14 mars 2019
Après plusieurs années de négociations, l’Union européenne vient d’adopter une directive sur l’accessibilité des personnes handicapées aux services et produits. Le texte final, centré sur le numérique, ne satisfait que partiellement les eurodéputés et associations.
Retirer de l'argent, acheter un billet de train ou encore commander un livre électronique... Ces tâches simples peuvent s'avérer être de véritables obstacles dans la vie quotidienne des 80 millions d’Européens handicapés. Pour répondre à leurs besoins spécifiques, le Parlement a adopté une nouvelle directive, mercredi 13 mars. Appelée “directive relative aux exigences en matière d'accessibilité applicables aux produits et services”, elle harmonise les règles au sein de l’Union européenne. Mais cette terminologie peut être trompeuse. « Il aurait été plus juste de l’appeler Acte sur l’accessibilité au numérique ! », précise l’eurodéputée slovaque Olga Sehnalová (S&D, sociaux démocrates). Parmi les services et produits concernés, on trouve les ordinateurs, les télévisions ou encore les distributeurs automatiques de billets, autrement dit « des produits clés qui ont été modifiés par la numérisation », explique Ádám Kósa (PPE, chrétiens démocrates), premier député sourd au Parlement.
Des négociations difficiles
L’eurodéputé hongrois poursuit : « Il ne faut pas que les personnes handicapées s’adaptent à l’environnement, il faut adapter l’environnement aux personnes handicapées. » Considérant qu’elles sont souvent confrontées à des obstacles qui entravent leurs activités, la directive tend à améliorer leur vie quotidienne en proposant des services et produits plus accessibles. Il s’agit, entre autres, d’adapter les terminaux grand public ou encore les smartphones, distributeurs de titres de transport et services bancaires.
Quatre années de négociations entre le Parlement et les Etats membres ont été nécessaires pour trouver un compromis. Un premier vote des eurodéputés en 2017, puis trois trilogues entre la Commission, le Conseil et le Parlement, ont entraîné des modifications considérables du texte initial, présenté en 2015. « Tout ce qui concerne la vie quotidienne de la personne en situation de handicap a été mis de côté », regrette Farbod Khansari, conseiller Politiques européennes et internationales à APF France handicap. La question des transports, de l’environnement bâti ou encore des appareils ménagers a été rayée, tout comme les actions proposées par les micro-entreprises. Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité à APF France handicap, cite deux raisons principales : « Il y a forcément eu un travail de lobbying de la part de grosses entreprises et des confédérations. Les Etats membres ont aussi estimé que certaines approches pouvaient entraîner des contraintes et des coûts supplémentaires. »
Certaines associations regrettent que l'environnement bâti ne soit pas pris en compte dans la directive. © Clément Gauvin
Le Parlement souhaite que toutes les personnes handicapées bénéficient de la révolution numérique. © Clément Gauvin
Un résultat en demi-teinte
Farbod Khansari relève plusieurs incohérences dans la version finale du texte. Il prend l’exemple des distributeurs de billets : « Ils doivent obligatoirement être accessibles aux personnes en fauteuil roulant, mais ce n’est pas le cas de l’entrée des agences, car le bâti n’est pas concerné. C’est une situation paradoxale. »
Au Parlement, nombreux sont les députés qui dénoncent des résultats moins ambitieux que prévus. « Nous aurions pu en faire plus, notamment sur les délais d’application qui sont trop longs ou les conditions sur l’accès à l’environnement bâti », a admis, durant le débat dans l’hémicycle, l’Italien Nicola Danti (S&D, sociaux démocrates). Selon son homologue belge Helga Stevens (ECR, souverainistes), le résultat n’est pas suffisant si l’on compare la situation à celle des États-Unis, où la loi ADA (“American with Disabilities Act”), adoptée en 1990, protège les Américains contre les discriminations liées au handicap, que ce soit en matière d’emploi, de transport, de services publics ou encore de télécommunications. « Ce sont aussi les entreprises privées qui doivent agir, et cette approche fait défaut en Europe », déplore la députée.
Même s’il comporte des lacunes, ce texte est considéré par la majorité des députés comme une étape fondamentale pour les droits des handicapés au sein de l’Union européenne. « D’autres catégories de personnes à mobilité réduite pourront aussi bénéficier de cette directive », se félicite Olga Sehnalová (S&D, sociaux démocrates). Certains députés appellent les États membres à suivre la dynamique européenne en faveur d’une meilleure insertion des personnes handicapées dans la société. « Ce n’est pas la fin de nos efforts, nous continuerons sur la voie de la levée des obstacles en travaillant avec les États membres », affirme la Slovaque Jana Žitňanská (ECR, souverainistes). Alors que le premier pas a été fait par le Parlement européen, il reste maintenant aux États membres à appliquer la directive européenne. Ils ont six ans pour le faire.
Laurie Correia et Clément Gauvin