Comparutions immédiates, ce jeudi après-midi, au Tribunal de grande instance de Strasbourg. Trois affaires et trois prévenus. Du plus loquace au muet.
« Pourquoi vous avez volé ?
- J'ai besoin d'argent
- Ah. C'était pour le revendre ?
- Je vais pas demander de l'argent tous les jours à mes parents
- Vous préférez voler ?
- Non, mais vous n'avez qu'à me donner du travail
- On ne peut pas tout attendre des autres, monsieur ! Il faut se prendre en main ! »
Dialogue de sourd. François Wendling, président du Tribunal de grande instance de Strasbourg, souffle bruyamment. Le prévenu ne se démonte pas. Oganes, 20 ans, reste campé bien droit sur ses béquilles.
Le jeune homme d'origine géorgienne comparaît, ce jeudi, pour le vol d'un flacon de parfum, dans un magasin du centre-ville de Strasbourg en janvier. Il fixe avec insistance Christine Charras, la procureure générale. « Vous avez besoin d'argent pour acheter des stupéfiants. C'est plus facile de se détruire le cerveau que de chercher du travail », assène-t-elle. Elle requiert l'application de la peine plancher : un an de prison ferme. Un « réquisitoire sévère » compte tenu du menu larcin, avoue-t-elle : un flacon de 57 euros. Mais avec déjà trois condamnations pour vol, c'est justifié, argue le Ministère public : « Monsieur doit se prendre en main et nous, nous devons protéger la société. » Le prévenu marmonne quelques mots. « Silence ! », ordonne le Président.
« Bien sûr, le passé de mon client pèse contre lui... », plaide Me François Zind, son avocat. Il invoque la dépendance du jeune homme aux stupéfiants : « Il est dans un cercle vicieux. Il doit prendre conscience de sa situation ».
Oganes demande à ce qu'on lui attribue « une juste peine d'un mois ». Nouveau soupir du Président. Il en prendra six.
Autre prévenu, autre attitude. Tête baissée, les mains dans le dos comme un enfant que l'on va gronder, Chicco, tout juste 18 ans, répond péniblement aux questions du Président.
Le 5 février, vers trois heures du matin, à Illkirch, il sirote tranquillement une bouteille de whisky avec un de ses amis, dans la voiture de ce dernier. De l'alcool et quelques joints. Une patrouille de police les repère. Ni une, ni deux, les deux acolytes éteignent les phares et font demi tour. A toute blinde sur l'avenue de Colmar, ils grillent tous les feux rouges direction Strasbourg, avant de percuter un autre véhicule à un carrefour. Leur voiture fait quelques tonneaux. Fin de la course-poursuite, sans victime.
Chicco n'a pas le permis. Dans son sang, de l'alcool et du cannabis. L'objectif de la soirée, c'était de trouver des prostituées « que vous appelez élégamment des salopes », ironise la procureure générale. Elle demande six mois de prison ferme avec interdiction de conduire pendant deux ans et 100 euros d'amende pour défaut de maîtrise du véhicule : « Vous prenez le risque de massacrer des gens... Tout ça pour échapper à un contrôle de police ? ».
Chicco regarde ses pieds pendant que son avocat essaye de lui rendre un peu de dignité : « Il a reconnu les faits spontanément et il est très motivé par sa formation de paysagiste. » Il n'évitera pas la prison à son client : six mois dont trois avec sursis assorti d'une obligation de soins et 100 euros d'amende. Silencieux, Chicco regarde toujours ses pieds.
Lui, on n'entendra pas sa voix. Marié, père de cinq enfants, Youssef ne travaille pas et il a déjà été condamné une dizaine de fois. Il est accusé d'avoir volé une voiture, le 17 janvier, devant l'hôpital civil de Strasbourg. Voiture retrouvée deux semaines plus tard, place de la Bourse, sans aucune dégradation.
Youssef a déclaré l'avoir simplement déplacé, parce que « les clés étaient dessus ». C'est confus, embrouillé. « C'est difficile d'expliquer pourquoi Monsieur a déplacé la voiture d'une place gratuite à une place payante », remarque le Ministère public. Pas de réquisitoire, l'expertise psychiatrique a montré que Youssef souffre d'une « schizophrénie ancienne qui le conduit à des actes délirants ». Si Youssef n'est pas dangereux, il agit sans discernement.
La partie civile demande réparation pour la propriétaire du véhicule : « Elle a été privée de son véhicule et elle a dû contester toutes les contraventions qui arrivaient chez elle ». Elle réclame 700 euros.
Une somme jugée exorbitante par l'avocat de la défense au vu des ressources de son client. Elle sera revue à la baisse : Youssef devra s'acquitter de 400 euros de dommages et intérêts. Pour le reste, même s'il a bien commis le vol, il est déclaré irresponsable pénalement.
Lucie MARNAS