03 octobre 2019
Depuis 2016, le centre Bernanos, situé face au campus de l’Esplanade, accueille une trentaine de jeunes migrants qui ne sont pas pris en charge par le Département. Récit d’une journée en immersion dans les locaux.
Il est 7h du matin au centre Bernanos, l’aumônerie universitaire catholique de Strasbourg, située rue du Maréchal Juin à l'Esplanade. Un jeune homme, qui sort de la douche, traverse le hall d’un pas nonchalant pour récupérer ses affaires rangées dans son casier au vestiaire. Mais la pièce est exiguë, alors il n’a pas d’autre choix que de revenir dans un coin du hall, pour s’enduire le corps de crème et enfiler ses vêtements. Au sous-sol, les toilettes publiques sont déjà occupées par deux adolescents en train de se raser. Tour à tour, les jeunes partent en cours. Ils se croisent, mais parlent peu : il est encore tôt, et certains ne sont pas tout à fait réveillés.
Ces garçons sont de jeunes réfugiés, venus principalement d’Afrique de l’ouest et d’Afghanistan. Depuis l’hiver 2016, ils logent dans l’Agora, l’ancienne chapelle du centre Bernanos transformée en dortoir. Ils y cohabitent avec les onze étudiants du foyer catholique, situé à l’étage du bâtiment. Ces migrants, qui se disent mineurs, sont arrivés en France sans représentant légal. Mais le Département ne reconnaît pas leur minorité. Ils n’ont donc pas le droit à une prise en charge de l’aide sociale à l’enfance. N’ayant nulle part où aller, ils ont trouvé refuge dans l'aumônerie. En ce moment, ils sont 28 à dormir sur des lits de camp installés dans l’Agora. « On ne peut pas en accueillir plus car on manque d’espace et de personnel », regrette le père Thomas, directeur du centre et responsable diocésain de la pastorale des jeunes, à l’origine de cette initiative solidaire. Heureusement, il peut compter sur le soutien de deux cent bénévoles, dont certains vont jusqu’à accueillir les migrants chez eux.
Malgré l’heure matinale, le père Thomas est déjà dans son bureau. En plus de gérer le foyer étudiant, il assiste les jeunes réfugiés au quotidien. « C’est l’assurance scolaire, tu dois la donner à l’école », explique l’homme d’église à un adolescent en lui tendant le document.
Après 17h, le centre, resté presque désert durant la journée, s’anime de nouveau. La fin d’après-midi est souvent consacrée aux activités et aux devoirs. Aujourd’hui, Annick, assistante comptable, donne un cours de soutien scolaire à un Africain anglophone. C’est d’ailleurs lui qui a demandé cette aide hebdomadaire. « C’est un plaisir de travailler avec lui. Il est assidu, ce qui n’est pas toujours le cas », souligne la bénévole, qui intervient au centre Bernanos depuis plus d’un an.
Les garçons ont aussi besoin de se défouler, de sortir du centre. Certains adolescents se rejoignent donc au parc de la Citadelle pour jouer au foot après les cours. D’autres sont inscrits en club de sport comme Ajmeer, passionné de boxe. Le jeune Afghan, scolarisé en seconde, rêve de devenir mécanicien poids lourds. Depuis son arrivée au centre il y a un an et demi, il s’est construit une vie sociale et s’est fait des amis qu’il voit à l’extérieur. « Ils n’ont pas beaucoup d’espace ici, c’est assez confiné, explique le père Thomas. Il y a pas mal de promiscuité, et énormément de passage. » D’autant plus que l’établissement loue régulièrement des salles à des particuliers. Ce jour-là, une dizaine de membres des Etudiants musulmans de France sont présents et circulent librement dans le centre durant toute la soirée.
Dans la buanderie, Ajmeer trie son linge. Ici, les jeunes utilisent librement les machines à laver mises à leur disposition. / Photo Mickaël Duché
Il est 17h30, l’heure de préparer le repas. Au centre, des bénévoles se relaient tous les jours pour préparer le dîner, aidés par des réfugiés selon un planning hebdomadaire. Ce soir, Gautier, étudiant en médecine, et Ibrahim, migrant guinéen arrivé il y a trois mois, descendent au sous-sol où se trouve la salle à manger. Une grande table trône au milieu de la pièce, et une fresque colorée décore le mur. « On a fait ça hier avec une bénévole pendant un atelier », explique Ibrahim en pointant du doigt son dessin aux couleurs du drapeau guinéen sous lequel il a écrit « Big dreame ».
Dans la cuisine, les deux garçons établissent le menu en fonction des stocks de denrées livrées chaque mercredi par la Banque alimentaire. Ce soir, ce sera lentilles corail au curry, riz blanc et salade. Gautier suit religieusement les instructions de Ibrahim, qui vient d’intégrer un CAP cuisine à Strasbourg. « Tu dois laisser les lentilles tremper dans l’eau », lance-t-il au bénévole. Quelques minutes plus tard, une jeune femme déboule dans la cuisine : « Salut, désolée pour le retard ! ». Charlotte, 23 ans, étudiante en école d’architecture, connaît bien le centre Bernanos, puisqu’elle est membre de la paroisse catholique qui jouxte l’établissement. C’est la deuxième fois qu’elle vient aider à préparer le dîner. « Ce n’est pas grand-chose, regrette l’étudiante. J’aimerais avoir le temps de donner des cours de français, mais c’est compliqué avec mes études. » L’ambiance est détendue. Les jeunes échangent, plaisantent et apprennent ainsi à se connaître. Ibrahim confie avec nostalgie : « J’aimais faire la cuisine avec ma mère ».
Les migrants ont assisté à un cours de dessin, mercredi 25 septembre. Ces activités, organisées dans la salle à manger, sont assurées par les bénévoles. / Photo Mickaël Duché
Il est 18h30, les adolescents arrivent au compte-goutte dans la salle à manger. Certains proposent leur aide, d'autres s’impatientent, s’installent sur leur chaise et jouent sur leur téléphone portable, les écouteurs dans les oreilles. Charlotte et Gautier apportent deux grosses marmites, prêts à servir les douze convives du soir. « Vous voulez manger avec nous ? », propose Ibrahim aux bénévoles. Tous dînent dans le calme, la plupart sont silencieux.
19h15, il est temps de débarrasser la table. « Il faut les aider à faire la vaisselle et à ranger la cuisine, car ça reste des adolescents », sourit Charlotte. Abdoulaye, qui est de corvée ce soir, fait la vaisselle en fredonnant « Ville de lumière », une chanson du groupe Gold. Avant de partir, les deux bénévoles mettent de côté les restes pour les retardataires.
20h. A l’étage, quelques jeunes traînent dans le hall. Trois d’entre eux, installés à une table, discutent foot. A côté, un garçon écoute de la musique assis sur un banc, alors que Ibrahim envoie des messages vocaux dans sa langue natale. Ici, pas de télévision, ni d’ordinateur, alors il faut s’occuper autrement. Le jeune Guinéen s’éclipse un instant pour aller prier dans le réfectoire. Puis, le hall se vide progressivement. Certains relisent leurs cours avant de rejoindre l’Agora, d’autres y sont déjà, profondément endormis.
Laurie Correia et Mickaël Duché