Dimanche, 67,9 % des Suisses ont voté en faveur de l'initiative du sénateur Thomas Minder qui prévoit de limiter les rémunérations jugées abusives des dirigeants d'entreprises cotées en bourse.
La Suisse n'est pas connue pour être particulièrement virulente à l'égard du monde de la finance. Après le vote ce week-end de cette initiative, elle pourrait pourtant devenir l'un des pays les plus stricts en la matière. Même si avec la crise de 2008, de nombreux pays ont pris des mesures pour limiter les excès. Près de 260 entreprises helvétiques cotées en bourse sont concernées.
L'initiative populaire, droit donné aux citoyens suisses de faire une proposition de modification de la loi, est un procédé couramment utilisé en Suisse. Dimanche, 46 % de la population est allée voter. Tous les cantons ont voté oui, chose rare.
Thomas Minder (au centre) veut interdire les parachutes dorés. photo AFP
Un succès qui reflète un contexte particulier. Cette initiative populaire du sénateur et industriel, Thomas Minder, fait notamment suite au scandale lié au départ du PDG du groupe Novartis, à Bâle, Daniel Vasella, en février dernier. Ce dernier devait toucher une indemnité de 60 millions d'euros pour éviter qu'il n'aille travailler ailleurs. Mais face au tollé provoqué par l'affaire, il a finalement renoncé à ce cadeau de départ.
La bataille pour une loi d'application ne fait que commencer
Dans son texte, Thomas Minder préconise l'interdiction des primes d'arrivée et des parachutes dorés. Il milite également pour le contrôle par les actionnaires de la rémunération de leurs dirigeants. A charge donc pour ces derniers d'ouvrir l'oeil, aucune protection automatique n'étant mise en place. « Les rémunérations de plusieurs millions resteront à mon avis choses courantes. Par contre, je pense que les 40, 50 ou 60 millions, on ne devrait plus les voir », estime Roby Tschopp, directeur d'Actares, association représentante d'actionnaires.
Alors concrètement que va changer ce vote ? Pour l'instant rien. Il faudra attendre au moins un an pour qu'une loi d'application soit adoptée par le Parlement. Mais cela n'a rien d'évident. Car Thomas Minder ne dispose pas d'une majorité en sa faveur au Parlement. Un Parlement hostile, en l'état, à une initiative qu'il juge trop stricte et qui a déjà mis au point un contre projet. Un texte qui ne prévoit pas de nouvelles normes pénales, le droit pénal actuel donnant déjà des moyens pour lutter contre les abus en matière de rémunération. Faute de majorité, c'est le contre projet qui entrerait en vigueur. Parmi les points de discussion, la méthode du « say on pay ». La formule, permettant de soumettre au vote des actionnaires l'ensemble des rémunérations, a en effet aussi ses détracteurs. Elle ne serait pas toujours la panacée en matière de limitation des hauts salaires.
La classe politique française à l'unisson
En France, des hommes et femmes politiques de tous bords ont salué l'initiative. A commencer par Marine le Pen, hier soir, lors d'une émission BFMTV/Le Point/ RMC/ BFM Bussiness.
Ce matin, c'était au tour d'Harlem Désir de se réjouir de la « votation suisse ». « J’ai envie de dire "vive les Suisses !" », s’est exclamé l’eurodéputé sur France Info.
Harlem Désir et les grands patrons : "Vive les... par FranceInfo
Pour le Premier ministre Jean-Marc Ayrault « il s'agit d'une excellente expérience démocratique ». Interrogé par la presse à la sortie d'un séminaire gouvernemental, il est même allé plus loin, précisant : « Les Suisses souvent nous montrent la voie et personnellement je pense qu'il faut s'en inspirer ».
L'initiative helvète ne fait d'ailleurs pas réagir qu'en France. « Ce qu'a donné ce référendum est un résultat intéressant et cela mérite évidemment que l'on regarde vraiment à la loupe cet engagement pris par les Suisses », a commenté le porte-parole du gouvernement fédéral allemand, Steffen Seibert.
A Bruxelles, la Commission européenne a « pris acte » lundi du « vote important » intervenu en Suisse. Elle a jugé « positif » qu'un mouvement prenne corps pour « plus de transparence » en la matière.
Hugo Jolion et Marc Schmitt