« Ce ne sont pas tous des malades »

Est-il possible d'établir un lien entre maladie mentale et agression sexuelle ? Les différents experts rencontrés sont unanimes : non. L'agresseur sexuel déséquilibré mental est finalement rare.

Illustration de Gaëlle Malenfant

Considérés comme des personnes ayant des troubles de la personnalité, les auteurs de violences sexuelles n'ont pas leur place dans la classification internationale des maladies. « Les psychopathes et les pervers représentent la grande proportion des agresseurs sexuels. Ils ont les cartes de tout le monde mais ne les jouent pas de la même manière », explique Dominique Provost, pédopsychiatre et expert près la cour d'appel de Colmar. Jugés comme des dominateurs, ils perçoivent le viol comme une prise de pouvoir. L'acte sexuel n'est pas le but mais un moyen d'exprimer leur domination.

Le déni est l'élément de base chez l'agresseur sexuel

Les personnes diagnostiquées avec des pathologies mentales telles que les schizophrènes ou les exhibitionnistes constituent quant à elles une part minime des agresseurs sexuels. L'expert psychologue François Biringer poursuit : « Il n'y a aucune corrélation possible entre des malades mentaux et les agresseurs sexuels. Justement, le plus gros problème d'un agresseur sexuel est qu'il n'est pas assez névrotique. S'il l'était, il refoulerait son affect qui engendre son angoisse et ne passerait pas à l'acte. » Également expert près la cour d'appel de Colmar, Claudia Bota parachève l'explication : « Au long de mes quinze ans de carrière de psychiatre, je n'ai rencontré qu'une seule fois un déséquilibré mental qui faisait des actes d'exhibition. » Ainsi, la plupart des agresseurs ne sont pas jugés comme malades, et la justice les traite pleinement comme responsables de leurs actes.

 Il n'y a aucune corrélation possible entre des malades mentaux et les agresseurs sexuels. Justement, le plus gros problème d'un agresseur sexuel est qu'il n'est pas assez névrotique

Classer les agresseurs sexuels n'a pas beaucoup de sens pour les experts interrogés. « Il n'y a que des histoires singulières et chacun réagit de manière différente à ces histoires. Il n'y a aucun intérêt à faire des profils sur ce sujet, c'est comme faire des statistiques, c'est inutile », précise François Biringer.

Néanmoins, certains comportements reviennent de manière récurrente. Le déni est l'un d'eux : « L'agresseur sexuel répond à l'adage : “ C'était moi mais c'était pas de ma faute. Ou bien la personne l'a cherché ” », expose Dominique Provost. Là où les limites sont posées de manière claire pour une personne normalement névrosée, l'agresseur sexuel est, lui, incapable de renoncer et d'accepter la frustration. Accumulés, le déni et les limites confuses amènent à un dysfonctionnement au niveau des relations avec autrui et pourraient expliquer le passage à l'acte.

 

Quel est le rôle et le travail d’un expert psychiatre ?

Lors d’un procès, le rapport d’expertise qu’effectue le psychiatre doit répondre à la question : le suspect était-il atteint au moment des faits d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli ou entravé son discernement ou le contrôle de ses actes ? « Les conclusions doivent être claires et non dubitatives, et ainsi permettre au magistrat de répondre à des questions et notamment à celles de la responsabilité », note Christian Balthazar, psychiatre à Lille et expert près la cour d’appel de Douai. La dangerosité, surtout lors d’infractions sexuelles, la curabilité, la réadaptabilité et l'accessibilité de l’auteur à une sanction pénale, doivent aussi apparaître dans le diagnostic. Le secret médical n’existe pas en matière d’évaluation psychiatrique.

 Avec les agresseurs sexuels, on va surtout essayer de comprendre leur mécanique

« Avec les agresseurs sexuels, on va surtout essayer de comprendre leur mécanique , énonce Dominique Provost, la durée de l'examen est d'une heure. Le diagnostic est plutôt rapide en règle générale. C’est comme le garagiste. Il observe la voiture et il lui faut une quinzaine de minutes pour vous dire : “préparez un chèque de tant” même si derrière il peut y avoir quinze heures de travail. »

Dans la plupart des cas d’expertise, un seul expert suffit, mais aux assises, ils sont souvent plus nombreux. L’expertise collégiale existe aussi. Dans ce cadre, plusieurs psychiatres analysent en même temps un individu puis se concertent. Les conclusions peuvent tout de même être séparées. Comme dans le procès de Pierre Bodein où les déductions du collège composé d'une vingtaine de psychiatres étaient très variées.

La classification internationale des maladies

(CIM) est publiée par l'Organisation mondiale de la santé. Cette classification « a pour but de permettre l’analyse systématique, l’interprétation et la comparaison des données de mortalité et de morbidité recueillies dans différents pays ou régions et à des époques différentes ».

Dominique Provost

Pédopsychiatre et expert près la cour d'appel de Colmar depuis 2000. Il a dirigé le service de psychiatrie enfants et adolescents de l'hôpital de Rouffach.

François Biringer

Psychologue, travaille actuellement dans un centre de ressources pour auteurs de violences sexuelles à l'hôpital civil de Strasbourg.

Claudia Bota

Psychiatre et expert près la cour d'appel de Colmar depuis deux ans. Elle travaille actuellement au centre santé mentale Strasbourg Eurométropole ouest (Epsan).

Christian Balthazar

Psychiatre à Lille et expert près la cour d’appel de Douai. Il a participé à l'ouvrage d'Evry Archer, "Agressions sexuelles : victimes et auteurs", 1988, L'Harmattan.

Pierre Bodein

Surnommé « Pierrot le fou », Pierre Bodein est un criminel multirécidiviste. Le 4 juillet 2007 devant les assises du Bas-Rhin, il est le premier détenu en France à être condamné à la perpétuité réelle (incarcération de 30 ans minimum) pour trois meurtres dont deux précédés de viol.