Le module est validé, il peut être inséré dans un article pour être consulté par les internautes.
Une importance qui se remarque au quotidien à Cluj : des chapelets accrochés aux rétroviseurs aux signes de croix effectués dans le bus à chaque passage devant une église. Sans compter la foule qui s’agglutine de l’intérieur à la sortie des dizaines d’édifices orthodoxes lors des messes dominicales.
Qui la voit se tortiller sur son banc, le dos voûté, la mâchoire serrée, a l’impression d’assister au cruel spectacle d’un poisson hors de l’eau : à l’ombre du centre culturel de Puiești où elle attend son tour, Stefania, 21 ans, tantôt se lève puis se rassoit, plante ses coudes dans ses genoux, ou croise les bras. « Ça fait six mois qu’elle a très mal au niveau de sa poitrine, souffle sa maman. La faute à des nodules, apparemment… On a très peur que ça soit un cancer. Si c’est ça, je ne sais pas trop ce qu’on fera. » Et de trancher, les doigts dressés vers le ciel : « À la fin, de toute façon, c’est Lui qui décidera. »
Si mère et fille ont parcouru le chemin en carriole jusqu’au centre culturel ce matin-là, c’est pour que cette dernière voie un médecin… quasiment le premier depuis qu’elle a vu le jour. « C’est malheureusement comme ça que ça fonctionne ici, explique Alexandra Stelian, médecin généraliste. Demandez à tous ceux qui sont là : la plupart d’entre eux ne sauront pas vous dire à quand remonte leur dernière visite chez le toubib. »
Faute de moyens, un renoncement aux soins
Depuis deux ans, cette salariée du premier opérateur médical privé de Roumanie, MedLife, sillonne une fois par mois les régions les plus pauvres du pays à bord d’une caravane flanquée du logo de son employeur. L’initiative, financée par le géant médical roumain et les dons philanthropiques, vise à prodiguer les soins de base à une population totalement coupée du système de santé. Le tout, sans financement de la part de l’État, qui peine à trouver une solution adaptée pour endiguer le fléau.
À Puiești, localité rurale située à moins de 100 km de la République de Moldavie, dans l’est du pays, la plupart des gens vivent grâce à la récolte de leurs cultures, sans revenus fixes. À l’instar de 20 % des Roumains, peu d’habitants de ce coin reculé des Balkans bénéficient d’une assurance-maladie, pré-requis pourtant essentiel pour consulter gratuitement un médecin. « La dernière fois que j’ai été chez le docteur, c’était pour l’appendicite. J’avais 13 ans », se souvient Octavian, 74 ans aujourd’hui. C’est parce qu’il ressentait une brûlure au niveau de l’estomac, « comme du feu » qu’il a pu s’inscrire en priorité sur la liste des patients vus ce jour-là par le Dr Stelian. « Ici, les gens attendent le plus souvent de se retrouver dans une situation d’urgence pour appeler le médecin, explique Mariana, médiatrice sanitaire employée par la mairie. Passé un certain âge, certains ne prennent même plus la peine de prendre le téléphone pour appeler les urgences : à la place, ils attendent seuls chez eux que la mort vienne les prendre. »
En Moldavie roumaine, faute d’assurance-maladie ou de moyen de transport adapté, nombreux sont les habitants des campagnes à ne plus se faire soigner. Une situation critique, aggravée par l’exode des derniers médecins de campagne vers les grandes villes.
Lorsqu’on passe la frontière de Sighetu Marmației, par le pont de la Tisza qui relie l’Ukraine et la Roumanie, une ribambelle de peluches orne la balustrade. Les enfants qui ont fui la guerre voisine avec leur famille en ont bien besoin. Une fois la passerelle franchie, de grandes tentes blanches se dressent devant eux. À l'intérieur, des produits de première nécessité et des conseils juridiques sont offerts aux réfugiés. Dès leur arrivée, les Ukrainiens doivent indiquer s'ils veulent rester en Roumanie ou partir. Il leur faut s’enregistrer pour pouvoir bénéficier de la protection temporaire mise en place par les États membres de l’Union européenne.
Au fond d’une des tentes blanches, un tableau passe presque inaperçu. Il porte l’inscription «Jobs for Ukraine». Juste en dessous, une liste avec une vingtaine d’offres d’emploi. À Sighetu Marmației, ville de 40 000 habitants, une dizaine d’entreprises ont ouvert des postes. Le magasin Lidl cherche un ou une vendeuse, niveau d’étude exigé : l’école primaire. L’hôtel Buti, dans le centre-ville, recrute un ou une réceptionniste. Des ouvriers en bâtiments et couturiers sont aussi recherchés. Mais Alexandra Bota, bénévole au poste frontière, l’assure : « Le travail ? Ce n’est pas la première chose à laquelle pensent la plupart des Ukrainiens lorsqu’ils arrivent.»
Alors que le gouvernement a simplifié l'embauche des réfugiés, des entreprises peinent à recruter. Certains Ukrainiens sont dans la nécessité de trouver du travail, d’autres ne souhaitent pas subir de déclassement social et préfèrent attendre que la situation de leur pays s’améliore.