Selon le New York Times et le Washington Post, le président américain Barack Obama s'apprête à annoncer ce mercredi soir le lancement de frappes aériennes contre l'Etat Islamique (EI) en Syrie.
Cette nouvelle campagne s'inscrit dans la continuité des frappes effectuées depuis le 7 août contre l'EI dans le nord de l'Irak. Pour être menée à bien, elle suppose que les Américains identifient des partenaires sur le terrain syrien au sein des groupes rebelles et de la population. Une tâche ardue souligne Romain Caillet, doctorant associé à l'Institut français du Proche-Orient, qu'a contacté Cuej Info.
Cette décision d'étendre les frappes aériennes à la Syrie serait elle une victoire pour le régime syrien ? Ne risque t-il pas d'en profiter ?
Je ne pense pas. Si les Américains interviennent, les bombardements n'auront évidemment pas lieu sur les lignes de front qui opposent l’État islamique (EI) aux troupes de Bachar el Assad. Il s'agirait surtout pour les Américains d'éliminer des cibles spécifiques au sein de l'organisation et de soutenir certaines des forces d'opposition qui combattent l'EI.
Où pourraient donc avoir lieu ces frappes ?
Dans les zones sous le contrôle de l’État islamique [comme la ville de Raqqua], il est déjà trop tard. Dans ces endroits, les Américains ne pourront que mener des frappes ponctuelles pour tenter d'éliminer des responsables ou de détruire des stocks d'armes lourdes. Mais l'EI risque de déplacer ses dirigeants et ses réserves d'armes dans des zones densément peuplées pour décourager les bombardements qui risqueraient de toucher de nombreux civils. Dans l'immédiat, les frappes pourraient intervenir au profit des forces kurdes du YPG [bras armé du parti indépendantiste kurde syrien, le PYD], qui combattent aussi les djihadistes en Irak. Elles auraient alors lieu dans le nord-est du pays, dans la région d'Hassake et au nord, dans la campagne d'Alep, autour de Kobane, deux régions où les kurdes affrontent l'EI. Même si ces interventions risquent de créer des tensions avec leur allié turc qui considère le PYD kurde et son bras armé le YPG comme une excroissance du parti kurde indépendantiste de Turquie, le PKK.
Et dans un second temps, quelles pourraient être les autres cibles?
Ils pourraient s'attaquer aux positions de l'EI dans le nord d'Alep, ou dans les environs de Deir-ez-Zor. Mais il leur faut pour cela se coordonner avec des factions rebelles où avec les tribus locales qui supportent difficilement la domination du groupe. C'est le principal défi qui attend les Etats-Unis s'ils décident de s'engager : trouver des partenaires locaux dans la communauté sunnites et au sein des groupes révolutionnaires. Si les Américains connaissent très bien l'Irak, où ils ont de nombreux contacts avec les tribus locales, ce n'est pas le cas de la Syrie. Ils ne peuvent pas se permettre d'intervenir uniquement en soutien aux Kurdes et laisser les Arabes sunnites se faire massacrer par les bidons explosifs de Bachar el Assad et les voitures piégées de l'EI.
L’État islamique sera-t-il la seule cible de Washington? Qui pourrait aussi s'en prendre au Front al Nosra (proche d'Al Quaïda) ?
Si les autorités américaines veulent monter une coalition contre l'EI, elles ne peuvent pas se permettre de s'en prendre à un groupe qui n'attaque pas les autres mouvements rebelles et se concentre sur la lutte contre Bachar el Assad. Les Américains doivent surtout prendre garde à ne pas radicaliser l'opinion sunnite.
Une intervention américaine pourrait-elle aussi renforcer la propagande de l’État islamique?
Face à l'immense coalition rassemblée contre eux, les leaders de l'EI ne se privent pas de souligner que le monde entier est ligué contre eux mais qu'ils parviennent à résister. De plus, ces bombardements peuvent permettre à l'EI de marquer des points face au Front al Nosra et aux attaques de Zawahiri [dirigeant d'Al Quaida depuis la mort de Ben Laden]. Et EI pourrait ainsi se présenter comme les seuls opposants véritables à la puissance américaine. S'ils décident d'intervenir, les Américains s'engagent donc dans une guerre de basse intensité où il leur faudra absolument trouver des partenaires, ce qui sera long et difficile.
Propos recueillis par Raphaël Boukandoura