« La formation repose sur la bonne volonté des associations »
Infirmière de métier, Emmanuelle Deutsch est responsable de la formation des secouristes au sein de l'antenne bas-rhinoise de la Protection civile. Si la bénévole se félicite du succès des sessions de sensibilisation, elle s'interroge sur la capacité du tissu associatif français à répondre à l’objectif fixé par l'État de former 50 % de la population aux premiers secours.
Emmanuelle Deutsch est responsable de la formation des secouristes de la Protection civile du Bas-Rhin. Crédit : Pierre-Olivier CHAPUT
Avez-vous observé une augmentation des inscriptions aux sessions de formation après les attentats qui ont frappé la France en 2015 et 2016 ?
Certaines personnes ont franchi la porte de l'association pour se sentir moins impuissantes si elles devaient faire face à ce type de situations exceptionnelles. Mais nous n'avons connu aucune hausse soudaine de la demande en formation au lendemain des attaques. Le traumatisme de la société française a au moins permis d'attirer l'attention sur l'importance d'être formé aux premiers secours.
Un module de deux heures sur les « gestes qui sauvent » a été créé après les attaques pour sensibiliser le grand public aux manipulations rudimentaires de survie : arrêter une hémorragie, faire un massage cardiaque, positionner une personne inconsciente sur le côté. Il s'agit d'une simple initiation, mais beaucoup reviennent nous voir pour la compléter par une véritable formation (1).
Des vocations de bénévoles sont-elles nées après les attaques ?
Si des volontaires ont proposé leurs services après le Bataclan, très peu sont finalement restés. Près des deux tiers ne sont plus là aujourd'hui. Beaucoup sont venus portés par un bon sentiment, qui s’est essoufflé rapidement dès qu'il a fallu sacrifier un soir de la semaine ou un week-end en famille. Devenir formateur est un sacerdoce. Les personnes présentes ici n'ont pas attendu les attentats pour s'investir.
Le précédent gouvernement a fixé un objectif de formation de 50 % de la population. Qu'en pensez-vous ?
Les capacités des associations à former sont déjà limitées par le nombre de bénévoles et leurs moyens. Nos sessions affichent presque complet pour l'année 2018. L'État fixe un objectif ambitieux et nous sommes les premiers à nous en féliciter. Mais nous ne bénéficions pas de fonds supplémentaires, ni de moyens humains complémentaires pour y contribuer. La formation au secourisme en France repose sur la bonne volonté des associations. D'un côté, on nous demande de former l'ensemble de la population, et de l'autre, de le faire gratuitement. C'est tout le paradoxe de notre système. Nous ne recevons aucune subvention. On est en autarcie.
Des disparités de formations au secourisme sont-elles observables dans le Bas-Rhin ?
La demande en formation reste centrée sur Strasbourg et les autres villes du territoire, mais on ne peut pas se résoudre à l'existence de zones blanches en matière de secourisme. On tente de répondre à toutes les demandes, de la sensibilisation dans une école de l'Eurométropole à la formation d'un groupe de chasseurs à Schirmeck.
La maîtrise par l'ensemble de la population des gestes de base renforcerait l'efficacité des secours dépêchés ensuite sur place. Souvent, il suffirait d'un voisin formé pour augmenter les chances de survie d'un individu blessé en attendant qu'une équipe de professionnels le prenne en charge.
Comment convaincre les élus des zones rurales de former leurs administrés au secourisme ?
Notre mission comporte aussi un volet commercial. Rien n'est gratuit. Nous devons donc partir avec notre bâton de pèlerin et démarcher les collectivités, rencontrer les maires des villages pour les convaincre de former leurs administrés aux principaux gestes. Une sensibilisation coûte 10 euros par personne. De plus en plus de communes trouvent une petite place dans leur budget pour le secourisme.
Qui sont vos principaux demandeurs de formation ?
Les collectivités territoriales : le marché avec l'Eurométropole de Strasbourg représente à lui seul plus d'une centaine de sessions pour un total de 100 000 euros, soit près de 70 % de notre chiffre d'affaires pour la formation. Les contrats conclus avec les acteurs publics nous obligent à maintenir un niveau d'exigence particulièrement élevé en termes de qualité des formations et des intervenants, car ces conventions font l'objet d'un nouveau marché public chaque année.
Le système d'appel d'offres et le poids des collectivités dans vos recettes ne créent-ils par une concurrence entre associations ?
Pour être honnête, je ne connais pas les prix pratiqués par les associations avec lesquelles on pourrait être mis en concurrence (2). Qu'une personne soit formée par nous, la Croix Rouge ou les sapeurs-pompiers, peu importe. Seul compte qu'une part toujours croissante de la population soit sensibilisée, voire formée, au secourisme. La rivalité entre associations aurait pour seul effet de nous éloigner de cet objectif.
Corentin LESUEUR
(1) Le PSC-1 (Prévention et secours civiques de niveau 1) est la formation de base aux premiers secours en France. Ce certificat ne peut être délivré que par les organismes et les associations habilités par l’État.
(2) Voir aussi : Secourir, mais à quel prix ?
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