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© Liza Hervy-Marquer

Offre sportive de la Canardière. © Marie Starecki et Lison Zimmer

La sectorisation scolaire de la Meinau. © Arthur Guillamo et Kenza Lalouni

“Quand j’ai acheté, tout le monde me traitait de fou”, sourit-il. Initialement, il souhaite juste y installer son entreprise. Mais face aux importants coûts d’entretien, il aménage des espaces à louer.

Aujourd’hui, le Junkers, “c’est un tiers d’associations et deux tiers d’entreprises”, explique Alain Kiffel, qui pense que les locataires viennent avant tout pour l’histoire du lieu. “Tous les jours, on passe par une porte en fonte qui fait cinq tonnes. C’est dingue, ça n’a pas bougé !”, s’extasie Paola Guigou, fondatrice de l’association M33. Studio d'enregistrement, société de BTP, torréfacteur, cabinet d’architecte, divers secteurs s’y côtoient.

Dans ce paysage éclectique, le collectif d’artistes M33 regroupe depuis neuf ans photographes, vidéastes, musiciens, peintres, graveurs, plasticienne textile. “Ce qui nous a plu, c’est l'acoustique que l’endroit crée, grâce aux briques alvéolaires pensées pour absorber le son des moteurs allemands”, détaille Paola Guigou.

Alain Kiffel souhaite continuer à faire vivre le Junkers. Depuis vingt ans, l’édifice est en perpétuelle réhabilitation, encadrée par l’architecte des bâtiments de France. La seule contrainte est de garder les murs intacts. “Ce bâtiment, c’est un emblème de Strasbourg, une fierté pour moi”, confie Alain Kiffel.

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Comparaison des équipements de l'avenue de Colmar côté est, avant et après les travaux de 2025. © Élodie Niclass

Lors de l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne en 1940, les locaux d’Emile Mathis sont réquisitionnés. Le constructeur aéronautique Junkers transforme les lignes d’assemblage pour fabriquer des avions de guerre. En 1941, il élève deux bâtiments, dont le Junkers, destinés à accueillir des bancs d’essais de moteurs d’avions. 

La mémoire dans les briques

Parti aux Etats-Unis au début de la guerre, Emile Mathis fournit les plans de ses locaux aux Alliés qui bombardent le site en 1944. À la Libération, l’entrepreneur engage un plan de reconstruction. Mais sans aides de l’Etat, les dettes le poussent à vendre ses usines à Citroën en 1956.

En parallèle, l’Arsenal de l’aéronautique, en charge des avions de l’armée française, investit le Junkers jusqu’en 1951. En 1978, une entreprise de location d'engins de travaux publics en devient propriétaire pour s’en servir d'entrepôt.

Le Junkers intègre l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1993. Son frère jumeau jamais achevé connaît, quant à lui, un sort plus funeste puisqu’il est rasé en novembre 1995. Attiré par l’histoire du bâtiment, Alain Kiffel, entrepreneur dans le gros œuvre, en devient propriétaire en 2000.

Éducateur spécialisé, médiateur et coach de boxe, Hamed Ouanoufi est une référence pour les adolescents de la Canardière. Natif du quartier, il s’est donné pour objectif de garder la jeunesse sur le bon chemin.

"Regarde ce qu’on a écrit pour toi sur le mur !" Au Centre socioculturel (CSC) de la Meinau, des jeunes filles se rassemblent autour de Hamed Ouanoufi, sourire aux lèvres. Elles lui montrent une photo où l’on peut lire "Hamed le plus beau" écrit à la craie. Éclats de rires immédiats de l’intéressé, flatté de cette attention. Jamais sans son survêtement noir et ses baskets blanches, il coordonne le secteur jeune du CSC depuis dix-huit ans, après avoir mené une carrière de boxeur professionnel.

Natif de la Canardière, l’homme de 46 ans "connaît les codes des jeunes" puisqu’il était à leur place il y a quelques années. Lui aussi a été un adolescent difficile. "J’ai pris des chemins de traverse, j’ai fait les quatre cents coups", commente le coach de boxe.

 

Il y a encore l’odeur du kérosène dans les cheminées, c’est imbibé dans les murs, souligne Paola Guigou, photographe installée dans “le Junkers”. Au 33, rue du Maréchal-Lefebvre, ce bâtiment de briques rouges de 4000 m2 attire l'œil. Ses douze tours carrées de 11 mètres de haut surplombent le paysage de tôle qui compose la zone industrielle de la Plaine des Bouchers. A leur pied, un verger où se retrouvent les salariés à l'arrivée des beaux jours. Autour, des camions de chantier vont et viennent là où autrefois des voitures étaient testées. 

Au début du XXème siècle, l’Alsacien Émile Mathis y installe ses usines de construction automobile. Employant jusqu’à 15 000 travailleurs, la marque Mathis devient dans les années 1930 le quatrième constructeur automobile français derrière Renault, Citroën et Peugeot. La Plaine des Bouchers est alors le symbole du dynamisme industriel de Strasbourg.

Un pari sur l'avenir 

Les nouveaux habitants de la Canardière veulent croire en la redynamisation en cours. "Dans dix ans, le quartier sera entièrement neuf. Tout va se transformer", promet Arnaud Dessinais à chacun de ses rendez-vous avec de potentiels acheteurs. Acheter à la Canardière devient alors un investissement sur le long terme pour ces primo-accédants. "Dans 8-10 ans, le quartier aura pris de la valeur, et on verra vraiment les changements", prédit Anne Cuvillier. Mais elle n’a pas encore le temps de s’enthousiasmer. Ses enfants l’appellent, c’est l’heure des devoirs. 

Paul Ripert et Élise Walle

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