10 mars 2016
Le Parlement européen a adopté mardi 8 mars un nouveau règlement sur l’accès au marché des services portuaires et la transparence financière des ports.
Le port de Rotterdam aux Pays-Bas gère 450 millions de tonnes de fret chaque année et fait vivre près de 180 000 personnes. Il est le plus grand des 319 grands ports maritimes européens par lesquels transitent 74% de l'ensemble des échanges marchands de l’Union. Le transport maritime est une activité hautement stratégique en Europe. En particulier dans les pays qui comptent historiquement parmi les plus gros ports de commerce au monde (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, France...). Il s’agit pourtant du dernier secteur des transports à ne pas encore avoir fait l'objet d'une régulation au niveau européen, contrairement aux marchés aérien ou ferroviaire dont la libéralisation au sein du marché intérieur est déjà achevée ou en cours de finalisation. La situation des ports diffère énormément d’un pays à l’autre et aucun ne souhaite se faire imposer le modèle du voisin. Le député portugais João Ferreira (GUE, extrême-gauche) considère ainsi « qu'on ne peut pas demander au port de Porto d’appliquer les mêmes règles que l’ultra-libéral et ultra-aidé port de Rotterdam ».
Un projet de réglement européen ancien
Par le passé, le Parlement européen a déjà rejeté à deux reprises des projets de réglement sur les ports. La première fois en 2001, la seconde en 2004. Les textes visaient alors à libéraliser les ports européens et avaient buté sur les manifestations de dockers et les mobilisation de syndicats très puissants dans certains ports. Ces précédents malheureux expliquent que le nouveau projet de réglement sur lesquels les députés européens ont eu à se prononcer le 9 mars ait été allégé des mesures les plus clivantes. Les amendements défendus par le rapporteur Knut Fleckenstein (sociaux-démocrates, S&D) au nom de la commission parlementaire des transports ont notamment visé à supprimer toute référence à l’ouverture à la concurrence du marché des ports européens. Un travail important du Parlement qui a complètement modifié le texte initialement proposé par la Commission européenne. Dans l’entourage de Gesine Meissner, ALDE (libéraux-démocrates), rapporteur fantôme sur le dossier, on reconnaît que « ce texte ne devrait pas bouleverser les choses, il reflète le statut quo dans les ports. De nombreux services portuaires sont exclus du règlement de toute manière, et ceux qui ne le sont pas ne seront pas forcés d’ouvrir leur marché ».
Par ailleurs, le projet de réglement reste assez peu contraignant. La Commission européenne s’était déjà limitée à proposer un cadre juridique commun concernant les activités portuaires. Le rapport de Knut Fleckenstein prévoit lui essentiellement d’améliorer la transparence en matière de financement public des ports. Il limite aussi les redevances des services portuaires que les ports peuvent fixer, c’est-à-dire « les tarifs de "stationnement" que les armateurs paient pour amarrer leurs navires » précise le représentant des ports français. Le texte instaure de nouvelles exigences minimales aux prestataires de services portuaires afin de limiter leur nombre. Il ne traite par contre pas des activités sensibles de manutention, ni même le pilotage ou le dragage, mais consacre la primauté des droits sociaux nationaux dans les ports de l’UE. A l’initiative de la France, le projet ne concernera par ailleurs pas les petits ports, ni ceux en outre-mer. C’est tout le paradoxe de ce nouveau réglement qui reconnaît le caractère multiple des statuts et des situations des ports d’Europe et l’impossibilité d’imposer un fonctionnement commun tout en voulant amorcer un premier pas vers une législation européenne.
L’Europe “à la carte”
Un pas en avant difficile à entamer tant les divisions sur le projet de réglement sont nombreuses. Les groupes politiques sont divisés entre eux et en leurs seins. Les groupes PPE (centre-droit) et S&D (sociaux-démocrates) ne se sont pas parvenus à se mettre d’accord sur une position commune. Ce sont dès lors souvent les logiques nationales qui ont primé sur les logiques politiques. Là où les élus des pays d’Europe du Nord se sont montrés très favorables au projet; ceux du Sud de l’Europe étaient nettement moins enthousiastes. Les députés espagnols étaient divisés sur la pertinence d'une réglementation européenne ; tandis que les Finlandais appelaient à son application urgente. Les députés britanniques n’ont montré d’unité que dans les rangs de l’UKIP (extrême-droite) arguant que la majorité des ports du Royaume-Uni sont privés, et que ce règlement créerait trop de charges pour eux. Voire même que la sortie possible du pays de l’Union rendrait ce texte inutile pour eux. Pour la députée polonaise Elzbieta Katarzyna Lukacijewska le désaccord est ailleurs: « La Pologne n’a pas de problème avec la transparence mais a déjà ses propres règles en la matière ».
Malgré les réserves, le texte à été adopté mardi 8 mars avec 451 voix pour, 243 contre et 18 abstentions. Le rapporteur Knut Fleckenstein s’est félicité d’arriver à des compromis sur la question : « Ce projet est de meilleure facture que les précédents, je suis fier de son caractère pragmatique et de la négociation dont il est le fruit ; je suis sûr qu'un accord au Conseil de l'Union européenne sera possible après son adoption dans cette assemblée ». Bien que le texte adopté par les parlementaires se distingue nettement de celui qu'elle avait initialement proposé, la Commissaire européenne aux transports Violeta Bulc a fait part de l’avis favorable de la Commission. Pour elle la proposition législative est un pas important vers la simplification et la modernisation des ports européens, ce qui permettra d’attirer les investisseurs et de mieux protéger les travailleurs.
Le texte constitue un “cas d’école” pour un proche du dossier, une illustration de ce qu’est l’Europe aujourd’hui. Le projet est ancien, il n’a plus grand chose à voir avec celui des débuts, il divise les groupes parlementaires comme les Etats, et a été retardé à plusieurs reprises : « le rapporteur Knut Fleckenstein a toujours voulu éviter la plénière ».
Pour éviter que le chemin de ce projet déjà ancien ne soit encore allongé, les parlementaires ont voté pour engager un trilogue avec le Conseil et la Commission. Cette procédure a pour but de permettre aux trois institutions législatives européennes de s’entendre rapidement sur une même version, sans devoir repasser par une deuxième lecture. « Tout le monde est d’accord pour dire que le texte est incomplet, mais l’important est surtout d’arriver enfin à un accord » confie Knut Fleckenstein.
Kevin Baptista
Olga Patapenka