Emprise sur ordonnance
"L'effet blouse blanche", ou ces médecins qui profitent de leur autorité pour abuser de leurs patients. Un rapport au corps biaisé, qui favorise le contrôle de la victime. Plusieurs affaires en témoignent.
Début 2013, le docteur Alain Pidolle, psychiatre mosellan reconnu, a été mis en examen pour viol et agression sexuelle sur l'une de ses patientes, alors âgée de 17 ans, suite au signalement de son confrère, Dominique Provost. Une affaire qui s'ajoute à d'autres cas recensés sur ces dix dernières années dans le Bas-Rhin mettant en cause des professionnels de santé ou de médecine alternative. Dans chacun de ces dossiers, la relation d'autorité du médecin sur son patient facilite le glissement vers une situation d'emprise. C'est l'effet "blouse blanche", reflet de la confiance naturelle que chacun place dans son thérapeute.
« Les patients nous racontent tout et c'est normal, c'est notre statut qui permet ça et c'est justement parce qu'on est dans ce type de contrat que l'on doit rester distant », explique le docteur Dominique Provost, psychiatre et expert judiciaire auprès de la cour d'appel de Colmar. Le secret médical libère la parole des patients et met à disposition des médecins des informations personnelles pour construire une éventuelle emprise.
Les patients nous racontent tout et c'est normal, c'est notre statut qui permet ça et c'est justement parce qu'on est dans ce type de contrat que l'on doit rester distant
Le rapport au corps est omniprésent, c'est l'essence même de la pratique de la médecine. Une exposition permanente à laquelle le praticien se doit d'être insensible. « Quand un médecin voit un corps nu, ce n'est pas un être humain qu'il voit, qu'il peut aimer, c'est un objet, rien de plus », souligne le docteur Dominique Provost.
« Dis-donc, elle est bien roulée cette fille... s'il dit ça, c'est qu'il n'est pas un médecin », ajoute-t-il.
L'emprise est une manipulation opérée par l'agresseur pour prendre le contrôle de sa victime : « Un médecin peut avoir une relation sexuelle avec sa patiente sans exercer d'emprise, précise le docteur Dominique Provost, même si ce serait contraire au code déontologique des praticiens de santé. »
L'affaire Duminy, une stratégie défensive anticipée sur une victime vulnérable
Jean-Pierre Duminy était ambulancier et a été condamné à dix ans de réclusion criminelle pour le viol d'une adolescente à l'intérieur d'une l'ambulance dans la nuit du 6 au 7 octobre 2008 à Strasbourg. Au moment des faits, il était seul avec la victime qui venait de faire une tentative de suicide. Elle était cependant parfaitement consciente. Profitant de la situation, il lui a massé la poitrine puis a descendu sa main pour pénétrer l'adolescente avec son doigt.
Pour Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'AVFT (Association européenne des violences faites aux femmes au travail), l'ambulancier a anticipé son système de défense par la connaissance du statut émotionnel de sa victime, suicidaire : « La stratégie d'un agresseur consiste à agresser en prenant le moins de risques possible, et là c'est clairement le cas. La crédibilité de la victime est susceptible d'être remise en cause parce qu'elle est suicidaire. On voit bien ce que ça peut donner en stratégie de défense, et je pense que les agresseurs l'anticipent. »
L'affaire Jost, le détournement manifeste d'un geste thérapeutique
Médecin généraliste converti à l'ostéopathie, Francis Jost était accusé d'agressions sexuelles par six anciennes patientes. Le docteur Francis Jost parlait de gestes mal interprétés, qui étaient en réalité des agressions sexuelles sous couvert de manipulations thérapeutiques. L'ostéopathe avait aménagé son cabinet avec de l'encens, des lumières tamisées, de l'huile odorante et de la musique d'ambiance. Une combinaison censée mettre les victimes en confiance, pour profiter de son statut en pratiquant des gestes médicaux qui n'en étaient pas. Il a été condamné le 10 septembre 2007 à trois ans de prison dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve. « C'est typiquement le genre de dossier où il y a plusieurs victimes parce que ça marche, explique Marilyn Baldeck, l'ambiance qu'il a créée participe au brouillage des pistes. »
L'affaire Le Calvez, l'exploitation de l'espoir placé par la victime dans son médecin
Gilles Le Calvez a été condamné le 16 septembre 2010 à huit ans de prison après avoir exercé comme magnétiseur à Kauffenheim. Ses patients voyaient en lui une alternative à la médecine traditionnelle. Pour Marilyn Baldeck, les agresseurs exploitent le manque de connaissance des patients : « Certaines victimes disent mettre du temps pour se rendre compte de l'illégalité des gestes reçus, même des femmes éduquées et éclairées qui savent ce qu'est un rapport de pouvoir. »
S'il est condamné, c'est l'ensemble des psychiatres et du corps médical qui sera "décrédibilisé"
Selon le docteur Dominique Provost, la notion d'emprise sera abordée le jour du procès d'Alain Pidolle, poursuivi pour viol sur une adolescente et agressions sexuelles sur plusieurs autres victimes : « Il faudra déterminer s'il s'est servi de son ascendant de manière perverse et si les victimes étaient en situation de vulnérabilité. » « S'il est condamné, ajoute-t-il, c'est l'ensemble des psychiatres et du corps médical qui sera "décrédibilisé". » Placé en détention provisoire depuis le mois de novembre 2013, Alain Pidolle a été remis en liberté, sous contrôle judiciaire, le 10 novembre dernier, dans l'attente de son procès.
Marilyn Baldeck
Déléguée générale de l'AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) depuis 2007.
Dominique Provost
Psychiatre et expert près la cour d'appel de Colmar depuis 2000. Il a dirigé le service de psychiatrie enfants et adolescents de l'hôpital de Rouffach.
Contrôle judiciaire
Une mesure qui permet de soumettre une personne à une ou plusieurs obligations jusqu'à sa comparution devant un tribunal.
Emprise
Ascendant intellectuel ou moral de quelqu'un ; influence de quelque chose sur une personne.
Mise en examen
Une personne mise en examen est une personne mise en cause dans une enquête dirigée par un juge d'instruction.
Viol
Acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Tout acte de pénétration sexuelle est visé : buccale, vaginale, anale, par le sexe, le doigt ou un objet. C’est un crime.