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19/02/21
14:40

Il est 18 heures, Strasbourg s'éteint

Voilà maintenant un mois que le couvre-feu à 18 heures, instauré pour freiner la propagation du Covid-19, est en vigueur. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. À Strasbourg, malgré les rues désertes, travailleurs, livreurs, badauds circulent encore, avec plus ou moins de bonnes raisons. Cuej.info est allé à leur rencontre.

18h05, place des Orphelins, près de la grande île. Cinq pongistes ne semblent pas pressés de rentrer chez eux. "Allez, allez, avant que la police arrive !", s’amuse Ali, avant de se lancer dans une ultime partie avec quatre potes. Tous les jours, les deux tables de ping-pong de la place sont prises d’assaut, jusqu’à l’heure fatidique. "Normalement on reste plus longtemps. Parfois en été, on discute jusqu’au petit matin, on refait le monde", poursuit-il entre deux services. Ce lieu est ainsi devenu vecteur de lien social. "On se rencontre autour de la table. Il y a des joueurs de tous les âges, de toutes les religions, c’est un oasis", sourit Ali. Ce soir encore, c’est un match international qui se joue : Steven est Roumain, Didier vient du Sénégal, Jean-Yves est Français et Ali, lui, est Marocain. Parmi les quelques spectateurs bravant eux aussi les interdits, Robert scrute l’affrontement avec une attention particulière. L’ancien joueur en National 3 est aujourd’hui entraîneur à Rosheim. "J’ai plein de copains qui jouent. Certains avec un bon niveau, d’autres pour s’amuser. C’est surtout très convivial !", explique-t-il. La partie s’achève alors que les derniers rayons de soleil se sont éteints. 

© Claire Birague

18h12, avenue Jean Jaurès, dans le Neudorf.  "Sohan ! T’es cherché !" Chaque soir, la scène se répète. Michaela fait le pied de grue à la grille de l’école élémentaire de la Musau et appelle au compte-goutte les enfants. "J’ai une soixantaine de petits à la garderie le soir. Les parents viennent les chercher après leur travail, mais c’est souvent après 18 heures", témoigne l’animatrice. La maman de Sohan s’est garée rapidement devant l’école. "Je n'ai pas pu faire mes courses ce soir, je suis sortie trop tard du boulot. Parfois je suis à l’heure ici, parfois non, c’est comme ça." Mais ces débordements après le couvre-feu ne la stressent pas. "Je suis dans les règles : j’ai l’attestation de mon employeur et le mail de la garderie, il n’y a pas de soucis", glisse-t-elle avant d’embrasser son fils et de filer chez eux en voiture.

18h22, arrêt de tram Jean Jaurès.

[ Plein écran ]

Le tram arrive à l’arrêt Jean Jaurès, les voyageurs se pressent pour entrer et sortir. © David Darloy

18h25, un peu plus loin sur l’avenue. La pharmacie des Tuileries est encore ouverte pour une heure. “On peut accueillir les clients après le couvre-feu en tant que professionnels de santé”, explique un employé en blouse blanche. Après 18 heures, la patientèle se fait bien plus rare qu’à l’ordinaire mais “certaines personnes n’ont pas d’autres horaires pour récupérer leurs médicaments”. Une bonne partie de l’équipe de la pharmacie est présente, tout le monde bavarde derrière le comptoir d’accueil. La pharmacienne la plus âgée confie volontiers : “Je gare ma voiture rue d’Orbey, à une centaine de mètres et je presse le pas quand je rentre parce que ce n’est pas rassurant les rues désertes.”

18h34. Enceinte sportive de l’AS Neudorf 1925. Stéphanie Trognon, ancienne footballeuse internationale et directrice du pôle espoir de football féminin du Grand-Est, débriefe l’entraînement du jour.

18h40, Place des Tripiers, près du palais Rohan. “S’ils nous voient avec les bières, on est dans la merde”, concède Laure dans un sourire. Accompagnée de deux amies, Diane et Léa, l’étudiante en ostéopathie s’est offert un réconfort à emporter au bar The Dubliners. Et même munies d’une attestation les autorisant à être dehors après les cours, les trois femmes se savent trahies par leur breuvage en cas de contrôle. C’est toutefois leur première entorse à la règle, jurent-elles. “Normalement, on va chez des gens, explique Diane. C’est une façon de se faire plaisir”.

18h55, à proximité du square Julius Leber, dans le Neudorf. Philippe sort du travail et promène son chien Gus. Les aboiements de l’animal sont incessants. L’homme, 52 ans, se justifie: “il n’y a aucune agressivité”, promet-il en tenant plus fermement la laisse. Depuis la crise sanitaire, il ressent une augmentation du stress chez son animal. “Nos angoisses se répercutent sur eux. Ils le ressentent et sont extrêmement nerveux.” Une voiture passe, Gustave reprend de plus belle. 

Tous les soirs après le travail, pendant le couvre feu, Philippe Bronnert promène son chien Gus. © David Darloy

19h04, rue de Stosswihr, non loin de là. "Il est en retard ça me soule". Charles, 29 ans, s’impatiente au pied de son immeuble. Il a commandé chinois mais n'a toujours pas de nouvelles de son repas, et encore moins de son livreur Uber Eats. Il est rejoint par sa concubine, Pauline. "Sur l’appli, ça met qu’il a déposé la commande dans le jardin”, informe-t-elle. "Putain !", s’emporte Charles. "On avait la flemme de préparer à manger mais si on avait su…J’ai la dalle ! ", souffle Pauline avant de ratisser la cour de l’immeuble à la recherche de l’offrande, sans succès. Charles décide, lui, d’explorer la rue pour trouver le livreur, peut-être égaré. 

 

19h10, gare de Strasbourg. Pas un bruit, si ce n’est le répétitif message automatique "rouge piéton", piaillé au niveau des bandes blanches, et le ronronnement des moteurs de bus qui attendent leurs passagers. Un groupe de huit étudiants sort de la gare : ils ont entre 20 et 25 ans et rentrent du conservatoire de Colmar. Les trois derniers jours de la semaine, leurs cours de théâtre se finissent à 18 heures, d’où une arrivée tardive à Strasbourg. Ils ne se sont encore jamais fait contrôler après l’heure du couvre-feu et ne semblent pas s’en inquiéter. "On a une attestation", explique une des étudiantes. "Je l’ai jamais imprimée", lance un de ses camarades, sourire aux lèvres et cigarette à la main, provoquant les rires des autres jeunes.

19h11, quartier de l’Esplanade.

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Les livreurs sont nombreux à peupler les rues de Strasbourg. © Claudia Lacave

19h18, arrêt Aristide Briand, au sud-est de la ville. Malik, 22 ans, est accoudé à une barrière en attendant son tram. L’heure ne le stresse pas pour un sou. Il sort du domicile d’une amie et rentre au sien : "Je ne me soucie pas du couvre-feu, si je dois être dans la rue après 18 heures, j’y suis c’est tout." Les possibles contrôles et l’amende qui irait avec ? "Je n’ai presque jamais croisé les flics et quand c’est le cas, ils ne s’arrêtent pas. Ils ont autre chose à faire en fait !"

19h30, dans la Petite France. Deux hommes discutent aux abords de l’Hôtel du département, l’un assis, l’autre debout, tous deux tournés vers l’Ill. "Bah comme vous voyez on boit des canettes en attendant un pote", évacue l’un deux, un rien méfiant. "Comme c’est le week-end pour nous on attend qu’il sorte du travail pour aller se poser chez lui", raconte l’autre, plus détendu. "On préfère l’attendre là et aller chez lui, parce qu’il y a de la famille chez moi. On ramène pas des gens comme ça."

Au même moment, rue du Levant, à quelques mètres du Parlement européen. Marie-Louise, des cheveux blancs et les yeux gentils d’une grand-mère, promène sa chienne. Elle l’assure: "C’est calme, on ne rencontre presque personne après le couvre-feu. Il y a quand même des coureurs de temps en temps". Sa petite boule de poils blanche au bout de la laisse, Gena, fait la fête et demande des caresses. Alors qu’elle s’éloigne, elle s’exclame: "Ah bah tiens regardez!" Deux coureurs en tenue fluo traversent la rue.

19h39, quartier européen.

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Déserté depuis plusieurs mois par les parlementaires européen, le quartier est très calme. © Claudia Lacave

19h49, près du parc des expositions. Yann, un jeune homme aux cheveux noirs, se dirige d’un pas pressé vers le tram. Il est infirmier à l’Hôpital de Hautepierre et aujourd’hui, il travaille en heure de nuit. "Franchement je ne vois pas de différence avec ou sans le couvre-feu parce que je continue à voir pas mal de monde dans les rues et je pense pas qu’ils vont tous bosser".  Lorsqu’il rentre de l’Hôpital à 7 heures du matin, il trouve le tram déjà particulièrement bondé. "Avec le couvre-feu, les gens sont plus concentrés sur certains créneaux."

19h50. Hôtel Ibis Styles, avenue du Rhin

20h11, Nouvel Hôpital Civil. Sarah attend son Uber. Interne en gastro-entérologie, la jeune femme ne quitte jamais les locaux avant 19h et retrouve donc un Strasbourg sans vie. "C’est vraiment pas arrangeant pour faire les courses, il faut se lever plus tôt ou s’arranger entre nous…", regrette-t-elle. Sa vie sociale s’articule donc autour de son lieu de travail. "On ne peut pas sortir mais entre internes, on a une vie sociale. On fait nos gardes ensemble, on mange ensemble. Évidemment on aurait préféré déjeuner ensemble ailleurs. C’est arrivé une fois qu’on fasse une soirée", poursuit Sarah, avant de rejoindre la voiture qui la ramènera chez elle.

20h35, dans le tram B entre Wacken et Homme de Fer. Deladie, une trentenaire auxiliaire de vie en maison de retraite rentre du travail. "Je n’ai pas le choix, c’est le boulot." Épuisée de sa journée de travail, elle apprécie le calme du wagon plus vide que d’ordinaire. "Je suis tellement fatiguée, ça m’apaise. Je peux regarder mes messages, personne ne me dérange, il n’y a pas d’étudiants qui parlent fort ou de personnes qui viennent me demander quelque chose."

20h45, urgences de l'Hôpital civil.

21h, dans le tram C qui part tout juste de la gare. Quelques voyageurs ont pris leur place dans le wagon, leur valise à côté d’eux. Ils reviennent de Paris, ayant pris le premier train qui part après le couvre-feu, celui de 18h43. Jamel revient d’une conférence du Conseil national des universités qui s’est finie plus tôt que prévu. "Il y a plus de gens dehors à Paris, raconte-t-il. C’est un cliché, mais ici les gens sont un peu plus disciplinés." Les autres voyageurs semblent plus fatigués que lui. Ils sont magistrats, stagiaires, médecins. À part eux, le tram est vide.

21h24, route du Polygone, dans le Neudorf. Une silhouette discrète sort d’un immeuble. "Je sors de chez la coiffeuse, elle travaille à domicile", glisse rapidement Mégane, munie d’aucune attestation. "J’habite de l’autre côté de la rue, je vais rentrer rapidement", promet la jeune femme. Sans se faire prier, elle jette un œil furtif à droite, à gauche. Aucune voiture à l’horizon. Elle disparaît au pas de course. 

21h25, station de tram Étoile Bourse. La jeune femme qui semble frigorifiée dans son écharpe rose sur le quai, c’est Simsey. L’étudiante en Master d’administration publique sort de chez son frère. "J’y vais pour profiter de sa connexion internet, elle est meilleure que chez moi. Mais pas tout le temps, quand j’ai des cours importants, là j’avais un oral donc je ne voulais pas que ça coupe." Elle y va deux ou trois fois par semaine. A-t-elle déjà été contrôlée ? "Pas pour le moment, je croise les doigts", joignant le geste à la parole. Elle se confie "Il n’y a vraiment personne on se sent un peu seul…" avant de s’interrompre pour ne pas louper son tram. 

21h40, parc du Heyritz. Pas une âme qui vive. Seuls les ragondins, cygnes et corbeaux s’agitent dans le parc devenu inquiétant de nuit. 

21h55, Tram C, en direction de la gare.

© Marion Henriet

Gino, 15 ans, essaie de se donner une contenance. "J’étais dehors au Neuhof avec des amis, explique-t-il. On n’est pas restés longtemps, juste 30 minutes." Déscolarisé depuis un ou deux ans, l’adolescent n’a pas l’air inquiet de se faire contrôler. "Je me suis déjà fait arrêter il y a deux-trois jours, mais ils m’ont dit que pour cette fois ça allait", raconte-t-il. Avant d’ajouter "Là j’étais obligé de sortir, j’allais récupérer ma carte SIM." Quand, à 22h,  le tram C arrive à destination, on peut encore apercevoir trois-quatre personnes quittant la gare avec leur valise. 

22h20, place de l’Étoile. Le reportage prend fin. Sur une équipe de huit journalistes, un seul aura finalement été contrôlé, en rentrant chez lui, près du QG de la police municipale. Les policiers, armés de leur lampe torche, ne sont pas très enclins à discuter et ne livreront pas leur perception du couvre-feu strasbourgeois. 

Claire Birague, David Darloy, Marion Henriet, Maike Daub, Claudia Lacave, Lucas Jacque, Valentin Béchu, Achraf El Barhrassi. 

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