Gagner sa vie en pariant, en jouant au poker ou au bridge, n’est l’apanage que de quelques personnes en France. Un choix de vie risqué : le hasard rend les revenus instables, bouleverse le rythme de vie et les relations familiales.
Par Thibault Nadal et Valentin Naturel
“Au bout d’un moment, le poker c’était trop de pression. Je ne voyais plus mes amis, je m’isolais. Ce n’était pas la vie d’un mec de 21 ans.” Basil Yaïche porte un regard désabusé sur ses premières années de joueur, marquée par l’isolement. Piégé dans le monde du poker, tiraillé entre le fait de gagner de l’argent, et d’en perdre aussi vite le lendemain, ce jeune joueur professionnel est tombé en dépression après avoir remporté de grosses sommes d’argent. Reconverti en coach sur Twitch, il l’assure : la vie d’un joueur pro de poker peut faire perdre le sens des réalités. “En 2008, à 17 ans, je participe à un tournoi, je gagne 200 000 euros les deux premiers jours avant d’en perdre 100 000 le troisième.” Sur le moment, il ne se rend pas compte que ces montagnes russes émotionnelles pèsent sur son moral, car dans le monde des passionnés du poker, les cartes occupent l’esprit à temps plein. Aujourd’hui, Basil s’est trouvé une nouvelle passion : le théâtre et la production de pièces.
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Sortir de l’isolement
Jonathan Gautier s’est lui aussi donné pour objectif de sortir d’un certain isolement. À 38 ans, cet ancien professeur de sport qui se présente désormais comme “parieur professionnel”, déclare ne voir ses amis qu’une fois par an. Marié et père de trois enfants, il ne passe que peu de temps avec sa famille, absorbé à suivre le déroulement des compétitions sportives sur lesquelles il mise. “Les grands prix de moto (son sport de prédilection, NDLR) sont le week-end. Ça demande en moyenne un travail de 35 heures en trois jours, du vendredi au lundi matin. C’est pour cette raison que je ne vois pas beaucoup mes enfants.” Une vie en décalé qui l’amène à passer ses jours de semaine seul. Pour tromper la solitude, Jonathan a dégoté un contrat de dix heures chez Decathlon, une manière pour lui de goûter à la vie d’entreprise. Pour le parieur, cet emploi n’est pas un complément de revenu indispensable. “Ça me rapporte 300 euros par mois. Avec les paris, je gagne toujours au moins 15 000 euros par an lorsque ça ne marche pas bien et 90 000 euros quand c’est plus fructueux. Je n’ai pas vraiment besoin de ces 300 euros en plus.”
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L’un des meilleurs joueurs de bridge au monde, Cédric Lorenzini, connaît le même quotidien. Ce joueur professionnel, originaire de Mulhouse, a des semaines plutôt tranquilles. “Du lundi au vendredi, je cuisine, je fais le ménage et du sport. Mon temps libre s’étale sur la semaine donc je peux difficilement sortir avec des amis car ils travaillent, sauf si je contacte des bridgeurs. J’ai l’impression de passer à côté de certaines amitiés à cause de mon travail.” Un travail qui lui rapporte un salaire mensuel compris entre 5 000 et 20 000 euros.
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Franchir le pas
Le poker et Louis, c’est un peu “je t’aime, moi non plus”. L’étudiant montpelliérain en deuxième année de droit est concentré sur ses études. Son activité de joueur de poker est plutôt modérée. “Je vois le poker comme un job étudiant avec moins de contraintes que si je travaillais au McDo. Quand j’ai envie de faire une pause dans mon jeu, je la fais sans avoir à demander l’accord d’un patron.”
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En deux ans et demi, le jeune homme de 20 ans a remporté 10 000 euros grâce au poker. Pour autant, Louis ne veut pas en faire son métier. “Je pense que je pourrais devenir professionnel, mais je ne me vois pas m’investir à temps plein sur le poker. Et puis, si je veux fonder une famille plus tard, je n’ai pas envie de me reposer sur des revenus obtenus sur un jeu de hasard.” L’étudiant en droit vise une carrière de juge ou d’avocat. Un choix qui, par ailleurs, rassure grandement ses parents.
Julien Martini, lui, a décidé de franchir le pas et de se lancer comme professionnel. En 2019, il a remporté plus de 2 millions d’euros de gains. Et pourtant, il n’a découvert le jeu de cartes qu’à l’âge de 14 ans, presque par hasard, au détour d’une animation dans son club de handball. Il tombe en adoration devant les stratégies et le jeu des probabilités des mains de poker.
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“À l’âge de 18 ans, je gagnais déjà des sommes importantes, décrit Julien. Ça m’a fait un peu perdre le fil. Je me souviens avoir dit à mon père que j’allais acheter un yacht, mais il m’a vite remis sur un chemin moins sinueux.” Julien fait alors une pause de cinq ans et travaille pour Google, où il dit empocher plus de 100 000 euros par an. Un train de vie assez exceptionnel qu’il ne se voyait pas abandonner, jusqu’à ce qu’une vieille connaissance le recontacte pour lui demander s’il voulait se remettre au poker. “Il m’a proposé d’aller m’entraîner à Taiwan et m’a posé une question qui m’a fait réfléchir : ‘Combien d’argent tu veux gagner au poker ?’ Je lui ai répondu ‘1 million !’ Il m’a affirmé que je serais capable de les faire en moins d’un an.” Banco ! Il le concède, tout aurait pu se passer différemment. Promis, juré :“Si je ne réussissais pas mon premier tournoi à Taiwan, je pliais bagages et je rentrais en France.”
Il y a six mois, Nicolas Renault a quitté son emploi de cadre commercial pour devenir turfiste à temps plein. Il baigne dans les courses hippiques depuis tout petit, mais ne s’est mis à parier qu’à la trentaine, au tout début des années 2000. En 2019, à 51 ans, il a fait le pari de réussir à vivre exclusivement de cette activité. Dans la foulée, il monte son propre site de conseils et de pronostics. “C’est aussi une manière de normer un peu plus le fait de vivre des paris hippiques”, explique le père de famille. Il lui aura fallu deux décennies avant de pouvoir franchir ce cap. “Il y a encore deux ans, mon fils était totalement désintéressé par les courses hippiques. La création de mon site va marquer un tournant dans l’approche qu’il a avec ce domaine. Je l’ai abonné pour qu’il découvre mes logiciels et toute la préparation en amont d’une course. Aujourd’hui il est totalement piqué.” Un “cadeau inattendu”, selon Nicolas, qui renforce sa relation avec son fils âgé de 24 ans. “C’est mon premier supporteur, il suit mon évolution, et je peux aussi dire que j’en ai fait un turfiste”, sourit le papa.
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La fiscalité du poker en France