Malik Oussékine, Rémi Fraisse ou plus proche géographiquement, Hocine Bouras, ils sont plusieurs à être mort après avoir croisé des forces de l'ordre. Violences policières pour les uns, violence institutionnelle légitime pour les autres, décryptage sur cette question aussi embarrassante que secrète.
crédit infographie Acat
109 personnes mortes de leur rencontre avec les forces de l'ordre entre 2004 et 2014 d'après le site Bastamag, qui recense tous les cas sur une liste exhaustive. Sur les cinq dernières années, au moins une personne est morte chaque mois en France. Ces chiffres édifiants ne veulent pas dire que les policiers sont responsables à chaque fois, mais révèlent un usage de la violence érigé en règle d'or. L'Acat, l'Association chrétienne pour l'abolition de la torture, experte sur cette question, a étudié 89 cas de violences policières entre 2005 et 2015 (26 décès, 29 blessures irréversibles et 22 blessures graves). L'enquête réalisée s'appuie principalement sur ces deux sources.
Chaque année, 250 usages d'arme à feu par les forces de l'ordre sont décomptés dans l'Hexagone. Cette pratique ne peut s'effectuer qu'en dernier recours, dans des cas extrêmes et est encadrée par deux principes juridiques : la légitime défense et l'état de nécessité. Plus généralement, l'usage de la force, « la violence légitime de l'Etat », chère à Max Weber, doit être proportionnée et nécessaire. En d'autres termes, un policier, gendarme... ne peut répondre à un jet de pierre par un tir d'arme à feu et ne peut pas par exemple se venger d'un coup reçu 10 minutes avant. Son geste doit être nécessaire, justifié. Dans le feu de l'action, il est parfois difficile de respecter ces règles qui sont pourtant la condition sine qua non pour faire usage de la force.
La mise en cause des policiers sur les cas recensés n'est pas systématique, mais le manque évident de transparence de la part de l'institution renforce cette méfiance. « Il n'y a pas de chiffres et une grande opacité sur les sanctions disciplinaires ou judiciaires faites à l'encontre de policiers. On ne connaît pas non plus le nombre de morts ou de blessés dans ces circonstances », explique Pierre Motin qui travaille à Acat. Seules les associations comme la sienne essayent d'établir des recensements de ces violences. «Nous demandons aussi le décompte des utilisations de flashball qui tous les ans blessent grièvement des citoyens», ajoute-t-il. Plus de transparence permettrait de lutter contre les amalgames, légion sur les forces de l'ordre.
Armes non-létales et impunité
L'usage des armes non-létales est moins encadré par la loi. Il y a moins de limitations dans son utilisation et son usage est devenu quotidien. La police a donc des moyens légaux de blesser et la nouvelle règlementation française n'impose plus de distance minimale de tir. De plus, les zones corporelles de tir ont été étendues. En dix ans, ces « armes à létalité réduites », selon les nouveaux termes consacrés, ont fait un mort et 39 blessés graves dont 21 éborgnés. La moitié des victimes ont moins de 25 ans et 30% sont mineurs. C'est le cas de Nassuir Oili, enfant de 9 ans éborgné par un tir de flashball sur une plage de Mayotte. L'auteur du tir a été condamné à deux ans avec sursis, sans pour autant inscrire cette condamnation à son casier judiciaire. Le gendarme peut donc continuer son activité. Plus grave encore, son administration ne la punit que par un blâme.
crédit infographie Acat
C'est cette impunité et le manque de sanctions internes que dénonce l'Acat. Sur 89 cas étudiés par l'association, sept ont débouché sur des condamnations et un à de la prison ferme. « Déjà, c'est le parcours du combattant pour les victimes de violences policières. Les refus de plainte sont nombreux, les parquets sont réticents à poursuivre les policiers... On ne veut pas faire de tort aux forces de l'ordre, elles ne sont pas toutes coupables, mais on demande qu'elles soient responsables devant la loi comme tout le monde », résume Pierre Motin.
Une complaisance de la justice auprès des forces de l'ordre que le membre de l'Acat explique par les relations étroites que ces deux institutions entretiennent. « Ils n'ont pas de droits exorbitants, mais leur parole est plus écoutée, plus crédible devant les tribunaux, car la justice travaille au quotidien avec les forces de l'ordre et a une confiance excessive dans l'institution policière », poursuit Pierre Motin.
Nombre d'associations de vigilance citoyenne demandent l'usage de caméras embarquées sur les forces de l'ordre, car la vidéo est souvent une preuve irréfutable. L'image est aussi plus chargée en émotion que les autres supports. L'affaire du lycéen de Bergson, frappé durant les manifestations anti-Loi travail, en est l'exemple parfait. Sans cette vidéo, jamais les forces de l'ordre n'auraient été condamnées.