Depuis près de 30 ans, la compagnie du Théâtre du Potimarron s'est fait une spécialité d'un genre théâtral peu connu : le Théâtre de l'opprimé. Un registre engagé qui se veut social et populaire.
Le jeu de « la bouteille ivre » doit permettre aux participants de travailler sur la confiance. / Photo Hugo Bossard
« On malaxe, on pétrit, on étale et on pâtonne. » L’atelier démarre, et les sept comédiens amateurs du théâtre du Potimarron s’appliquent au « massage du boulanger », deux par deux. Comme chaque mardi, la compagnie Potimarron se donne rendez-vous au Divanoo, café associatif à Bischheim, au nord de Strasbourg. C’est la deuxième fois depuis la rentrée qu’ils se réunissent. Pour l’heure, il faut construire un groupe avant de s’attaquer à des situations plus complexes. « Je propose des jeux qui permettent de travailler sur la confiance », raconte Jacqueline Martin, animatrice de l’atelier hebdomadaire. La troupe qu’elle constitue ne donnera pas des représentations de théâtre conventionnelles. Au Potimarron, la spécialité, c’est le Théâtre de l’opprimé, registre théâtral engagé.
Changer le cours de l'histoire
Si certains participants étaient déjà là l’an passé, d’autres, comme Fatima Wolff, découvrent : « Un théâtre-forum avait été organisé dans mon entreprise, sur le thème du harcèlement sexuel. J’ai trouvé extraordinaire de mettre en scène des situations, et ensuite, de demander au public : qu’auriez vous fait à la place de la victime ? »
Depuis le début des années 1990, la compagnie s’est consacrée Théâtre de l’opprimé. Inventé dans les années soixante par le Brésilien Augusto Boal, ce genre prend souvent la forme du théâtre-forum. Une pièce construite, mettant en scène une situation vécue dans le quotidien, comme le racisme, est jouée au public une première fois. Elle est ensuite rejouée, et les spectateurs peuvent alors intervenir à des moments-clés, pour changer le cours de l’histoire. « Dans le théâtre conventionnel, quand on incarne un oppresseur, il reste oppresseur. Alors que dans le théâtre-forum, l’oppresseur doit évoluer », souligne Jean-Michel Sicard, metteur en scène et comédien professionnel.
Observer sa propre situation de l'extérieur
L'homme aux quatre-vingts printemps a monté la compagnie du Potimarron en 1983 à Strasbourg. « Je voulais faire autre chose, explique-t-il. Il n’y avait pas beaucoup de théâtre dans les quartiers. » Un premier atelier est mis en place à l’Elsau, puis d’autres, dans tout Strasbourg et sa banlieue. Désormais, Jacqueline Martin et Jean-Michel Sicard interviennent principalement en collèges et lycées, même s’ils ont continué l’atelier de proximité tout public de Bischheim, à quelques pas de leur maison.
Chaque mardi, ils sont une dizaine à se retrouver pour préparer leur futur théâtre-forum./ Photo Hugo Bossard
Au fil des semaines et des ateliers, les participants transmettent au couple les situations dans lesquelles ils se sont retrouvés, toujours en les jouant. Jean-Michel Sicard s’en nourrit ensuite pour proposer des pièces : « J’écris précisément ce qu’ils ont vécu, en le mettant en forme pour le théâtre ».
Jean-Louis Hamm, comédien amateur participant appuie : « C’est un théâtre d’intervention, pour que les gens s’entrainent. On voit les situations que nous avons vécues jouées par d’autres. On observe de l’extérieur notre propre situation. » Car « l’atelier va aboutir à un spectacle », espère Jacqueline Martin. C’est en tout cas ce qu’il s’est passé l’an dernier, avec la pièce « L’Humain d’abord », la création 2019 de la troupe, abordant tour à tour l’exploitation de l’homme par l’homme, les discriminations ou encore les conditions d'accueil des immigrés. L’animatrice de l’atelier ponctue : « Ce n’est pas une thérapie, mais des histoires individuelles qui illustrent des problématiques actuelles, avec une visée avant tout sociétale ».
Hugo Bossard