Âgée de 34 ans, cette réfugiée et sa famille ont été contraints de fuir leur pays. Arrivée en France en 2019, la jeune femme se démène pour obtenir une carte de séjour longue durée et un logement pérenne.
Salomé et ses deux filles dans le salon de l’appartement qu’elles squattent depuis décembre 2021. Photo Cuej.info / Théodore Laurent
En cet après-midi de septembre, le ciel grisonnant donne un aspect morose à ce vieux bloc jaune topaze de neuf étages, situé à la Meinau. Les quelques hommes errant devant le hall d’entrée marchent en direction d’un parking désaffecté. L’immeuble, qui appartient à la société immobilière In’LI Grand Est, a été investi depuis décembre 2021 par une centaine de sans-abris, en grande partie d’origine géorgienne. C’est dans un appartement localisé en rez-de-chaussée que nous accueille Salomé Sakandelidze, 34 ans, large sourire et cheveux blonds décolorés, originaire de Roustavi dans le sud-est de la Géorgie. Elle arrive en France en 2019 accompagnée de son mari, architecte, et de sa fille âgée de 8 ans.
La trentenaire invite à s'asseoir dans le salon, occupé jusque-là par ses deux enfants - son autre fille Merienn aura deux ans en décembre - et le fils d’un voisin. Un simple tissu vert sépare la pièce principale d’une des chambres de l’appartement où émanent les bruits de ronflement d’un ami hébergé par la famille. Il y a quelque chose de suave dans le regard de la jeune femme, qui ne dit rien de son tumultueux parcours. Salomé, juriste de formation ayant étudié le français à l’école, est plongeuse et pâtissière dans un restaurant du centre-ville. Elle travaille de 11h à 17h pour un salaire de 900 euros par mois. Son mari, lui, est employé dans une boulangerie.
Fuir sa terre natale
En Géorgie, son époux subissait intimidations et menaces à répétition. « Il avait vu quelque chose qu’il ne devait pas et s’était mis à dos une bande de voyous », assure Salomé. Drogue ? Violence ? Elle élude : « Chez nous, les criminels sont de mèche avec la police. Mon conjoint s’est déjà fait rouer de coups par des policiers. On retrouvait les pneus de notre voiture crevés…» Craignant pour leur vie, la famille rejoint Barcelone en avion. « Il y a une forte communauté géorgienne dans la capitale catalane. Par malchance, certains d'entre eux étaient affiliés avec les crapules qui nous en voulaient », signale-t-elle. Direction Strasbourg, où une connaissance de Salomé s’est établie. Le répit durera moins d’une semaine. Son amie est expulsée de son logement et les quatre Géorgiens s’entassent dans la voiture de celle-ci.
Parallèlement, cette passionnée de chant et son conjoint entament les démarches pour obtenir une carte de séjour. Elle dépose son dossier auprès de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l'Intégration) qui l’accompagne dans sa demande d’asile auprès de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Cette dernière sera refusée. « Ils m’ont signalé que je n’avais aucune preuve. Vous pensez que si tout allait bien, je serais venue en France pour habiter dehors ? », articule celle qui ajoute le pronom « notre » devant le mot président, évoquant Emmanuel Macron. Pourtant, c’est son gouvernement qui a promis de lutter contre « l’anomalie » de la migration géorgienne, considérant le pays comme « sûr ».
Quand il n’y en a plus, il y en a encore
Après cinq mois, le 115 leur trouve finalement une chambre, sans cuisine, dans un hôtel à Eckbolsheim. L'OFII revient vers elle peu après, lui octroyant une carte de séjour de trois mois et une somme avoisinant les 2500 euros. « Mon premier réflexe a été d’acheter une voiture au cas où nous serions amenés à nous retrouver dehors », dit-elle avec un sourire qui ne s’estompe jamais malgré les vicissitudes.
Un choix judicieux : après avoir transité par un autre hôtel, elle se retrouve de nouveau sans rien. Alors enceinte de Merrien, elle dort pendant plus de deux semaines dans son véhicule avant d’être relogée dans une chambre à Schiltigheim, là aussi sans cuisine. La suite : on lui diagnostique une hépatite C dont elle se remettra. Sa carte de séjour est prolongée, sa fille est scolarisée, elle donne la vie à son deuxième enfant et trouve un travail en CDD de deux mois dans un restaurant. Grâce à ce contrat, elle sous-loue légalement un appartement à un particulier en villégiature. La fin des ennuis pour la trentenaire et sa famille ? Pas si vite. Un ami, qu’ils hébergent temporairement, transmet le virus de la tuberculose à ses deux filles. « J’ai eu si peur, mes enfants c’est toute ma vie. Je n’aurais jamais pu m’en remettre s'il leur était arrivé quelque chose », confie l’ancienne juriste. La mère craignait que ses deux filles ne puissent pas bénéficier des soins, ne disposant pas de carte vitale. Elles sont finalement prises en charge par l’AME (Aide médicale de l’Etat) et soignées.
Le combat d’une vie
La date de retour du propriétaire se rapprochant, le problème du logement refait surface. « Un ami géorgien me signale qu’il y a des appartements vides, avec eau chaude, électricité, se remémore-t-elle. Un squat mais je n’ai pas d’autre solution ». Elle débarque dans ce 4 pièces en décembre dernier. Un énième logement mais toujours autant d’incertitudes, le propriétaire de l’immeuble ayant déposé plainte pour demander l’expulsion des squatteurs. Le tribunal de Strasbourg rend une décision favorable à celui-ci en juillet. Salomé reçoit un avis d’expulsion. Celle qui a meublé entièrement son appartement, repeint les murs en crépis-ocre, orné ceux-ci de tableaux, s’inquiète de se retrouver une nouvelle fois sans toit. Elle pourrait également voir tous ses meubles saisis. Ce n’est pas une raison pour tomber dans une forme d’apathie. Grâce à ses fiches de paie, elle espère obtenir un titre de séjour longue durée et être rejointe par son fils aîné de 11 ans, resté avec sa grand-mère, fruit de son premier mariage. Son combat continue.
Théodore Laurent
Édité par Christina Genet