Chaque jour, transports en commun, cyclistes et autres usagers tentent de cohabiter au croisement de la rue Georges-Wodli et du boulevard du Président-Wilson. Signalisation inadaptée et incivilités, ce croisement suscite la controverse.
L'impatience des cyclistes et trotinettistes face aux longs feux rouges leur fait prendre des risques considérables. © Kilian Bigogne
“Ce carrefour est vraiment merdique !”, lâche Fabiola Antiquera, employée depuis deux ans chez CDC Habitat. De son bureau au rez-de-chaussée, elle a une vue imprenable sur les incidents quasi-quotidiens du croisement entre la rue Georges-Wodli et le boulevard du Président-Wilson. “Le matin, je ferme tous les volets du rez-de-chaussée. Je préfère ne rien voir.” Récemment, Fabiola Antiquera a assisté à un accrochage entre deux automobilistes. Le premier a voulu tourner à gauche depuis le boulevard du Président-Wilson ; l’autre aussi. Bilan : une aile gauche rayée, un pare-chocs avant droit enfoncé et un refus de constat.
Un autre soir, l’employée de CDC Habitat a “vu une jeune femme à trottinette valdinguer” sur le bitume après avoir percuté un véhicule. Au milieu du carrefour, trottinettistes et cyclistes doivent se faufiler entre les voitures. Déboussolés, certains en oublieraient presque qu’ils sont sur la route, d’autres filent à toute allure sans se préoccuper de l’état du trafic. Jean-Baptiste Gernet, expert en mobilités actives et ex-adjoint au maire de Strasbourg en charge des mobilités alternatives (2014-2020), tempère : “Il faut bien distinguer les accidents de l’insatisfaction, légitime, des usagers.”
“Soit tu bouges, soit tu crèves”
Et cette insatisfaction est générale. La lenteur des feux de signalisation y est pour beaucoup. Quatre minutes entre chaque passage au vert pour les sept feux piétons. Trois minutes pour celui dédié aux cyclistes, qui brûlent d’impatience. Les coups de klaxons fusent de tout côté ; voitures, bus, tram, tout le monde s’en donne à cœur joie.
À l’arrêt de bus Wilson, Malo Gabus, les yeux encore embrumés de sommeil, vient tous les matins. “Les feux sont mal faits. On ne peut pas passer, les bus attendent une heure, les voitures aussi”, lâche-t-il avec une pointe d’exagération. Au début de la rue du Faubourg-de-Saverne, une agence O2 surplombe l’intersection Wilson-Wodli. “Tous les soirs, je mets presque vingt minutes à sortir en voiture du carrefour”, témoigne Audrey, employée dans l’entreprise d’aide à domicile depuis plusieurs années.
Les erreurs d'aiguillage sont monnaie courante pour les cyclistes près du pont. © Mina Peltier
Les comportements des usagers n'arrangent en rien la circulation du carrefour. © Mina Peltier
Lors de ses pauses, elle relève aussi le danger pour les piétons que représentent les cyclistes. Perdus dans la signalisation, livrés à eux-mêmes, ils transforment les trottoirs en pistes cyclables. “Soit tu bouges, soit tu crèves !”, résume Audrey.
Dans ce joyeux désordre, un père à vélo, sa fille sagement assise dans son siège enfant, roule sur le trottoir et grille un feu. Un responsable de l’association de cyclistes Cadr 67 confirme le problème : “Les feux sont trop longs, donc les usagers perdent patience”, ajoutant que “c’est évidemment interdit.”
Problèmes de coordination
Ces incivilités donnent aussi du fil à retordre aux chauffeurs de bus de la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS). Ce carrefour Wilson-Wodli est “le plus stressant de Strasbourg. Aucun conducteur ne veut y aller !”, confie l’un d’entre eux.
Depuis l’arrivée du tram C au début des années 2010, les problèmes de coordination entre les usagers ne font qu’augmenter. Pour l’ancien élu Jean-Baptiste Gernet, “dès que vous avez un carrefour avec un tram, cela complique la gestion des cycles de feu. Un tram avec des centaines de personnes dedans [bénéficie d’un] régime de priorité.”
En plus du tram, la ligne G du bus à haut niveau de service (BHNS) s’est ajoutée aux cinq autres lignes déjà présentes ; une accumulation à l’origine de nombreux ralentissements. Henri Rodrigues, propriétaire d’un garage Citroën sur le carrefour depuis plus de trente ans, remarque que les artères sont “toujours bouchées aux heures de pointe”, notamment à cause “des lignes de bus au milieu de la route”. “Il y a des choses qui n’auraient pas dû être faites mais elles sont là maintenant”, soupire l’élue chargée du quartier gare, Marie-Dominique Dreyssé, qui déplore une “construction existante inadaptée”. Le Service de l’information et de la régulation automatique de la circulation (Sirac) n’a pas voulu s’exprimer sur le sujet.
Travaux en 2023
Pour développer une “circulation sécurisée et fonctionnelle” réduisant la place de la voiture, la municipalité s’appuie sur une coopération avec l’association Cadr 67. Celle-ci a créé en 2020 un “site tampon”, Problemorezo.eu, destiné à recueillir les doléances des cyclistes. La mairie et Cadr 67 se rencontrent tous les deux mois pour discuter des améliorations proposées par les usagers.
Une étude de l’Eurométropole est en cours concernant une piste cyclable bidirectionnelle au niveau du tunnel Wodli, autre point de friction majeur entre cyclistes, piétons et voitures. D’autres projets sont sur la table pour fluidifier le secteur : de nouvelles lignes de BHNS et de tram ainsi que le nouveau réseau de pistes cyclables “ring vélo”, au centre des quais de l’Ill. Ces travaux, prévus à l’aube 2023, compliqueront un carrefour Wilson-Wodli déjà au cœur de nombreuses préoccupations. “Les flux seront complètement perturbés, explique Marie-Dominique Dreyssé. C’est un vrai micmac qui va se mettre en place.” Rien de bien inédit en fait.
Kilian Bigogne et Mina Peltier
Le carrefour Wodli-Wilson, un véritable micmac. © Kilian Bigogne et Mina Peltier