Titre reportage

/ Annalina Ebert

Variation des prix, concurrence, fluctuation des subventions, les céréaliers européens affrontent des vents contraires. Des difficultés qu’ils espèrent résoudre avec la nouvelle Politique agricole commune (PAC).

Déclin français et filon roumain

En Alsace comme en Roumanie les céréaliers vivent une période de transition. Réduction des aides européennes d’un côté, soutien à un modèle productiviste de l’autre, le secteur essaye de s’adapter.

Jean-Luc Meppiel et Arnaud Perrein sont deux agriculteurs français. Deux producteurs de céréales installés depuis le début des années 1990. Mais deux quinquagénaires aux choix de carrières bien distincts. L’un est implanté en Alsace, l’autre en Roumanie. Les deux sont touchés par les transformations de la Politique agricole commune (PAC). Le premier regrette les prix garantis sur les céréales, abrogés il y a deux décennies alors que l’autre s’inquiète du projet de plafonnement des aides européennes. Ils incarnent deux modèles économiques en mutation.

Vendre à perte

« Je préférerais être payé à un juste prix plutôt que de recevoir des primes », martèle Jean-Luc Meppiel, café à la main dans sa cuisine. Installé à Oberschaeffolsheim, à vingt kilomètres de Strasbourg, le céréalier de 55 ans est lassé de ne pas arriver à vivre de sa production. Avec 60 hectares, la superficie de son exploitation est en dessous de la moyenne nationale située autour de 90 hectares. « Je suis un tout petit » , précise celui qui a pris la relève de son père en 1996. L’Alsace a toujours été une grande région céréalière. Avec près de deux millions de tonnes produites chaque année, elle représente 10 % de la production française de céréales.

Les deux principales cultures de Jean-Luc Meppiel sont le blé et le maïs. Chaque année, il en produit 200 et 300 tonnes qu’il revend au Comptoir Agricole, une coopérative alsacienne. « Je ne sais jamais à l’avance à quel prix mes céréales seront achetées », explique l’agriculteur. Une situation qu’il déplore : « C’est l’un des seuls métiers où on travaille sans savoir combien on va nous donner pour ce qu’on produit. »

Pour réduire ses coûts de production et éviter les intrants chimiques, Jean-Luc Meppiel produit désormais ses propres engrais. Des légumineuses qu'il répand sur ses champs. / Pierre Griner

Il arrive que les fluctuations des cours mondiaux lui fassent vendre ses céréales à perte. Dans ces cas, les subventions européennes deviennent sa principale source de revenu.   « Les aides PAC représentent 20 % de mon chiffre d’affaires, ça m’aide à compenser les prix bas. Sans elles, je ferme boutique », souligne Jean-Luc Meppiel.

L'aubaine roumaine

À Mihail Kogălniceanu, au sud-est de la Roumanie, des champs à perte de vue, parsemés de neige. Une énorme draineuse orange avance lentement vers un fossé. Des morceaux de tuyaux jaunes dépassent de la terre. « On installe un réseau de drainage », explique Arnaud Perrein qui dirige une exploitation d'environ 4 000 hectares. Le bruit sourd de la machine couvre en partie sa voix. « C'est un système unique en Roumanie, même si c'est commun en France », annonce-t-il fièrement tout en réchauffant ses mains dans ses poches.

Installé sur les bords de la mer Noire depuis 1992, Arnaud Perrein cultive maïs, blé, colza, orge, tournesol et soja. « J'ai découvert la Roumanie après mes études, lors d'un voyage en Europe de l'Est. J'y ai vu un gros potentiel, raconte-t-il. Il y avait énormément de choses à faire, c'était relativement vierge, et les étrangers étaient les bienvenus. »

Quand Arnaud Perrein arrive en Roumanie, le pays ne fait pas encore partie de l'Union européenne. « La plupart des étrangers venus faire de l'agriculture ici, et qui n'étaient pas plus bêtes que moi, sont repartis parce que ça n'a pas marché, la situation était difficile, se remémore l’entrepreneur. En 1992, on pensait que la Roumanie entrerait dans l'Union européenne au bout de cinq ans. En fait, ça a pris 15 ans. » La situation s’est améliorée depuis 2007, une fois l'adhésion effective. « Les aides de la PAC nous ont apporté une certaine prédictibilité. On sait qu'on reçoit un certain montant chaque année. Avant, on n'était pas sûrs de pouvoir continuer d'une année sur l'autre. Les récoltes sont très aléatoires. », explique-t-il.

En Roumanie, les grandes exploitations sont reines. À Mihail Kogalniceanu, dans les années 1990, Arnaud Perrein achète ses terres pour 500 euros l'hectare. « Aujourd'hui, un hectare en vaut 10 000 », estime-t-il. Un chiffre confirmé par Bogdan Oancea, directeur de Ramses Zwei à Bucarest. « La demande augmente alors que l'offre diminue. De moins en moins de terres sont disponibles », note-t-il. Cette agence immobilière spécialisée dans l'agriculture aide ses clients à acquérir des terres. « Beaucoup sont Allemands, Autrichiens. Certains viennent d'Australie ou des Etats-Unis, liste Bogdan Oancea. Ils sont à la recherche de grandes surfaces à prix raisonnables. » La majorité produisent ensuite des céréales. Avec des tarifs à l’hectare qui restent inférieurs à la moyenne européenne, la Roumanie continue d'attirer pour la qualité de sa terre noire très fertile.

Dans le pays, 1 % des agriculteurs concentrent la moitié des subventions européennes : ceux dont les fermes font plus de 500 hectares. Des aides à l’hectare qui rendent encore plus intéressant le pays pour les investisseurs étrangers. Le directeur de Ramses Zwei Bucarest différencie d’ailleurs deux types de clients dans son agence : « Il y a des agriculteurs, qui viennent vivre en Roumanie. D'autres sont des investisseurs. On leur trouve une équipe pour gérer leurs champs. Ceux-là ne connaissent pas grand chose à l'agriculture. Tout ce qui les intéresse, c'est la réussite financière. »

« Il faut peut-être développer une agriculture de proximité près des villes, mais une agriculture industrielle reste nécessaire », explique Arnaud Perrein. / Mathilde Obert

Pour Arnaud Perrein, en Roumanie « une ferme est économiquement rentable si elle fait au moins 500 hectares.» Il s’inquiète d’ailleurs de la volonté européenne de plafonner les paiements dans le projet de la PAC post-2020, et souhaite continuer à agrandir son exploitation. Une logique que ne partage pas Jean-Luc Meppiel : « Si j’avais plus d’hectares j’aurais plus d’aides européennes. Mais ce n’est pas ce que je veux. »

Maxence Gil, en Alsace et Mathilde Obert, en Roumanie

Boutton pour remonter en haut de la page