29 septembre 2019
Les professionnels de la SIG, le club phare de basket strasbourgeois, n'hésitent pas à venir recruter les jeunes pousses qui jouent au parc de la Citadelle. Mais pour les adeptes du streetball, comme Adam et Maxime, ce qui compte avant tout, c'est la liberté de la rue.
Lorsque le temps le permet, les quatre demi-terrains du parc de la Citadelle sont investis par des joueurs de tous âges et tous niveaux. / Photo Mickaël Duché
À seulement 14 ans, Adam dépasse déjà le mètre 80 et les 70 kilos. En troisième au collège de l’Esplanade, le garçon profite plusieurs fois par semaine des heures de permanence pour jouer au basket sur le goudron du parc de la Citadelle. Arborant le look de ses idoles afro-américaines et les couleurs, orange et bleue, des Knicks de New-York, il investit le terrain avec assurance accompagné de cinq potes. Eux, sont venus comme ils sont : parés de jeans et de chaussures de ville mais qu’importe. Ici, nul besoin de licence ou de matos particulier. Un ballon suffit. « C’est ce que je préfère, profère Adam. Je peux venir quand je veux et comme je veux. Il n’y a pas de règle. On met de la musique, on s’affronte sans catégorie d’âge ou de niveau et le gagnant reste sur le terrain. »
Si la pratique du basket de rue semble informelle, une véritable discipline est née aux US dans les années 60. Le streetball, qui se pratique en trois contre trois sur demi-terrain, s’est ensuite exporté dans le monde entier. Il fera même son apparition aux JO de Tokyo cet été. « L’arrivée du 3 contre 3 en discipline olympique, c’est une vraie avancée qui va donner une visibilité au basket de rue, défend Paul, 17 ans, qui fréquente le parquet urbain trois fois par semaine. Ce qui est dommage, c’est que les joueurs ne viennent pas de la rue… Ce sont uniquement des professionnels du 5 contre 5. »
En France, le playground de la Citadelle s’impose dès les années 80 comme l’un des spots les plus connus de l’Hexagone. C’est sur ce terrain que Frank Ntilikina, joueur NBA des Knicks et fraîchement médaillé de bronze avec l’équipe de France au championnat du monde, a fait ses gammes. C’est également ici que Jacques Alingue s’est fait remarquer par un entraîneur de Haguenau avant d’exploser au plus haut niveau et d’évoluer en Pro A.
Les meilleurs joueurs de la rue représentent une mine d’or pour le monde professionnel. Ils ont des profils différents et apportent des qualités nouvelles. Ainsi, des entraîneurs supervisent les jeunes au parc de la Citadelle. Adam a été approché la semaine dernière par un recruteur de la SIG. « C’est un ancien joueur professionnel. Il m’a conseillé de les rejoindre le plus tôt possible et m’a expliqué que j’avais l’âge idéal pour faire le grand saut. Je suis flatté mais pour l’instant je ne sais pas trop ce que je vais faire. Je lui ai laissé mon numéro mais on verra. »
Mais dans le monde amateur, la réalité est toute autre. Selon Pierre Meyer, président du club de Saint-Joseph, les passerelles vers le basket traditionnel ne concernent qu’une infime partie du vivier street : « Il est très rare d’avoir des mecs du 3 vs 3 qui viennent chez nous. Et quand c’est le cas ils sont perdus. Le placement n’est pas le même, les systèmes non plus. Ils n’ont pas les fondamentaux ».
Maxime, 17 ans, a découvert le basket en jouant au streetball sur le playground du parc de la Citadelle.
Le streetball est un jeu que l’on pourrait caricaturer par « une passe, un shoot », basé sur le un contre un, avec peu de passes et peu de mouvements sans ballon. Ses pratiquants peinent donc à respecter les concepts demandés en club tels que les systèmes offensifs et le principe de l’aide en défense. Plus libre, plus brute et plus spectaculaire que son aîné, le trois contre trois obéit aux codes de la rue. Pierre Meyer encourage ses licenciés à fréquenter les playgrounds de Strasbourg : « Ça développe leur agressivité, leur condition physique et leur confiance. Ils ont plus de responsabilités et jouent dans des conditions difficiles. »
Séduite par l’élan populaire que suscite le streetball, la Fédération française de basket-ball (FFBB) développe le trois contre trois depuis 2010. Même si la FFBB permet à toutes les équipes qui le souhaitent de s’inscrire à l’Open de France, seule compétition officielle du pays, l’institution ne parvient pas à réduire le fossé qui la sépare de la rue. Pour professionnaliser un sport, il faut des règles, des arbitres officiels et un cadre, ce qui ne sied pas à l’essence même du streetball. « Dans la pratique en club, le trash-talk n’est pas permis, il est même sanctionné par l’arbitrage», reprend Paul, pour qui ces propos provocateurs et parfois insultants, sans méchanceté réelle, participent à l’identité même du streetball. « La rue et le club, ce sont vraiment deux univers différents, il faut le garder à l’esprit. »
Loana Berbedj & Mickaël Duché