Des sans domiciles fixes strasbourgeois ont trouvé refuge au gymnase Branly, transformé en centre d’hébergement d’urgence pour lutter contre le grand froid. Mais ce mercredi, ils sont contraints de retourner vivre dehors.
Les températures baissent à mesure que le soleil descend dans le ciel. Dans le même temps, ça s’active aux abords du gymnase Branly. Le parking se remplit petit à petit en ce mardi 16 février au soir. Bonnet sur la tête, cachant parfois des écouteurs, et un sac en bandoulière, des hommes arrivent les uns après les autres. Aucun coach à l’horizon pour les accueillir, mais deux bénévoles de la Protection civile se tiennent côte à côte sur le pas de la porte d’entrée. Depuis le jeudi 11 février, l’enceinte sportive où rebondissent habituellement ballons de volley et de basket a été réquisitionnée par la préfecture du Bas-Rhin pour accueillir les sans-abri strasbourgeois, et les protéger de la vague de grand froid qui s’est abattue sur l’Est de la France.
"C’est plutôt confortable. On a de la nourriture, des repas chauds le midi et des pâtes le soir, un accès aux douches, et les bénévoles sont sympas… Seuls les lits ne sont vraiment pas confortables !", lâche Fousseni, café à la main. Le jeune homme de 23 ans, bonnet sur la tête, raconte dormir les bons soirs dans l’un des hôtels que le 115 lui fournit. Les mauvais, quand le numéro d’urgence ne lui propose pas de solution, c’est sur le canapé d’un ami ou dans la rue qu’il passe sa nuit. Comme la plupart des bénéficiaires, il reste évasif sur son passé, et sur les aléas de la vie qui l’ont amené à occuper ce soir l’un des 40 lits de fortune alignés militairement le long du terrain de basket.
Une pièce chauffée, un kit d’hygiène, et du gel, des masques et une prise de température à l’entrée, Covid oblige. Florian Schoettel, cadre opérationnel dans le Grand Est de la Protection civile, est satisfait de ce dispositif mis en place, permettant “d'offrir une petite semaine de répit" aux sans domicile fixe. “Rien de bien sorcier”, reconnaît-il, simplement la “mise en place d’une zone d’accueil, de réfection et de secours au cas ou”, dont la Protection civile est chargée de s’occuper en journée, et la Croix rouge la nuit.
"Retour à la rue"
Sous sa veste orange fluo, masque sur le nez et entre deux coups de téléphone, il explique avoir eu pour instruction de lever le camp dès mercredi matin. L’annonce par la préfecture, ce mercredi 17 février, de la rétrogradation du "plan grand froid" du niveau 2 au niveau 1, faute à des températures qui dépassent les 10 degrés en journée, sonne par la même occasion la fin de ce centre d’hébergement d’urgence éphémère. Et les associations n’ont pas leur mot à dire.
"Retour à la rue", résume Vochi, cinquantenaire au fort accent des pays de l’Est de l’Europe, qui raconte avoir quitté la Tchétchénie pour la France en 2004. "Ici, c’était pas trop mal, mais après, je ne sais pas ce que je vais faire. J’appelle le 115 tous les jours, et à chaque fois ils me disent qu’il n’y a plus de place. On m’a parlé d’une solution pour moi le 3 mars. Et pendant 20 jours je dors et je mange où ? On est traités comme des animaux", peste celui qui passe son troisième hiver consécutif dehors.
Peur du lendemain
Tous appréhendent la fin de cette semaine au chaud. "Avant de venir ici j’ai passé quelques jours à l’hôtel, explique Raed, un Irakien de 47 ans, arrivé en France en 2017. La seule chose que je sais, c’est que je dois aller à la préfecture pour déposer un dossier, et ensuite, je ne sais pas où je vais aller." "On vit au jour le jour. Je ne sais pas ce que demain me réserve", renchérit Fousseni.
Déambulant dans les rues de Strasbourg ce mardi soir, à la recherche de sans-abri qui auraient refusé une place d’hébergement par peur souvent de la collectivité, une petite équipe de maraudeurs confie elle sa préoccupation. S’ils assurent ces derniers jours avoir constaté une baisse du nombre de sans domicile fixe, "tous ceux qui le souhaitaient ont trouvé une place d’hébergement", ils s’inquiètent de la fermeture à venir du gymnase et des autres endroits où des places en urgence avaient été trouvées : "Derrière, il n’y a pas de solution. Dans quelques jours il y aura plus de monde à la rue. Ça nous fait de la peine et on est assez frustrés."
Difficile cependant pour les maraudeurs d’évaluer le nombre de personnes qui dorment dehors à Strasbourg. En mars 2020, les bénévoles de la Nuit de la solidarité avaient eux recensé 265 sans-abri dans la capitale Alsacienne, tout en reconnaissant que leur décompte n’était probablement pas exhaustif.
Julien Lecot