Au début de la réforme et de l'ouverture de la Chine en 1978, après les dix années de la révolution culturelle, le gouvernement chinois a décidé de sélectionner chaque année des étudiants, et de les envoyer à l'étranger pour leurs recherches scientifiques. Depuis les années 1980, des dizaines d'étudiants chinois boursiers ont été envoyés à Strasbourg. Certains ont renoncé à retourner en Chine après les événements de la place Tiananmen, d’autres ont choisi de rester en France parce qu’ils y trouvaient la vie plus agréable.
Venant de Shanghai, issu de l’université Fudan de Shanghai, une grande université réputée en Chine, Rao Bopeng vient en France en 1983 grâce à une bourse du gouvernement français. A la différence de la majorité des étudiants qui passaient leur temps à manifester durant la révolution culturelle, Rao Bopeng préférait étudier en autodidacte pendant que les écoles étaient fermées par les Gardes-rouges. Il n’a jamais cessé de lire durant les dix années du mouvement, même quand il a été envoyé à la campagne. Quand les concours d'entrée à l'université sont rétablis en 1977, plus de 5,7 millions de candidats s'inscrivent au concours dans l'espoir de changer leurs vies. Moins de 300 000 sont acceptés par les universités. Parmi eux, Rao Bopeng.
A Paris en 1983, il commence un doctorat en mathématiques qu'il soutient en 1989. Diplômé, il devient Maître de conférences à l’université de Nancy. Puis en 1994, après un concours exigeant, il devient professeur à l’Université de Strasbourg.
En arrivant en France il y a 32 ans, il découvre avec étonnement la vie occidentale : « Les affiches, les vêtements, le monde artistique, les musées, les habitudes alimentaires, l’ouverture des gens ». Il a été subjugué par les appareils photo et l’équipement du laboratoire, beaucoup plus avancé qu’en Chine. Aujourd’hui, affirme-t-il, « la Chine s’est tellement développée, les étudiants ont changé, ils pensent différemment car les conditions matérielles sont meilleures et dépassent même la France dans certains domaines, particulièrement dans les grandes villes chinoises. Au contraire, la France, déjà développée, n’a pas beaucoup évolué ces trente dernières années ». Intéressé au départ par les développements scientifiques dans son domaine en France, il prévoyait de rassembler des savoirs pour ensuite les transférer en Chine : «Retourner en Chine pour rendre service grâce à mes découvertes était à ce moment ma plus forte motivation. » Après son doctorat, il décide finalement d'intégrer l'Université française.
Les différences culturelles sont grandes, d’après Rao Bopeng. Par exemple, il trouve que les Français respectent beaucoup les règles tandis que les Chinois sont plus souples. Il le remarque que les Français se concertent toujours avant de changer quelque chose. Les relations personnelles sont moins codifiées en France.
Rao Bopeng croise rarement les étudiants chinois sur le campus, car il donne des cours surtout aux masters, tandis que les étudiants chinois sont plutôt en licence. Il a tout de même un avis au sujet de la différence de mentalité entre les étudiants d’aujourd’hui et ceux de son époque : « De mon temps, les étudiants menaient une vie simple, studieuse, sans beaucoup de besoins matériels, tandis que la génération de l’enfant unique forme des étudiants gâtés par leur famille. Mais ils sont également plus « dynamiques », ouverts sur les cultures étrangères».
Le professeur Rao Bopeng conseille aux nouveaux étudiants de se concentrer sur leurs études, sur la langue française, de se spécialiser: « Il n’y a pas de bon ou de mauvais métier mais chacun comporte son élite », affirme-t-il sentencieusement en citant un proverbe chinois.
Venu de la province du Zhejiang où il a étudié dans l'Université de Zhejiang, une des meilleures universités chinoises. Gu Xiaonan est envoyé en France en 1985 par le gouvernement pour faire son doctorat d’architecture à l’INSA de Lyon, puis de Strasbourg. Après son arrivée, il a tout d’abord été surpris par le faible nombre de pauvres en France et le décalage entre la vision de la propagande et le pays réel qu’il a découvert. Le mode de vie capitaliste ne lui semblait pas aussi néfaste que ce que l’on disait en Chine.
Gu Xiaonan et sa femme Wang Jin, à l'intérieur de leur magasin de sac.
Au début, Gu Xiaonan ne pensait pas rester en France. Comme la plupart des étudiants de sa génération, il escomptait retourner en Chine pour servir l’Etat, comme il l’avait promis avant son départ. Cependant, à la fin de ses études, huit ans plus tard, sa pensée a changé. En 1992, il a ses diplômes et sa carte de résident permanent en poche. Son professeur français lui propose alors de rester en France, bien que Gu Xiaonan prépare déjà son retour en Chine pour l’année suivante. En 1993, Gu est de retour à Hangzhou pour visiter sa famille. Il est alors frappé par l'ampleur des changements : « L’économie chinoise a beaucoup évolué durant mes huit années d’études tandis que Strasbourg a seulement ajouté des trams. Mais au début des années 1990, l’économie chinoise n’était pas encore comparable à celle de la France ». C’est pour cette raison qu’il décide de retourner en France, pour bénéficier d’une meilleure qualité de vie. Gu Xiaonan avoue pourtant son regret: « C’était peut être un mauvais choix. Si j’avais su que la Chine se développerait aussi rapidement, je ne serais pas reparti ».
1996 marque un autre tournant dans la vie de Gu Xiaonan. Il choisit d’abandonner l’architecture pour devenir commerçant et ouvre une boutique de sacs. Il semble le regretter maintenant. Ses camarades ont pu saisir des opportunités et beaucoup d'entre eux sont devenus professeurs. « Aujourd'hui en Chine, il y a beaucoup d'étudiants qui sont revenus de l'étranger – on les appelle les « tortues de mer » – ils ne sont plus une exception. Ils ne sont plus une petite élite. » explique Gu Xiaonan. Grâce à internet, les jeunes Chinois sont plus informés et arrivent à faire des choix plus justes, « Je les envie ». Il pense qu'il est trop tard pour lui pour rentrer en Chine et recommencer une nouvelle vie.
Comme Rao Bopeng, il conseille aux étudiants actuels de se concentrer davantage sur leurs études même si leurs conditions matérielles sont plus confortables. Etudier à l’étranger n’a pas pour but de « se couvrir d’or ». C’est une expérience difficile qui doit être préparée psychologiquement et physiquement.