Le nouveau parti Egalité Justice présentera ses candidats à Strasbourg et en Franche-Comté. Il s'organise autour d'un programme centré sur la lutte contre les discriminations et les inégalités dans les banlieues. A peine créé, sa proximité avec une association proche du pouvoir en Turquie soulève des questions.
Fatih Karakaya, président de la fédération alsacienne du nouveau parti, entend se faire le porte-parole des quartiers périphériques.
Les binômes d'Egalité Justice se présentent dans les cantons strasbourgeois 2 et 3, ainsi qu'à Schiltigheim, Colmar, Montbéliard et Belfort. Ses candidats strasbourgeois sont tous d'origine turque et musulmans sunnites. Pour autant, "nous ne sommes pas un parti religieux", prévient Fatih Karakaya, président de la fédération alsacienne et candidat dans le canton de Schiltigheim. "La plupart de nos cadres sont turcs parce que c'est un parti très jeune, on vient de le créer, on a publié un appel à candidature sur Facebook mais on n'a pas eu de réponse, alors on s'est tournés en premier vers notre entourage", explique l'informaticien de 37 ans.
Comme lors de la candidature de Tuncer Saglamer aux élections municipales de 2014 à la tête du Mouvement citoyen de Strasbourg (2,3% des voix), des questions se posent sur les liens entre Egalité Justice et le Cojep (Conseil pour la justice, l'égalité et la paix), une association d'origine turque proche de l'AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir à Ankara. Le vice-président d'Egalité Justice, Kadir Güzle, conseiller municipal UMP à Obernai, est également président du Cojep depuis 2014, et Fatih Karakaya en est le porte-parole. "Egalité Justice n'est pas du tout une branche politique du Cojep, même s'il y a des membres du Cojep qui en font partie", se défend Fatih Karakaya.
Des liens allégués avec le Cojep et le pouvoir turc
"Dans la genèse de Cojep, il y a toujours eu cette idée chez les fondateurs d'être les leaders, les porte-parole de la communauté turque", estime Frank Frégosi, professeur à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence. "Dans les années 1990, le Cojep était très proche de l'islam politique turc, puis l'association a essayé de se poser comme expert, comme intermédiaire auprès des pouvoirs publics. Maintenant on assiste au passage au politique." Saban Kiper, ancien conseiller municipal PS de Strasbourg et proche du nouveau parti, considère lui que "l'association Cojep travaille dans le domaine de la citoyenneté participative, elle incite les jeunes à se prendre en main, à s'intéresser à la culture, à la politique. Donc s'il y a des gens issus de Cojep qui rejoignent un parti politique, c'est normal, logique, je ne vois pas le problème".
Pour Muhamer Koç, directeur de l'association Actions citoyennes interculturelles (ASTU), qui œuvre dans le soutien aux immigrés originaires de Turquie, "le lien avec le Cojep est bien là. Il suffit de voir qui compose le parti, que des cadres de Cojep. C'est un parti identitaire, communautaire, qui a une approche culturaliste de l'espace politique, basée sur l'islam et la turcité", assène Muhamer Koç. "Ils sont soutenus par le gouvernement turc actuel. Ça nous fait marrer qu'ils se disent autonomes, représentants de la société civile, c'est juste une organisation pro-AKP".
Un rejet des partis traditionnels
Beaucoup de membres du parti ont fait leurs armes dans d'autres formations politiques où ils déplorent de ne pas avoir trouvé leur place. "On était là pour faire bonne impression, pour la diversité, un peu comme le type raciste qui dit qu'il a un copain noir", regrette Fatih Karakaya, passé par Europe Ecologie. Saban Kiper partage son opinion : "Nous faisons un constat d'échec au niveau de la représentation politique de la diversité comme des politiques sociales à l'égard des quartiers populaires."
"Des membres du Cojep ont essayé de prendre pied dans différents partis politiques, ça n'a pas trop marché, maintenant ils se disent : « Et si on roulait sous nos propres couleurs ? ». Il s'agit de dire aux partis politiques : «Vous ne pouvez pas faire sans nous»", analyse Frank Frégosi.
Lutte contre les discriminations et les inégalités
Un des axes fondateurs de la ligne du parti est la lutte contre les discriminations. L'autre ligne directrice concerne la politique à l'égard des banlieues avec un programme centré sur la réussite des jeunes en passant notamment par l'éducation, la lutte contre l'échec scolaire et la politique de la ville. "Leur programme est un peu attrape-tout. Ils surfent sur l'idée d'être les porte-paroles des sans voix, des quartiers périphériques, mais je ne suis pas convaincu qu'ils y parviennent", considère Frank Frégosi. L'universitaire souligne que plusieurs partis politiques visant les quartiers populaires et les citoyens issus de l'immigration, comme feu le parti des Musulmans de France du Strasbourgeois Mohamed Latrèche ou le parti des Indigènes de la République, ont échoué.
Les élections départementales feront office de test pour le nouveau parti, qui déclare vouloir réunir au-delà des seuls citoyens musulmans d'origine turque. "Quel que soit notre résultat, nous continuerons, et aux prochaines élections nous essayerons de nous développer ailleurs que dans l'Est de la France", déclare Fatih Karakaya.
Raphael Boukandoura