Sur les traces des auteurs
Comment mène-t-on aujourd’hui une enquête pour remonter jusqu’aux auteurs d’infractions sexuelles ? Dans les séries télévisées policières, les enquêteurs se servent de techniques spectaculaires pour établir des profils d’auteurs, souvent inconnus de leur victime. Mais la réalité du terrain est bien éloignée de ce travail de profilage criminel.
Un cheveu raide, d’une longueur de 20 centimètres, à deux tiers noir et un tiers blond. Grâce à cette découverte, la police de Fribourg-en-Brisgau a pu identifier l’auteur présumé du crime commis en octobre dans cette ville du sud-ouest de l’Allemagne. Une étudiante en médecine y avait été violée puis tuée vers trois heures du matin, en rentrant d’une fête, au bord de la rivière qui traverse la ville. L'affaire a été très médiatisée en Allemagne. Après une recherche méticuleuse de traces, une commission spéciale a pu récupérer un cheveu dans une haie d’épines sur les lieux du crime. L’ ADN correspondait à celui isolé sur le corps de la victime. Pendant plusieurs semaines, les policiers ont analysé le matériel de vidéosurveillance dans les trams fribourgeois. Les enquêteurs recherchaient un individu avec une teinture, correspondant au cheveu trouvé - avec succès.
L’enquête commence
À Mulhouse, plus d’un tiers des procédures menées par la brigade des mœurs et des mineurs de la Sûreté départementale du Haut-Rhin sont pour des viols et agressions sexuelles. « Il faut que ce soit un choix de travailler ici, dit la capitaine* de la brigade, on est vraiment au cœur de l’humain, le travail sur l’auteur est passionnant. »
Ce travail d’identification commence généralement avec une plainte et avec la saisine de la brigade par le procureur de la République. S'en suit la recherche d’empreintes papillaires, digitales ou génétiques sur le corps de la victime et sur les lieux du crime. Mégots de cigarettes, traces de chaussures sur le sol, liquides corporels sur les vêtements, bouts de peau sous les ongles : tous les éléments qui peuvent mener à l’auteur sont bons à prendre. Par ailleurs, le traçage téléphonique ou les caméras de vidéosurveillance fournissent du matériel utile, comme cela a été le cas à Fribourg. « Il ne faut pas se tromper. Un viol sur mineur par exemple, c’est puni de 20 ans de prison. Il faut être sûr de soi et de ses preuves », souligne la capitaine, à la tête de la brigade mulhousienne depuis deux ans.
Trois fichiers d’identification, STIC/Canonge, Fijais et FNAEG/FAED, facilitent la recherche des services de police. Les empreintes digitales et génétiques, mais aussi les photos et les indications sur la personnalité physique des agresseurs déjà identifiés y sont répertoriées minutieusement. Ce travail de documentation est notamment entretenu par les fonctionnaires chargés de la police technique et scientifique, principaux assistants des enquêteurs.
ADN
L’ADN est une longue molécule propre à chaque individu. Elle permet d’identifier un agresseur ou toute personne présente sur le lieu du crime, qui a laissé des traces contenant l’ADN.
Capitaine
Capitaine à la brigade des mœurs et des mineurs à Mulhouse, à la Sûreté départementale du Haut-Rhin. Elle dirige ce service de huit policiers depuis deux ans.
Empreintes papillaires, digitales
Paume, doigts, plante des pieds sont en relief sur la peau. Ces crêtes papillaires peuvent laisser des marques sur des supports et créent ainsi des empreintes digitales. Il faut douze points concordants pour attribuer une trace.
STIC/Canonge
Le Système de traitement des infractions constatées (STIC) contient les photographies et les signalements physiques des mis en cause ou des auteurs de crimes et de délits : couleur des cheveux et des yeux, tatouages, signes particuliers ou catégorie ethnique.
FNAEG/FAED
Le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) et digitales (FAED) contient les empreintes génétiques et digitales des auteurs de toutes infractions contre les biens et les personnes. En 2015, ce fichier comptait plus de 2.700.000 profils.
Fijais
Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles sert à prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles déjà condamnés. Il facilite leur identification et permet de les localiser rapidement et à tout moment.
Viol
Acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Tout acte de pénétration sexuelle est visé : buccale, vaginale, anale, par le sexe, le doigt ou un objet. C’est un crime.
En plus des preuves scientifiques et techniques, il y a les témoignages de voisinage ou des personnes proches de la victime, ainsi que le signalement de cette dernière. Souvent, c’est le mélange de ces multiples méthodes classiques qui mènent à l’auteur. « C’est un petit peu la topographie habituelle des enquêtes, mais chacune est différente. C’est du cas par cas ici », résume la policière mulhousienne.
Les méthodes d’identification des auteurs évoluent constamment. Depuis 2002, une unité de profileurs opère au sein de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN) à Paris. Cette unité de six à onze gendarmes formés au profilage criminel par le FBI entre autres, est sollicitée lors de crimes particulièrement violents ou de viols en série. Sur le modèle anglo-saxon, les profileurs essayent d’établir une analyse comportementale à partir de la scène de crime. De tels cas restent pourtant extrêmement rares et ne constituent pas le travail quotidien de la police. L’adjoint* à la brigade des mineurs et des mœurs de Mulhouse est partagé : « Le profilage peut orienter l’enquête. Mais il présente le risque de fermer d’autres pistes dans la recherche de l’auteur. »
Pas de profil type
Les méthodes d’enquête sont aussi diverses que les auteurs d’infractions sexuelles. À la tête de la brigade des mœurs de Strasbourg pendant une dizaine d’années, Denis Ponton a interrogé de multiples violeurs et agresseurs. « Je ne peux pas me promener dans les rues de Strasbourg et me dire, tiens, là, c’est un violeur », admet-il.
M. Ponton se souvient de cas très différents : un fétichiste strasbourgeois qui suivait les femmes mûres entre 40 et 65 ans dans le but de toucher leurs collants, une soirée d’entreprise arrosée qui tourne au viol collectif, un père qui touche sa fille. Un cas particulier que l’ex-commandant retient, c’est celui du violeur récidiviste du quai Finkwiller. En 24 heures, ce sportif imposant a violé deux femmes au même endroit. M. Ponton et ses collègues ont pu le retrouver grâce au signalement d’une des victimes. « Il n’y a pas de profil type. Un violeur, c’est un tas de choses », affirme l’ancien policier. « Et tous les milieux sociaux sont concernés », ajoute la capitaine à Mulhouse.
Le viol comme à la télé, où on se fait attraper dans une rue sombre et pousser contre une poubelle, c’est quand même extrêmement rare
Seul constat des enquêteurs : très rares sont les auteures femmes et pratiquement toujours, la victime connaît son agresseur. « Dans 90 % des cas, le violeur est à la maison », souligne la capitaine du Haut-Rhin. Son adjoint ajoute : « Le viol comme à la télé, où on se fait attraper dans une rue sombre et pousser contre une poubelle, c’est quand même extrêmement rare. C’est souvent le fait de proches, de membres de la famille, du conjoint. »
Une enquête telle qu’elle a été menée à Fribourg pour trouver un auteur inconnu n’est pas nécessaire dans la plupart des cas. Ces auteurs sont des exceptions et ne sont pas très représentatifs de la réalité.
Profilage criminel
Méthode fondée sur l’analyse comportementale qui permet à des enquêteurs de déterminer le profil psychologique ou de la personnalité d'un criminel. Issu des méthodes anglo-saxonnes, le métier de "profiler" est encore très rare en France.
Adjoint
Adjoint à la brigade des mœurs et des mineurs de Mulhouse à la Sûreté départementale du Haut-Rhin. Il y travaille depuis 13 ans.
Denis Ponton
Ancien chef de la brigade des mœurs de Strasbourg de 1993 à 2003. Il a traité de nombreuses affaires de proxénétisme et d’agressions sexuelles. Il en témoigne dans son livre « Les trottoirs de Strasbourg », publié en 2013 par « Les éditions du net ».
Viol
Acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Tout acte de pénétration sexuelle est visé : buccale, vaginale, anale, par le sexe, le doigt ou un objet. C’est un crime.