information, déplore aussi le développement d'un véritable "business de la radicalisation" pour les associations. En France, elles géreraient plus de 2200 cas. "Malgré leur bonne volonté, plusieurs associations, recherchant des financements publics en période de pénurie budgétaire, se sont tournées sans réelle expérience vers le secteur de la déradicalisation", a précisé la sénatrice écologiste (Val-et-Marne) devant la commission des Lois du Sénat mardi 21 février.
Autre problème : la gestion des personnes attirées par l'idéologie salafiste dans les prisons, qui sont des lieux importants de radicalisation islamiste selon le rapport. Pour lutter contre ce phénomène, l’État a créé des unités spéciales dans cinq prisons françaises afin de regrouper et isoler les personnes radicalisées des autres détenus. Une expérience pour l'instant peu "concluante", selon les sénatrices. Le ministère de la justice a désormais décidé de remplacer ses unités spéciales par six "quartiers d'évaluation de la radicalisation" dans lesquels 120 détenus pourront être accueillis pendant 4 mois.
Un numéro utile pour aider aux volontaires et leur proches
Même si elles dressent un tableau assez noir de la capacité de la France à gérer les apprentis djihadistes, les deux sénatrices relèvent quand même quelques points positifs. Parmis ceux-ci, le numéro d'appel d'urgence mis en place par le ministère de l'intérieur qui permet de signaler aux autorités des comportements suspects. Suite à cette démarche, 1 200 jeunes ont été "suivis au titre de la déradicalisation".
Créée au printemps 2016, la mission d'information sénatoriale Désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en France et en Europe est censée analyser l'efficacité des mesures politiques de déradicalisation, qui sont effectives depuis 2014. Le rapport publié mercredi est un rapport provisoire, le rapport d'étape définitif devrait être publié au cours de la semaine suivante. Le rapport définitif de la mission sénatoriale est quant à lui attendu pour juillet 2017.
Anna Manceron, Benoît Collet