Franchir la ligne

Dans le sport de haut niveau, la relation avec l'entraîneur est toujours très intense. C'est celui grâce à qui tout devient possible. Une proximité qui peut mener au dérapage.

Illustration de Etienne Ciquier

Dix ans de prison en appel pour viol, c'est la peine prononcée contre l'ex-entraîneur de tennis, Régis de Camaret, le 11 février 2014, après la plainte de deux joueuses avec lesquelles il exerçait. La première à dénoncer les faits, c'est l'ex-numéro 1 du tennis français, Isabelle Demongeot. Elle-même victime de l'entraîneur dans les années 1980, elle sort du silence en 2008, alors que les faits sont prescrits. Dans un entretien qu'elle accorde au journal Le Monde, la tenniswoman décrit cette relation de domination, instaurée par son bourreau : « Il contrôlait mes entraînements, il m’a enfermée dans un système. Un système sous la forme d'une emprise»

Un modèle d’autorité

Le coach est une référence pour l’athlète, qui l’apprécie et même l’admire pour sa personnalité, ses compétences, sa pédagogie, voire son look. « L’autorité de l’entraîneur est évidente. Sa position, son statut lui confère un pouvoir sur le sportif », précise Sébastien Guilbert, docteur en sociologie du sport. Un pouvoir étendu, car l’entraîneur a la mainmise sur l’emploi du temps, l’alimentation, les relations extérieures. Il punit ou valorise. « On ne voit plus sa propre personne et l’on n’agit qu’à travers lui, souligne Sébastien Guilbert. C’est plus valable dans les sports individuels que collectifs. » L’instructeur n’est pas face à un groupe soudé, mais à des individualités.

Une ascendance naturelle, qui est psychologique mais aussi physique. Le rapport au corps est très présent dans le sport. Le coach est physiquement proche du sportif, le contact est direct. Il va lui montrer des mouvements, des positions, lui servir de partenaire ou de plastron pour les sports de combat, et peut être amené à lui faire des massages. Pour le sociologue Philippe Liotard, la domination est double, voire triple: l’entraîneur sur l’entraîné, l’adulte sur l’adolescent – ou l’enfant –, l’homme sur la femme. « J’ai déjà vu un entraîneur mettre une petite fessée à une nana », témoigne Louis Masy, judoka au pôle France de l’INSEP à Paris.

L’entraîneur joue plusieurs rôles, et sa présence ne se cantonne pas aux séances d’entraînement. « L’instructeur militaire » peut ainsi céder la place à l’ami, le confident. Il va suivre le sportif pendant ses déplacements pour les compétitions, partager le même hôtel et même venir manger à la maison s’il entretient de bons rapports avec les parents. Les enjeux sportifs priment sur le reste, les frontières tombent, et l’un comme l’autre ne font plus la différence. L’entraîneur prend possession de « son » sportif.

La performance sportive, le Graal de la soumission

Un contrôle total du sportif qui dépasse même le cadre de la relation entraîneur/entraîné. Dans sa thèse, Sébastien Guilbert avait démontré qu’environ 80 % des entraîneurs et présidents de clubs de sport à Strasbourg avouaient avoir le droit de vie ou de mort sur la carrière d’un sportif, de par leur pouvoir de décision. Un élément supplémentaire d’emprise qui pèse sur les épaules des jeunes et moins jeunes, en quête d’une carrière sportive de haut niveau.

Le duo formé par l'entraîneur et son sportif n’existe que pour atteindre un seul et même objectif : être le meilleur. « Si tu veux réaliser ton rêve, tu te soumets à ses exigences et c’est tout. Marche ou crève, c’est comme ça et pas autrement », explique le jeune judoka. Un rapport basé sur la violence, confirmé par Sébastien Guilbert : « Dans le cas de cette quête de la performance, il y a une violence manifeste dans ce rapport entre les deux protagonistes. »

Un équilibre fragile entre un rapport de soumission consenti et l’hypothèse d’un dérapage sous la forme d’une agression sexuelle : « Il n’y a qu’un pas entre la relation dominant/dominé et la création d’une situation d’emprise, souligne Louis. Si l'entraîneur décide de dépasser les bornes, ça peut aller très vite. »

Emprise

Ascendant intellectuel ou moral de quelqu'un ; influence de quelque chose sur une personne.

Sébastien Guilbert

Docteur en sociologie du sport.

Louis Masy

Judoka combattant en catégorie « Espoir » au pôle France de l'INSEP, à Paris. Âgé de 21 ans, il a obtenu deux titres de champion de France et une troisième place aux championnats d'Europe en 2011