Stive Aropivia, membre de la diaspora gabonaise en France, organise samedi sur la place de la République le "procès" public d’Ali Bongo, président contesté du Gabon.
"Situation indescriptible", "chaos", "torture", "fosses communes", Stive Aropivia n’a pas de termes assez durs pour décrire la situation de son pays natal, le Gabon. Installé en France depuis 2003 et père de trois enfants, c'est la réélection d’Ali Bongo le 31 août 2016 à la suite d’un scrutin largement contesté qui pousse le trentenaire, autoentrepreneur, à s'investir depuis la France, pour "rétablir la vérité électorale" et alerter la communauté internationale sur les "crimes d’Ali Bongo et de ses sbires". Il organise samedi 9 septembre un faux procès du président gabonais sur la place de la République à Strasbourg, au terme d’une marche depuis le Parlement européen.
Bongo après Bongo
Ali Bongo est élu président de la République du Gabon en 2009. Il prend alors les rênes du pays à la suite de son père, Omar, qui a régné sans partage sur le pays d’Afrique centrale depuis 1967. "Lorsqu’il s'est imposé le première fois, certains ont voulu le voir diriger avant de le juger, confie Stive Aropia. Je faisais partie de ceux-là." Installé au pouvoir, Ali Bongo promet tout. Davantage de droits et de libertés, une économie florissante, un "Gabon émergent" avec des logements, beaucoup de logements. Sept ans plus tard, le constat est amer. Steve Aropia parle d’un bilan "plus que catastrophique". Et ironise : "Il a fait pire en sept ans que son père en quatre décennies !" Dette publique explosive (4.000 milliards FCFA, plus de 6 milliards d'euros), écoles et hôpitaux dans un "état déplorable", alimentation en eau et en électricité intermittente (plus d'un Gabonais sur deux n'a pas accès à l'électricité en zone rurale), Ali Bongo est coupable au yeux de ses opposants d’avoir réprimé toute contestation pour être réélu en 2016 face au principal opposant Jean Ping. "Il y a eu des morts et des tortures", affirme Stive Aropivia, qui réfute n'être qu'un partisan de Ping, ancien président de la Commission de l'Union africaine. "C'est le peuple gabonais qui a rejeté Ali Bongo, pas des partisans, affirme le militant. Bien sûr qu'il y a des partisans, mais nous sommes avant tout des personnes désireuses de voir l'alternance dans notre pays."
Les opposants du régime Bongo l'accuse aussi d’avoir "dilapidé" les deniers publics. L’héritier d’Omar Bongo se plaît à organiser des évènements prestigieux et coûteux dans son pays. Dont deux coupes d’Afrique des Nations (2012 et 2016, budget de plusieurs centaines de milliards de francs CFA) et les quatre éditions du forum New York Forum Africa, organisé par Richard Attias, l’homme d’affaire marocain en couple avec Cécilia Sarkozy, l’ex-femme de Nicolas Sarkozy.
Le Parlement européen s'engage
La Gabon entretient des relations troubles avec la France, qui joue "un rôle ambigu" dans la crise actuelle, dit Stive Aropivia. Des relations qui donnent lieu à certains des plus gros scandales des dernières décennies, dont l’affaire Elf et celle des "biens mal acquis". Cette dernière occupe la justice française depuis dix ans et a révélé les dizaines de propriétés luxueuses que possèdent les Bongo en France. L'enquête concernant le président gabonais vient tout juste de se clore.
"La diplomatie balbutie mais les préfectures nous autorisent à manifester", remarque le militant strasbourgeois, signe selon lui que les autorités françaises reconnaissent la légitimité de l’opposition gabonaise. Une victoire est obtenue en février 2017, lorsque le Parlement européen vote une résolution très dure contre le régime gabonais, allant jusqu’à qualifier les résultats de l’élection de 2016 d'"extrêmement douteux".
Une victoire que les opposants à Ali Bongo veulent utiliser pour aller plus loin, en amenant le président gabonais à la barre de la Cour pénale internationale. "On aimerait dire à nos dirigeants que désormais, quand on commet de telles atrocités, il y a une justice, explique Stive Aropivia. La CPI sait ce qu'il s'est passé depuis le 31 août 2016. Le Parlement européen montre qu'il a tous les éléments pour attester des crimes commis par Ali Bongo. On veut le dégager du pouvoir."
Samedi matin, Stive Aropivia s’élancera avec ses "amis opposants" du Parlement européen vers la place de la République, via l’avenue de la Liberté, "un symbole". A 14h, le procès commencera. Avocats, activistes, journalistes et artistes gabonais témoigneront et aligneront les preuves "connues de tous" que le régime gabonais a volé sa victoire et a dilapidé le pays. Il y aura aussi Bob le fou, un humoriste, car "la dérision reste la meilleure arme pour ridiculiser le pouvoir".
Laurent Rigaux