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Accord de pêche avec la Mauritanie : l'UE joue la carte de la transparence


11 mai 2016

Mardi 11 mai, le Parlement européen a approuvé un nouveau partenariat de pêche entre l'Union européenne et la Mauritanie. L'accord est présenté comme un modèle de transparence, de durabilité et d’aide au développement.  

Les députés européens ont validé le 11 mai à Strasbourg un nouvel accord de pêche avec la Mauritanie. Initié en 2004 par le Conseil, les Accords de Partenariat de Pêche Durable (APPD), permettent aux européens d'avoir accès aux ressources halieutiques excédentaires dans la zone économique exclusive des pays partenaires, une quinzaine actuellement. Après 16 mois d'âpres négociations, le protocole signé en juillet 2015 avec la Mauritanie, et adopté 10 mois plus tard au Parlement est de loin le plus important en termes financiers. Chaque année, 55 millions d'euros de contreparties financières seront versées pour 281 500 tonnes de poissons. « Je ne pense pas qu’on puisse trouver un accord aussi transparent et aussi clair. Il peut servir de cas d'école », estime Patrice Brehmer, chercheur à l’Institut de Recherche et Développement (IRD) et responsable du  projet "AWA" (Approche écosystémique de la gestion des pêches et de l'environnement marin dans les eaux ouest-africaines).

Consensus autours d'un « accord modèle »

Du côté des parlementaires européens, on salue l’exemplarité du texte qui doit servir de modèle pour tous les accords futurs. La vice-présidente de la commission de la pêche au Parlement européen, la Suédoise Linnéa Engström (Les Verts), a décidé de voter en faveur du protocole avec la Mauritanie afin d'apporter son appui aux dispositions de soutien aux pêcheurs mauritaniens et de préservation des stocks. Les navires européens ne sont autorisés à prendre que le surplus, c’est-à-dire les quantités que la flotte mauritanienne ne pêche pas. Depuis 2013, les navires européens ont interdiction de pêcher des céphalopodes (la famille du poulpe) en raison de leur surexploitation. Mais le nouvel accord va plus loin en consacrant l'exclusivité de la pêche aux poulpes aux Mauritaniens. Un pas dans la bonne direction, selon le président de la confédération africaine des organisations de pèche artisanale, Sid Ahmed ould Abeid: « Le poulpe revient aux Mauritaniens. Pour la première fois, on nous a reconnu le droit d’exploiter seuls notre ressource, c’est une mesure qu’il faudrait appliquer à d’autres espèces comme la langouste ».

Mais cette disposition fait aussi grincer des dents, et en particulier celles de Gabriel Mato (PPE, centre-droit), le rapporteur sur l'accord au Parlement européen. Le député espagnol met en doute les chiffres fournis par la Mauritanie concernant la population de céphalopodes : « La Commission interdit la pêche du poulpe en se fondant sur des données obsolètes », soupire-t-il. Comme plusieurs ONG, l’eurodéputé accuse la Mauritanie de ne pas jouer franc-jeu et évoque un accord entre le pays côtier et une entreprise chinoise qui inclurait encore la pêche des céphalopodes dans des conditions bien plus favorables à celles auxquelles est soumise la flotte européenne. « Nos navires répondent aux conditions les plus strictes, il faut donc avoir l’assurance que les autres pays sont soumis aux même restrictions », renchérit Jarosław Wałęsa, eurodéputé polonais (PPE, centre-droit) et vice-président de la commission pêche.

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Des innovations en matière de transparence

Si l'accord avec la Mauritanie est « un modèle » c'est aussi pour ses mesures novatrices en matière de transparence. Le texte prévoit notamment que l’Etat mauritanien rende public, dans le détail, tout accord autorisant des navires étrangers à pêcher dans ses eaux. Il s'agit de lutter contre la concurrence déloyale de la part des pays asiatiques, particulièrement la Chine où le marché du poisson explose. « Si la zone est aussi convoitée, c’est qu’elle est l’une des plus productive du monde », explique Patrice Brehmer, chercheur à l'IRD. En cause : un phénomène naturel d’ « Upwelling »: au large des côtes mauritaniennes, les eaux profondes remontent à la surface et drainent avec elles les nutriments qui attirent in fine quantité de poissons. Face à l’opacité qui entoure habituellement les pratiques et accords de pêche, les mesures contenues dans le protocole UE-Mauritanie apparaissent révolutionnaires.

Mais certaines contreparties ne font pas l'unanimité

Aux 55 millions d’euros de contrepartie financière versés par l’UE, s’ajoutent 4,1 millions d’euros par an pour soutenir le secteur de la pêche en Mauritanie ainsi que des mesures favorisant l’emploi local. Ainsi, 60% de l’équipage des navires doit être mauritanien et les déchargements doivent s'effectuer dans le port de Nouadhibou, au nord du pays. Pourtant jusqu’au dernier moment, Gabriel Mato (PPE, centre-droit), originaire des Canaries, à 800 km des côtes mauritaniennes, a tenté de convaincre la Commission qu’une partie au moins des poissons devraient être déchargés dans les ports de sa région. « Les Canaries sont une région périphérique, affirme-t-il, et le chômage atteint 60% chez les jeunes. Nous disposons d’infrastructures excellentes pour recevoir les chargements. Pourquoi ne pas les utiliser et créer de l’emploi ? ». Malgré le refus de la Commission, il promet de ne pas baisser les bras et affirme vouloir mettre en place un accord de développement entre les Canaries et la Mauritanie qui inclurait une clause de déchargement provisoire dans le port de Las Palmas. Malgré ces réserves, le rapporteur a fini par voter en faveur du texte.

Pêche en eaux troubles

Du côté des députés écologistes en revanche, les réserves portent sur la mise en oeuvre de ce rapport. « Personne ne sait vraiment ce qu’il se passe dans ces eaux », reconnaît Linnéa Engström (Les Verts), « certains bateaux jouent sur les différents types d'accord qui existent avec la Mauritanie. D’autres naviguent sous pavillon local mais sont la propriété de firmes asiatiques » poursuit-elle. L’ONG  de défense de l’environnement Oceana abonde dans le même sens et affirme que le nombre de bateaux européens présents dans les eaux mauritaniennes fourni par la Commission ne correspond pas à la réalité de ses observations satellites. « Certes l’Europe fournit des outils de contrôle comme des balises satellites et des systèmes de radio mais certains pêcheurs savant très bien les contourner », ajoute Ahmed Ould Abeid, de la confédération africaine des organisations de pêche artisanale. Sans nier les limites des systèmes de contrôle actuels, la plupart des eurodéputés se sont entendus pour considérer qu'il reviendra à des accords ultérieurs de les améliorer.

Pour un approche régionale de la pêche européenne

Pour le chercheur Patrice Brehmer, la principale faiblesse des accords de pêche de l’UE en Afrique réside dans le fait qu’il s’agit d’accord bilatéraux, alors que les ressources halieutiques sont régionales. « Les poissons ne connaissent pas de frontières » explique-t-il, «une surpêche dans les eaux d’un pays peut avoir des conséquences dramatiques chez le voisin ». Non seulement les pays obtiennent des conditions plus ou moins favorables en fonction de leur capacité à négocier mais leurs intérêts divergent :  « Pour la Mauritanie la pêche est surtout une ressource financière alors que pour le Sénégal par exemple, elle est indispensable en matière d’emploi et de sécurité alimentaire. Une approche régionale est donc nécessaire ». Mais l'Union européenne maintient le cap : le 11 mai, le Parlement a ainsi également validé un nouvel accord bilatéral avec le Libéria.

texte: Joris Bolomey, Carol Valade

photos: Carol Valade

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