L’année 2010 marque la fin du monopole de la FDJ et du PMU sur le pari sportif et hippique en ligne. Cette ouverture à la concurrence voit arriver de nouveaux acteurs privés et bouscule les codes de la régulation du secteur. Analyse de ce tournant et de ses conséquences.
Par David Darloy
On peut parler d’une petite révolution. Le 12 mai 2010, la loi met fin au monopole de la FDJ et du PMU dans le secteur du pari sportif et hippique en ligne, et rend légal le poker en ligne. Une nouvelle ère s’ouvre. L’appel d’air attire une myriade d’entreprises qui comptent bien se tailler une part du gâteau. Les nouveaux sites internet de jeu en ligne pullulent. Le secteur connaît une croissance annuelle à deux chiffres chaque année. Le chiffre d’affaires des opérateurs atteint 1,5 milliard d’euros en 2019. Mais loin d’être homogène, la croissance ne sourit pas à tous. Certaines plateformes vont faire long feu au bout de quelques années.
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Le secteur des jeux en ligne affiche une croissance annuelle constante depuis la libéralisation de 2010.
“L’eldorado n’a pas eu lieu”
“Au début, les gens ont pensé qu’il y aurait comme un eldorado de ces secteurs-là, se souvient Corentin Segalen, aujourd’hui en charge de la lutte contre la manipulation des événements sportifs à l’Autorité nationale des jeux (ANJ). Mais en fait l’eldorado n’a pas eu lieu. Ils ont été un peu déçus.” Le nouveau marché est placé sous la coupe de l’Arjel, l’ancêtre de l’ANJ. “L’objectif de la régulation est de proposer une offre de jeux sûre aux parieurs, rapporter de l’argent à l’État grâce à la fiscalité, mais surtout faire en sorte que le taux d’addiction n’explose pas”, détaille Corentin Segalen. La tâche de cette autorité ne s’arrête pas à la prévention du jeu excessif ni à la protection des mineurs. Depuis la libéralisation en 2010, c’est l’Arjel qui octroie les agréments pour développer une activité de paris sportifs, hippiques ou de jeux de cercle en ligne.
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Son rôle est aussi de lutter contre la manipulation des compétitions sportives et de traquer les nombreux sites illégaux présents sur la toile. Une gageure. Un rapport parlementaire de 2017 pointe un jeu du chat et de la souris dont l’autorité de régulation ne sort que rarement gagnante. Les rapporteurs, Olga Givernet et Régis Juanico, estiment que “l’Arjel parvient à bloquer, par voie judiciaire, l’accès à une trentaine de sites illégaux par an, mais ne se fait pas d’illusions sur la capacité de certains opérateurs à se redéployer sur d’autres sites”.
Pour dissuader les joueurs de se tourner vers cette concurrence illicite, les plateformes légales mettent en place des stratégies marketing pour attirer à elles un maximum de parieurs. Pour cela, elles misent sur une communication agressive et investissent l’espace public : affiches placardées sur les abris de bus ou sur les murs du métro, campagnes publicitaires au milieu des programmes télévisés, offres alléchantes de bienvenue. L’incitation au jeu est partout.
De plus en plus de joueurs, mais des opérateurs difficilement rentables
Et cette communication fonctionne. Au fil des années, le jeu en ligne se banalise dans la société française. L’Arjel comptabilise plus de 5 millions de comptes actifs sur les plateformes de jeux en ligne en 2019. Un chiffre qui a doublé depuis 2010. Mais dans les faits, les opérateurs ont toutes les peines du monde à être rentables malgré l’augmentation constante des joueurs. La faute à une fiscalité ‘‘particulièrement lourde’’, souligne le rapport parlementaire de 2017. En réponse, le législateur décide en 2019 que l'imposition ne sera plus calculée sur les mises, dont une grande partie est reversée aux parieurs, mais sur le Produit Brut des Jeux (PBJ), à savoir le chiffre d’affaires réel des opérateurs de jeux.
Le rapport relève aussi que le segment du pari sportif est le seul à afficher une vraie dynamique depuis 2010 et parle d’un “échec du poker en ligne” et d’une “décroissance tendancielle des paris hippiques”. Ce déséquilibre entre les trois filières de jeu en ligne fragilise la pérennité des opérateurs. Seule une poignée d’acteurs tirent aujourd’hui leur épingle du jeu.
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D’un monopole vers un oligopole ?
Si la loi de 2010 a aboli un monopole pour ouvrir les bondes d’un nouveau marché, la tendance est aujourd’hui à la constitution d’un oligopole de happy few. La difficile quête de rentabilité a découragé de nombreux acteurs qui n’ont pas renouvelé leurs agréments. Des petits sites, encore présents sur le marché, ont aujourd’hui le plus grand mal à attirer la clientèle face aux géants du secteur. Marketing inexistant, cotes peu attractives, site internet passé d’âge, ces plateformes vivotent et semblent ne guère avoir d’avenir.
À moins d’avoir les moyens d’investir et de jouer la carte de l’originalité. En septembre 2020, une enseigne incontournable de casinos en France a lancé son site internet : BarrièreBet. En 2010 déjà, le groupe faisait partie de ceux qui avaient misé sur le poker en ligne et obtenu un agrément. L’aventure avait été brève, seulement deux ans. En développant sa propre plateforme, énormément d’argent avait été investi, mais le public n’avait pas répondu présent. “Les actionnaires sont restés sur un traumatisme, beaucoup de pertes avaient été générées”, relate Stéphane Auffret, en charge du nouveau site. Le groupe Barrière revient avec une nouvelle stratégie et de meilleures armes. Il s’associe à Betcontrust, à qui il loue le logiciel de jeu. “La licence est portée par un autre opérateur, nous on ne fait que du marketing”, détaille le responsable.
“Nous ne sommes pas Unibet, Winamax ou Betclic. On ne peut pas faire de grandes campagnes médias. On voulait concocter une offre de bienvenue agressive, pour entrer sur le marché”, ajoute-t-il. Jusqu’à 250 euros de paris offerts sont promis à la création d’un compte. Une offre sans équivalent sur le marché. “Quand on arrive très en retard, on n'a pas beaucoup d'argent, donc il faut trouver des moyens pour se différencier”, précise Stéphane Auffret. Des concours sont organisés entre les parieurs pour gagner des séjours dans des hôtels luxueux du groupe Barrière.
Un site internet au design chic et épuré rappelle l’idée de luxe renvoyée par la marque. “Notre premier axe de recrutement, c’est notre clientèle physique”, confirme Stéphane Auffret. Une “stratégie phygital”, avance l’enseigne. En temps de crise sanitaire et de fermeture des casinos, mieux vaut redoubler d’imagination pour les professionnels du jeu. Le lancement du site arrive à point nommé.
Face à la crise sanitaire, le jeu en ligne sort gagnant
L’impact de la pandémie est toutefois à nuancer pour les opérateurs de jeu en ligne. L’arrêt brutal des compétitions sportives a marqué une augmentation soudaine des joueurs de poker en ligne. L’interdiction en France de parier sur le e-sport empêche de contrebalancer les annulations en cascade des compétitions et événements sportifs. La législation et ses restrictions limitent les marges de manœuvre des opérateurs.
Toutefois, les jeux en ligne n’ont jamais eu autant la cote. Les bookmakers voient leur PBJ en hausse sur l’exercice 2020. Malgré la crise sanitaire, en dépit du report de l’Euro de football et des Jeux Olympiques de Tokyo, “les paris sportifs et hippiques ont fait leur meilleur été de l’histoire”, constate Corentin Segalen en s’appuyant sur les chiffres de l’ANJ. “La perspective d'ici 2025 dit que ce marché peut encore doubler”, pronostique de son côté Stéphane Auffret, qui fait le pari de l’avenir.