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Blessures sous les casques

Si les pompiers sont de plus en plus souvent confrontés aux agressions physiques et aux insultes en intervention, une autre réalité est trop peu entendue : les blessures psychologiques. Un sujet tabou au sein de la profession. Changement brutal de comportement, attitude addictive ou dépression, les conséquences peuvent être lourdes.

"Parfois, la détresse est vraiment enfouie. » Crédit : Auberie PERREAUT

« Le plus dur, ce sont les interventions qui impliquent des connaissances ou des victimes mutilées... Mais surtout les enfants », explique Laurent Tritsch. Derrière son calme, se devine le poids émotionnel de ses interventions.

Ce médecin-colonel est responsable du Service de santé et de secours médical (SSSM) à Strasbourg. C'est lui qui reçoit les sapeurs-pompiers lors des visites médicales. Des rendez-vous loin d'être anodins. Il vérifie les aptitudes physiques des soldats du feu (1), mais c'est aussi pour lui l'occasion de détecter certaines faiblesses psychologiques, parfois refoulées. « Ce n'est pas parce qu’un pompier est jugé apte physiquement, qu'il va bien et qu'il peut travailler. Parfois, la détresse est vraiment enfouie. »

Lors d'une de ses dernières visites, le médecin est alerté par l'état d'un pompier : ce dernier sent fort l’alcool en pleine matinée. « En creusant un peu, on comprend mieux. Il me raconte qu'il sort d'une intervention lourde, un accident meurtrier. Psychologiquement, c'est dur à supporter. »  Dans des cas comme celui-ci, le médecin aiguille les hommes vers les psychologues du Sdis pour les accompagner.

Ces maux peuvent aussi se manifester par des changements de tempérament. Des attitudes plus froides, distantes, parfois agressives envers le public. Des tensions entre collègues. « Les disputes entre nous arrivent de plus en plus, indique un sapeur-pompier, qui préfère rester anonyme. On est tous sous pression, c'est compliqué à gérer. »

Interview de Romain Pudal (2)

Le stress professionnel, la cause des maux ?

Les conséquences psychologiques du métier restent un sujet sensible chez les pompiers. « C'est l'une des professions les plus stressantes. Une tension liée à l'exposition quotidienne aux risques. Mais personne n'ose en parler », explique Cindy Lehmann, administratrice au Sdis de la Meuse qui travaille sur le stress professionnel chez les sapeurs-pompiers depuis cinq ans.

« On sait depuis un bout de temps que les pompiers sont sous pression. Il y a une réelle détresse qui n'est pas traitée et surtout très peu comprise. L'évolution des missions qu'on leur confie joue un rôle important mais c'est aussi l'exposition aux risques, à la mort. Ce n'est pas facile à gérer tous les jours. Je me souviens d'un pompier qui avait fait une grosse dépression après ne pas avoir réussi à sauver une fillette de 3 ans lors d'un incendie. Résultat, deux tentatives de suicide et un séjour en hôpital psychiatrique, mais aucun suivi psychologique de la part de sa hiérarchie. C'est peut-être ça le problème tout compte fait. »

Lors des formations des sapeurs-pompiers professionnels, l'accent n'est pas mis sur la sensibilisation aux risques psychologiques. « On se forme sur le tas, sur le terrain. Ça fait partie du métier », affirme Jean-Baptiste Schmitt, sapeur-pompier professionnel au Sdis du Bas-Rhin. Si des cellules psychologiques pour les pompiers sont mises en place lors d'interventions impliquant de nombreuses victimes, le suivi individuel est encore perfectible. Il n'y a pas si longtemps, dans certaines casernes, ceux qui désirent saisir l'aide psychologique doivent inscrire leurs noms sur un tableau affiché à la vue de tous. Résultat, très peu de demandes. « Il y a une certaine honte à se faire suivre. C'est trop souvent mal vu de la part des collègues », conclut Cindy Lehmann.

L'image du pompier fort et brave reste encore très ancrée dans les esprits. Beaucoup préfèrent donc rester silencieux pour ne pas briser le mythe.

Naoufel EL KHAOUAFI

(2) Romain Pudal est sociologue au Centre national de recherche scientifique (CNRS). Fort de quinze années d'engagement en tant que pompier volontaire, il enquête sur l'évolution de la profession. Pour lui, le stress professionnel est à l'origine d'attitudes addictives chez les pompiers comme le sexe, l'alcool, ou la cigarette.

(1) Voir aussi : Le corps, outil de travail

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