Rita Tataï dirige depuis 20 ans l'Atelier de la Colombe, dans lequel elle crée à la main des costumes qui semblent surgir d’un autre temps. A l’occasion du déstockage d’une partie de ses créations, elle raconte son métier de costumière.
Rita Tataï a ouvert sa boutique en 2002. © Alix Woesteland
L’atelier de la Colombe est comme une parenthèse dans le temps. Ce petit local, caché au fond d’une cour attenante à la boutique de costumes, près du tribunal de Strasbourg, transporte ses visiteurs dans une autre temporalité. À l’intérieur, les rouleaux de tissu colorés, les rubans à imprimés et le son cadencé des machines à coudre donnent l’impression que l’endroit appartient à une autre époque. Rita Tataï, la maîtresse des lieux, habillée dans son ensemble aux larges manches fait maison, se tient à son poste de travail, le regard concentré sur l’aiguille qui traverse le tissu. "C’est un métier dont on ne fait pas le tour ! se réjouit la costumière. Ça fait 40 ans que je crée des costumes et ça me plaît toujours autant." Autodidacte, elle a lancé son atelier il y a une vingtaine d’années. "Je crée des costumes depuis que j’ai 15 ans, se souvient-elle. Je suis entrée par la petite porte, en louant des costumes de carnaval aux particuliers. Et puis quelqu’un qui faisait du théâtre m’a demandé un costume, et j’ai mis un pied dans ce monde-là."
Mais avec la crise sanitaire, l’entreprise a vu son activité reculer drastiquement. "Je travaille avec des particuliers, qui achètent des costumes sur mesure, mais aussi avec des compagnies de théâtre et des entreprises comme Europa Park", explique t-elle. Faute de carnaval, de représentations théâtrales et d’autres manifestations festives, Rita Tataï a décidé d’organiser un grand déstockage de ses costumes, pour assurer une partie de son chiffre d’affaires. "On a commencé à vendre il y a un mois, et ça marche très bien", se réjouit la sexagénaire. Sa boutique est digne d’une caverne d’Ali-Baba : robes de flamenco roses, bleues et vertes, fourrures bayadères, robes de bals qui scintillent, il y a de quoi se sentir transporté dans bon nombre d'imaginaires lointains et féériques.
Des notions d’histoire
Les pièces créées par Rita Tataï nécessitent un savoir-faire qui n’exige pas seulement de connaître les fondamentaux de la couture. "Il faut aussi avoir des notions d’histoire, savoir quelles étaient les façons de faire à différentes époques", analyse t-elle. Ainsi, pour réaliser ses travaux, la costumière consulte régulièrement des collections de musées et des livres de patrons d’époque. "Le seul inconvénient, c’est que ce sont surtout les Anglais qui ont gardé ces traces. Il ne faut pas se tromper et savoir traduire les 'inches' en centimètres", sourit la sexagénaire. Un travail qui requiert parfois un temps considérable. "Le maximum que j’ai passé sur un costume, c’est 400 heures, raconte Rita Tataï. C’était un costume d’Arlequine, composé de 956 morceaux différents." Un vêtement qui coûterait près de 10 000 euros, mais qu’elle a réalisé uniquement pour "montrer son savoir-faire".
Nostalgie des étoffes anciennes
Le côté hors du temps qui se dégage de l’Atelier de la Colombe laisse planer une forme de nostalgie. "Ce que je préfère, c’est réaliser des costumes de la fin du XIXe, début du XXe, parce qu’au niveau des coutures, c’est ce qui était le plus difficile, explique Rita Tataï. Depuis qu’on fait de l'élasthanne, les vêtements sont des sacs à patates qui vont à tout le monde", soupire-t-elle. Désabusée, elle note que le matériel de couture et la qualité des tissus se sont largement altérés. "Une redingote du début du siècle ça tient toujours ! explique Rita Tataï, admirative. Alors que je ne suis pas sûre que les vêtements actuels soient capables de tenir bien longtemps."
Mais cette apparente nostalgie n’empêche pas Rita Tataï d’explorer de nouvelles pistes. Pour la première fois en quarante ans de carrière, elle a réalisé en 2020 des costumes pour un film d’époque, avec pour principales vedettes Sabine Azéma et Lyna Khoudri (meilleur espoir féminin aux Césars 2020) et dont l’action se déroule en 1915. "C’était très intéressant parce que c’était une autre façon de faire des costumes, confie-t-elle. Au cinéma, il y a des gros plans qui demandent qu’on fasse attention au moindre détail, que ce soit très chiadé. Mais il y a aussi des costumes dont on ne voit que le dos, donc le devant, on s’en fiche un peu !" Et la rythmique de sa machine à coudre reprend à nouveau.
Alix Woesteland