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« Quand c’est des gens comme vous et moi, c’est plus pesant », admet Chloé. Au cours de sa scolarité, l’infirmière berrichonne a effectué un stage aux urgences, troisième service déclarant le plus de violences à l’échelle nationale en 2021 selon l’ONVS, après la psychiatrie et la gériatrie. « Je vais donner un exemple banal : je faisais des soins dans un box à l’écart et un autre patient est entré, impatient. Je lui ai demandé de sortir et il m’a insultée, puis est allé se plaindre de moi à mes collègues. »
Les insultes et menaces sont devenues quotidiennes aux urgences selon Florent Cretin, responsable CFDT aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et ancien personnel hospitalier. Chargé de la collecte des déchets, il est « beaucoup, beaucoup intervenu dans les milieux de santé ». « Aux urgences, ça démarre par une grosse animosité. Les gens pensent être pris en charge immédiatement à leur arrivée, que ça va être rapide. » Mais les délais sont parfois longs et incertains, provoquant colère et impatience. « Aux urgences pédiatriques de Hautepierre, des parents avaient fini par briser la vitre en verre sécurisé du poste d’accueil », se souvient Florent.
Un problème systémique
« Les urgences ont un rôle particulier de coordinateur entre la médecine de ville et la médecine hospitalière », avance Déborah Ridel. La sociologue et chercheuse à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique de Rennes est l’autrice d'une thèse sur la violence subie par les soignants aux urgences.
Elle poursuit : « Elles sont prises en étau entre ces deux entités, qui sont elles-mêmes en souffrance. Un patient n’est jamais agressif pour rien. C’est la résultante d’un processus : inquiétude générée par la situation, coup de fil au généraliste qui se passe mal, renvoi vers un généraliste à l’arrivée aux urgences,… » Un problème systémique donc, aux conséquences très réelles sur les soignants.
Sans verve ni verbe, Agnès Firmin Le Bodo se fend d’un message laconique sur Twitter : « Lancement ce jour de la concertation nationale sur les violences faites aux professionnels de santé avec leurs représentants. » La ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé honore jeudi 16 février une promesse faite à l’automne.
Elle suivait la parution du rapport 2022 de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS), qui recensait alors 24.562 professionnels victimes d’agression physique ou verbale en 2021. Dans une enquête Odoxa également parue à l’automne, ils étaient 37 % des personnels de santé interrogés à déclarer être « souvent » confrontés à l’agressivité physique de certains patients.
« 37 % ? Franchement ça ne m’étonne pas, je m’attendais à plus », répond du tac au tac Chloé, infirmière dans un établissement médical privé de l’Indre. La soignante de 23 ans travaille aujourd’hui dans un service plutôt épargné par la violence des patients, bien qu’il n’en soit pas exempt. « La semaine dernière encore, un patient dément a voulu lever la main sur moi. Il souhaitait bouger son bras alors que c’était dangereux pour lui. Je lui ai interdit et il m’a serré très très fort le poignet. »
Des patients souffrant de troubles psychiques dans 20 % des cas
Dans les soins hospitaliers, une partie de la violence provient de patients souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques (TPN). C’est en moyenne 20 % des atteintes aux personnes recensées en 2021 par l’ONVS. Sabine, aide-soignante au centre hospitalier de Molsheim, se souvient de cette patiente âgée qui l’a mordue à la poitrine alors qu’elle l’installait dans son fauteuil roulant. « Sur le moment, j’ai eu mal, et puis c’est véridique : elle avait 100 ans et encore ses vraies dents ! » La professionnelle de santé en rit de bon cœur aujourd’hui. Comme Chloé, elle excuse plus facilement ces violences « non volontaires ».
Le syndicats et manifestants strasbourgeois ont repris le pavé jeudi 16 février, pour cette cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Avec un nouveau motif de mécontentement, qui vient s’ajouter à longue liste de doléances qui les opposent au gouvernement : la polémique récente autour des 1200 euros de pension minimum, promise par le l’exécutif et critiquée de toutes parts.
Dans les faits, le gouvernement entend agir sur le dispositif appelé minimum contributif (« mico » en abrégé) qui garantit aux petites retraites une pension minimum. La réforme doit rehausser ce mico de base ainsi que le « minimum contributif majoré » qui s’y ajoute en complémentaire, pour atteindre le vieil objectif de la loi de 2003. Celle-ci accordait à un salarié « un montant total de pension [...] au moins égal à 85% du smic ». Objectif qui n’a jamais réellement été atteint depuis.
Trop peu de bénéficiaires
Au sein du cortège strasbourgeois, sous les drapeaux et les fumigènes, lorsqu’on fait mention de ce « minimum de pension » promis par le gouvernement, le constat est sans appel : « il y a très, très peu de retraités qui vont bénéficier de ces 1200 euros », tempête Claudine, retraitée de la fonction publique aux cheveux grisonnants et grandes lunettes rondes. « Il faut avoir eu une carrière complète, au smic, à temps plein, donc ça ne concerne presque personne. Alors qu’ils ont dit que tout le monde allait l’avoir ! »
Dans ses dernières prises de parole, l’exécutif, par la voix de la Première ministre Elisabeth Borne, avait en effet laissé entendre que tous les retraités seraient concernés par cette hausse. Une déclaration qui a depuis été contestée par des économistes (l’intervention de Michael Zemmour au micro de Léa Salamé sur France Inter a abondamment été reprise par les réseaux sociaux et l’opposition) et plusieurs médias.
Pour bénéficier de la mesure, il faudrait avoir une carrière complète, le nombre requis de trimestres cotisés et une pension de base inférieure à 847 euros. Des caractéristiques qui ne concernent qu’une partie réduite des retraités actuels et retraités à venir. « On se sent arnaqués, le gouvernement se moque du monde », renchérit Claudine. Ils ont balancé cette histoire de 1200 euros en espérant qu’on n’aille pas chercher plus loin et qu’on les croie sur parole. Ils se moquent des gens ! »
Entre imprécisions et incompréhensions
La complexité de la mesure, associée à la communication évasive et imprécise du gouvernement, a déchainé les foudres de l’opposition, au Parlement comme dans la rue. Les voix qui s’élèvent pour la critiquer fustigent le flou entretenu, consciemment ou non, par l’exécutif autour des détails de la réforme. « C’est une fumisterie. Quand on décortique un peu, qu’on creuse un peu derrière, on se rend compte que c’est quelque chose qui est complètement vague, y’a rien », déplore Lucienne, en tête de cortège avec l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA).
La mesure devrait néanmoins profiter à d’autres salariés, qui n’étaient jusque-là pas concernés par la loi de 2003. C’est notamment le cas de ceux aux carrières hachées, qui devraient bénéficier de la hausse du mico et donc voir leurs pensions augmenter – sans toutefois s’approcher des 1200 bruts promis par l’exécutif.
Chez les manifestants, cette distinction ne change pas grand-chose aux sentiments qu’on voue au gouvernement. Pour les métallurgistes membres de la CGT, en cœur de cortège, « c’est une cale, comme on dit dans le milieu. Ça ne vaut rien. » Cette histoire de 1200 euros n’est qu’une raison de plus de continuer à pousser pour le retrait de la réforme.
Isalia Stieffatre
Imaginez un quartier, où tous les services essentiels – écoles, hôpitaux, magasins, parcs – se situeraient à moins de 15 minutes de marche ou de vélo de votre domicile. C’est le principe de la « ville du quart d’heure », un concept théorisé par Carlos Moreno, professeur à la Sorbonne, et adopté par de nombreuses métropoles, dont Paris, dans l’optique de leur développement futur.
Un peu plus au nord, Oxford, son université, ses rues pavées et ses bouchons. Un problème récurrent que souhaite régler l’administration du comté d’Oxfordshire en limitant le trafic automobile dans la ville. Et une mesure que l’autorité ne pouvait sûrement pas s’imaginer devoir défendre face à des conspirationnistes convaincus tant à l’échelle locale qu’internationale.
Acharnement sur la « ville du quart d’heure »
Le lancement par l’administration du comté d’Oxfordshire, fin août 2022, d’une consultation d’un mois et demi pour préparer l’expérimentation de six régulateurs de trafics – des caméras capables de scanner les plaques d’immatriculation – n’a d’abord pas semblé faire de remous. L’idée derrière cette mesure-test, attendue en 2024 : restreindre l’usage de la voiture en ville aux trajets vraiment nécessaires pour privilégier un report vers le réseau de bus, le vélo et la marche et ainsi désengorger les axes embouteillés du centre.
Sauf que le choix des autorités de diviser la ville en différents secteurs, le contrôle automatisé via des caméras et la nécessité d’un permis pour circuler en voiture dans d’autres zones que celle où l’on habite aux heures de bureau ont alimenté les spéculations. Presse locale, sites conspirationnistes, anonymes complotistes sur les réseaux sociaux, chacun prend sa part.
L'article de la discorde
C’est un article du Oxford Mail, un tabloïd local, qui lance la machine le 24 octobre 2022. On y retrouve l’idée – via une citation déformée – d’un « plan controversé mis en place que les gens le veuillent ou non » et déjà une confusion avec l’idée de « ville du quart d’heure », objet d’une proposition à plus long terme pour la région d’Oxford.
C’est sur ce concept que vont se concentrer les attaques complotistes les plus véhémentes. Notamment celles d’un article publié sur le site conspirationniste anglophone Vision News – et identifié par l’AFP – le 30 novembre 2022, un jour après l’annonce d’une expérimentation effective des régulateurs de trafic par les autorités locales.
Cet article lance un festival de fausses informations. Les restrictions de circulation deviennent un « confinement climatique », les caméras des « portes électroniques », la ville du quart d’heure une « prison des 15 minutes ». Le tout empaqueté dans un complot qui aurait été fomenté par les « communistes au pouvoir ». L’article, vu plus de 87.000 fois rien que sur le site, fait l’objet d’un démenti formel des autorités locales dès le 7 décembre.
Contagion du monde anglo-saxon
L’emballement complotiste est malheureusement déjà lancé. Dès le 6 décembre, des relais influents se mettent en place dans le monde anglo-saxon, souvent via Twitter. Nigel Farage, fer de lance de la campagne pour le Brexit avec son parti UKIP et suivi par 1,7 million de personnes, partage un article sur une mesure similaire à Canterbury et reprend cette idée de « confinement climatique ».
Puis c’est au tour d’une organisation complotiste britannique de s’en emparer. « Not Our Future », créée courant 2022, publie un message sur son canal Telegram le 7 décembre en appelant à une action à Oxford début janvier 2023. Leur credo ? Les habitants d’Oxford vont devenir des « cobayes » qu’il conviendrait « d’informer ». Pour cela, l’organisation a décidé de décliner ce message en tracts à distribuer, reprenant au passage toutes les fausses informations diffusées jusque-là. Actuellement, elle vise d’autres villes britanniques souhaitant mettre en place une telle mesure.
Au-delà d’une simple résonance au Royaume-Uni, la diffusion des fausses informations s’élargit également rapidement aux États-Unis et à l’Australie par l’intermédiaire de journalistes de chaînes d’info en continu conservatrices, comme Fox News et Sky News. À chaque fois avec une référence plus ou moins directe à l’article de Vision News.
Par ailleurs, ce supposé complot essaime via la publication de contenus au Canada. Le 31 décembre, relève le Guardian, un psychologue canadien aux 3,8 millions d’abonnés et connu pour son discours ultraconservateur, publie plusieurs messages sur Twitter, repartagés près de 1900 fois. En épinglant au passage les instances internationales comme le réseau des villes C40, le Forum économique mondial ou les Nations Unies, cibles classiques des conspirationnistes. Le Forum économique mondial est d’ailleurs de nouveau visé dans une vidéo postée sur Facebook par un autre complotiste canadien, le même jour, comme le souligne l’AFP.
Enfin, l’intervention du député conservateur britannique Nick Fletcher à la Chambre des communes et sur Twitter (près de 700 repartages) le 9 février a permis à la parole conspirationniste sur la « ville du quart d’heure » d’infuser encore un peu plus le discours ambiant – jusqu’à récemment atteindre la France via le site complotiste d’extrême droite Résistance républicaine. La multiplication de vidéos TikTok et groupes Facebook à ce sujet témoignent d’ailleurs d’un débat déformé à l’absurde, bien loin d’une simple affaire de politique locale.
Nils Hollenstein
Édité par Luise Mösle
La ministre Agnès Firmin Le Bodo a annoncé jeudi le lancement d’une concertation sur la violence dont sont victimes certains soignants de la part de patients. Sur le terrain, le personnel pointe un manque de moyens à l’hôpital.
La ville d’Oxford (Royaume-Uni) a annoncé l’expérimentation en 2024 d’une mesure visant à réduire les embouteillages et privilégier les mobilités douces. En l’espace de quelques jours, des conspirationnistes l’ont reprise à leur compte dans un récit déformé et hors de contrôle.
Vivement critiquée dans les médias et au Parlement, la promesse dans la loi du gouvernement de rehausser les petites pensions à 1200 euros fait grincer des dents jusque dans la rue.