Alors que les premières propositions de la Commission européenne sur la future Politique agricole commune (PAC) peinent à convaincre, États, ONG et syndicats cherchent à peser sur les négociations.
À Bruxelles, la difficile course au compromis
Budget, souveraineté, plafonnement des aides : les contours de la PAC 2021-2027 esquissés par la Commission divisent les États membres. La perspective d’un vote avant les élections européennes paraît compromise.
« Nous avons besoin d’une Politique agricole commune (PAC) simple et ambitieuse, avec un budget à la hauteur, pour répondre aux défis qui attendent l’agriculture. C’est notre souveraineté alimentaire qui est en jeu. » Ces mots sont ceux de Didier Guillaume, ministre français de l’Agriculture. Prononcés devant ses homologue européens, le 17 décembre, ils traduisent sa détermination : pas question pour la France d’accepter la coupe de 5% dans le budget de la PAC proposée par la Commission européenne pour la période 2021-2027.
En mai dernier, l’annonce avait fait l’effet d’une bombe. Dès le mois suivant, 20 des 27 ministres de l’Agriculture de l’Union européenne (UE) réunis à Luxembourg s’étaient fermement opposés au passage d'un budget de 408 à 364 milliards d’euros. Pour résumer leurs doléances, les ministres ont déploré qu’il soit demandé à leurs exploitants « de faire plus avec moins ». Cela à l’heure où les consommateurs européens poussent pour davantage de qualité dans leur assiette.
Brexit, migration, sécurité... Du côté de la Commission, on rétorque que le contexte actuel impose de consentir à cette diminution de budget : « Nous faisons face à une situation inédite. Avec le départ du Royaume Uni, nous accusons un manque à gagner de l’ordre de 12 milliards d’euros. À la base, nous parlions même de 15 à 30% de réduction. » Coup de bluff ou reflet d’une réalité financière, Phil Hogan, commissaire à l’agriculture, s’attendait à ce que sa proposition reçoive un accueil houleux. « Nous avons fait la meilleure proposition possible, assurent ses collaborateurs. Maintenant, libre aux États membres d’augmenter leur contribution au budget de l’Union. »
Des plans stratégiques propres à chaque État
En projetant un accord avant les élections européennes de mai 2019, la Commission a enclenché une véritable course contre la montre. Un calendrier ambitieux lorsque l’on sait que la réforme de la précédente PAC avait requis deux années de négociations. Pourquoi alors miser sur un si court délai ? « L’idée initiale était de permettre à la nouvelle PAC d’entrer en vigueur en 2021 », précise-t-on à la Commission. Une hypothèse qui parait de moins en moins tenable. D’une part, car le Cadre financier pluriannuel 2021-2027 de l’UE n’a pas encore été voté par les États. D’autre part, car il n’est pas impossible que le Parlement européen élu en mai ait d’autres priorités que la PAC et en reporte la réforme.
Pour ce qui est du fond de la réforme, un point majeur ressort des premières propositions : la question de la subsidiarité. En clair, la Commission souhaite donner une plus grande marge de manœuvre aux États membres. Si la mesure est acceptée, ceux-ci devront présenter chaque année des plans nationaux adaptés à leur modèle agricole : grandes exploitations, élevages de montagne, agriculture traditionnelle, digitalisée... La Commission, qui prévoit une période de transition de deux ans, se donnera jusqu’à huit mois pour les valider. Pour l’exécutif européen, c’est aussi une manière de responsabiliser les États membres : « La période où les gouvernements pouvaient se défausser sur Bruxelles doit prendre fin ».
Autre point important de la réforme : la volonté d’une répartition plus équitable des dotations européennes. Aujourd’hui, 20% des exploitations, les plus productives, perçoivent 80% de fonds. La Commission entend désormais limiter cette concentration et soutenir davantage les petits agriculteurs. Avec la réforme, les aides à l’hectare diminueraient à partir de 60 000 euros par exploitation et seraient plafonnées à hauteur de 100 000 euros.
Une PAC commune pour des agricultures diverses
À l’image du budget, les propositions de la Commission peinent à convaincre les États membres. Au cœur des interrogations : la subsidiarité. « Tous les pays sont d’accord sur le principe », affirme une source française à Bruxelles. Cependant, ils craignent qu’une PAC à la carte puisse entraver le principe de concurrence équitable au sein du marché. Pour l’heure, les positions des États ne sont pas encore clairement arrêtées.
En mai dernier, le Parlement européen s’était lui aussi fait l’écho de ces craintes. Auteur d’un rapport sur l’avenir de l’agriculture, Herbert Dorfmann (PPE, droite) avait averti contre le risque d’une « renationalisation » de la PAC : « Il y a des contraintes différentes selon les pays qui font qu’on ne peut obliger toute l’Europe à faire les mêmes choix. Mais si l’UE ne surveille pas les plans nationaux, les risques de distorsion de la concurrence sont élevés ». À en croire une diplomate française, « si les eurodéputés sont hostiles à cette proposition, c’est aussi parce qu’ils ont peur d’être exclus des discussions autour des plans nationaux, qui ne concerneront que la Commission et les États membres. »
Dernier sujet sensible, en particulier pour les pays d’Europe de l’Est : le plafonnement des aides directes à l’hectare. En Roumanie notamment, on trouve de grandes propriétés terriennes héritées de l’époque communiste. À partir de 2021, celles-ci percevraient moins d’aides qu’aujourd’hui. Inacceptable pour le gouvernement. La COPA-COGECA, principale confédération européenne de syndicats d’agriculteurs, est également contre. Pour cet acteur majeur des négociations, la priorité est de soutenir la compétitivité.
Trouver un consensus entre les États sur la réforme à adopter, c’est le rôle que devra endosser la Roumanie, qui assumera la présidence du Conseil dès janvier pour une durée de six mois. Elle devra trouver un équilibre entre les différentes visions de la PAC qui s’affrontent, notamment entre interventionnistes et libéraux. Sur le plan environnemental par exemple, la France défend les mesures contraignantes portées par la Commission quand les Pays-Bas favorisent l’incitatif.
Ces questions font toujours l’objet de débats entre les ministres de l’Agriculture des États membres : ils se retrouveront à quatre reprises au Conseil avant les élections européennes. « Les chefs d’État voudraient un accord sur la réforme à l’automne 2019 », explique-t-on au Conseil. Une manière de dire à la Commission que les délais qu’elle préconise sont impossibles à tenir.
« Il faut donner une chance à cette nouvelle PAC »
Florian Bouhot et Cédric Pueyo
Florian Bouhot et Cédric Pueyo, à Bruxelles
Pour les syndicats français, la copie est à revoir
Les syndicats français ne sont pas convaincus par la proposition de réforme de la Politique agricole commune (PAC) de la Commission européenne. Le premier d'entre eux, la FNSEA, 200 000 adhérents, craint particulièrement une mise en concurrence intra-européenne qui favoriserait la concurrence étrangère. « La marge de manœuvre laissée aux Etats membres nous pose problème », explique Henri Brichart, vice-président de l'organisation. Du côté de la Confédération Paysanne et la Coordination Rurale, le rejet est plus profond. « On a désarmé la PAC de ses outils de protection, pointe François Lucas, président d’honneur de la Coordination rurale. Cela a conduit à la précarisation des agriculteurs. » Chacun de leur côté, les deux syndicats veulent que la PAC garantissent des prix minimum pour les produits agricoles. « Nous voulons permettre aux paysans de se réinstaller sur les territoires, insiste Thierry Jacquot, secrétaire national de la Confédération paysanne. C'est la seule façon de faire vivre les campagnes. »
Thibaut Chereau