Malgré ces quelques implantations récentes, l'offre de commerces évolue lentement. La majorité des boutiques du Vieux-Cronenbourg y sont installées depuis plus d'une quinzaine d'années. Elles font face aux évolutions du quartier et au changement progressif de la clientèle. "Ce n'est pas facile de trouver de nouveaux clients ; ma clientèle vieillit. Mon chiffre d'affaires a baissé. Depuis vingt ans, il y a un véritable déclin. Avant on avait des magasins de vêtements, des bouchers, un poissonnier", décrit Tania Dos Santos, qui gère depuis vingt-sept ans le salon de coiffure Vagues et couleurs, route de Mittelhausbergen. La construction du nouvel écoquartier n’a pas apporté à Tania la clientèle qu’elle espérait : "Ce sont surtout des jeunes qui s'installent. Ils ne vont pas dans ce genre de salon de coiffure. Soit ils ont les moyens et fréquentent des endroits plus haut de gamme, soit ils se coupent les cheveux eux-mêmes."
"On se bouge, on se remet en question"
Pour séduire cette nouvelle clientèle, Tania considère qu'il faudrait changer la manière de travailler et utiliser des produits végétaux. "Ça attirerait peut-être plus de monde. Mais au niveau du travail, ça ne donne pas les résultats des produits chimiques et c’est beaucoup plus cher." La coiffeuse regrette également que le déclin de son chiffre d’affaires ne lui permette pas de rebondir et d’améliorer ses prestations. "Dans les petits salons comme le mien, il n’y a plus beaucoup d'argent, donc pas moyen d'investir dans le marketing ou la publicité." Malgré sa bonne humeur, Tania Dos Santos semble dépassée par la situation : "J'ai 53 ans, c'est sûr que je ne suis plus motivée comme quand j'en avais 25. Si je savais quoi faire, je changerai de métier."
Sur les douze derniers mois, les tours Kepler ont connu une série d’incendies. Si une partie d’entre eux est de nature criminelle, les habitants assurent avoir vu les pompiers en déclencher dans la tour n°8. "Dans le premier immeuble, ils ont fait des exercices d’incendie une dizaine de fois, des vrais feux, de vrais incendies", assure Sukran. De nombreux habitants sont scandalisés par ces départs de feu qui ont eu lieu dans une tour amiantée, à une vingtaine de mètres de chez eux. Paul Strassel confirme : "Les pompiers nous ont demandé à pouvoir utiliser l’immeuble vide [le n°8]. Il y a eu, pendant quatre mois, quelques exercices de feu." Et ce avant le désamiantage. Le Service départemental d’incendie et de secours du Bas-Rhin (SDIS) n’évoque que des "machines à fumée" et ajoute que "ces manœuvres ne sont plus d’actualité depuis des mois".
Le bio se fait une place
Le quartier compte 134 commerces, dont les deux-tiers situés au sud, dans le Vieux-Cronenbourg. Deux nouveaux commerces ont ouvert ces deux dernières années, attirés par la nouvelle population de l'écoquartier. C'est le cas de l'épicerie Bee Vrac, une boutique qui propose des produits en vrac, ouverte en avril 2018. "Il y avait une vraie demande dans le quartier Saint-Florent avec l'implantation de l'éco-quartier et la mise en place du compost à Rotonde", explique la gérante de la boutique Marion Haenggi. Chaque mois, les locaux de Bee Vrac accueillent des ateliers animés par l'association Zéro déchet. Un supermarché bio Côté nature s'est également installé dans la zone du Marché-Gare. Dans le Vieux-Cronenbourg, une micro-crèche d'inspiration Montessori et le café familial Au Bonnet d'âne ont ouvert récemment. “Il y a une forte volonté de revenir aux commerces de proximité et d'avoir moins de grandes chaînes", estime Marion Haenggi.
Plus de 800 personnes se sont installées à la Rotonde, un ensemble immobilier neuf prévu pour favoriser la mixité sociale.
La Rotonde constitue la nouvelle porte d’entrée Est dans le quartier de Cronenbourg. Lancé en 2012 et porté par le promoteur Demathieu Bard, le projet ambitionnait de créer un espace de mixité sociale aux abords du Vieux-Cronenbourg. La recette : construire dans un espace commun des immeubles pour des publics aux profils sociaux variés.
Achevés en 2018, quatre bâtiments s’alignent côte-à-côte sur un espace de 23 000 m². Bordé par les routes d’Oberhausbergen et Mittelhausbergen, chaque immeuble a ses spécificités. On y trouve des logements privés, sociaux, quelques commerces, un hôtel, ou encore une résidence séniors. Au total, près de 800 habitants vivent à la Rotonde depuis 2018.
Sevgi Satilmis, une ancienne habitante du 9 rue Kepler, relogée en avril dernier dans la Cité nucléaire, soutient que "pendant un mois on n’a pas eu de chauffage parce que les jeunes avaient cassé les tuyaux des appartements en bas." Cette mère de quatre enfants se souvient aussi du sentiment d’insécurité qui régnait après le départ de ses voisins : "Des jeunes venaient squatter l’immeuble et mettre le feu, raconte-t-elle. On ne peut pas reprocher à CUS Habitat la saleté. Ils ont changé les boîtes aux lettres, les portes... Mais à chaque fois, les jeunes cassaient."
Ces démarches administratives exaspèrent les habitants, plongés dans une longue incertitude. Sur le pas de sa porte, au onzième étage, Hadjira Bouchebaa s’indigne : "J'ai eu aucune proposition. Il y a quinze jours, j'ai été appelée, on m'a dit qu'il y avait peut-être quelque chose pour moi, mais pas de nouvelles depuis." La jeune femme et son mari, à l’étroit dans le trois-pièces qu’ils occupent depuis 2012, rêvent d’un F5 à Schiltigheim pour héberger leurs trois enfants. Mais leur demande n’est pas conciliable avec l’offre du bailleur social. Ophéa a déjà averti la famille : "Il n’y a pas beaucoup de cinq-pièces, il faut accepter soit un grand F4 soit un F5 vraiment petit."
Tous les mardis matins, Sukran se rend à la permanence d'Ophéa à Cronenbourg, située au cœur de la Cité nucléaire, où elle rencontre la personne chargée du relogement. Elle confie sa stratégie : "J'y vais pour voir ce qu'il y a, comme ça ils ne me disent pas ‘Vous n'avez pas participé alors je vous donne n'importe quoi’."