Gerd Krumeich, lundi, lors de la présentation du label 14-18 Alsace. © Quentin Chillou
Dans le cadre du centenaire de 14-18, Gerd Krumeich, professeur d'histoire moderne et contemporaine à l'Université Heinrich-Heine de Düsseldorf, tenait lundi soir une conférence à la Maison de la région pour expliquer les rapports difficiles que l'Allemagne entretient avec la Grande Guerre.
"Pour beaucoup d'Allemands, l'histoire commence en 1945, en 1933 pour les plus cultivés. Il y a beaucoup moins de commémorations de la Grande Guerre qu'en France." Pour Gerd Krumeich, professeur d'histoire moderne et contemporaine à l'Université Heinrich Heine de Düsseldorf, le souvenir de la Première Guerre mondiale est encore un pan de l'histoire allemande relativement oublié, la faute à une histoire tumultueuse.
Une Allemagne choquée par la défaite, pas par les morts
"Même durant les combats, l'Allemagne était divisée sur la conduite de la guerre. On commence à parler de paix dès 1916. En 1917, une résolution de paix est même votée par le Reichstag. Et la guerre ne s'est pas déroulée sur le territoire allemand, il n'y avait donc pas vraiment de sensibilité à la guerre. A la fin de la guerre, personne n'a compris pourquoi l'Allemagne avait déposé les armes. C'est la naissance du mythe du coup de poignard dans le dos, alors que beaucoup d'Allemands, à l'instar d'Hindenburg, considèrent que l'armée n'a jamais été vaincue."
Commémorations : la guerre des tranchées
"La bipolarisation extrême de la vie politique allemande des années 20 a empêché les Allemands de se regrouper autour des monuments aux morts. A chaque fois qu'un groupe d'extrême droite bâtissait un monument en l'honneur des soldats morts, un groupe communiste arrivait pour le détruire, et vice-versa. En plus, les tombes des soldats étaient en France ou en Belgique, et les Allemands n'ont eu le droit de les visiter qu'à partir de 1925. En règle générale, il y avait un manque d'empathie envers les soldats morts au combat."
Le souvenir récupéré par les Nazis
"Hitler a toujours fait la promesse de punir les traîtres et de rétablir l'honneur des soldats. Ce sont les Nazis qui se sont le plus occupé des mutilés. Hitler a distribué beaucoup de récompenses, les blessés de guerre étaient assis au premier rang lors des manifestations, dans les stades, etc. Dès 1934, des films de propagandes traitent de la Première Guerre mondiale. Ils réveillent le souvenir de la Grande Guerre et se l'approprient."
Après la Seconde Guerre mondiale, l'oubli
"Cette récupération par les Nazis du souvenir de la Grande Guerre a contribué à son oubli, après 1945 en quelque sorte, la Première Guerre mondiale a été nazifiée. Comme elle s'est déroulée aussi en Allemagne, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale a supplanté celle de la Première Guerre. Les débats qui ont pu exister dans les années 60 ou 70 traitaient plus des responsabilités politiques dans le déclenchement de la guerre. Il n'était pas question de souvenirs ou de mémoire. Il y a un déficit mémoriel sur lequel on ne pourra certainement pas revenir."
Propos recueillis par Maxime Mainguet