La sortie


La sortie

Le relais des médaillés

Perpétuer la mémoire militaire est une préoccupation pour les associations d'anciens combattants. Chez les vétérans des guerres du XXe siècle, le nombre de cotisants décline sur le territoire français. Dans le Bas-Rhin, la moyenne d'âge de l'Union nationale des anciens combattants atteint presque les 70 ans. Rajeunir les effectifs, Gilles Cortiula, ancien homme du renseignement militaire, en a fait l'enjeu de sa retraite après quarante ans de carrière dans l'armée.

Stratégies de sortie

La fin de la carrière militaire peut marquer le début d'une nouvelle vie professionnelle. Les raisons de sortie sont aussi variées que les manières de l'aborder. Si certains peuvent avoir des difficultés dans cette transition, d'autres ont des plans de sortie bien élaborés.

« Surveiller un camp, franchement, c'est nul ! Tu ne cherches pas ça en t'engageant. Dans un mirador, t'es tout seul et tu t'emmerdes. Alors tu regardes autour, et il y a toujours la même chose. Moi, je m'étais engagé pour faire la guerre. » Alexis*, 25 ans, est très clair quant aux motivations qui l'ont poussé à entrer dans l'armée. En septembre 2013, il a intégré le 13ème bataillon de chasseurs alpins de Chambéry. « C'est quelque chose qui m'a toujours attiré, se souvient-il. Tout ce qui est discipline, sport en montagne et aussi un peu les armes… J'étais parti avec l'idée de faire carrière, mais j'ai préféré signer un contrat de trois ans au lieu de cinq. Je voulais être sûr que cela me plaise ; c'était une sorte de sécurité en fait. »

Quand il s'est engagé, Alexis s’imaginait sur des terrains d'opération réputés dangereux, « où l'on peut être amené à riposter ». En 2012, il est envoyé quatre mois au Tchad. Mais ses missions ne l'intéressent pas, et c'est au cours de cette opération que la déception et l'ennui commencent à le gagner.

Même sentiment pour Lorenzo Tamiaso, qui a quitté son régiment de hussards à Metz après cinq ans de service. S'il ne comptait pas faire toute sa carrière professionnelle dans l'armée, il espérait être envoyé au combat plus souvent. « Je suis parti au Kosovo et à Djibouti, explique-t-il. Mais ce qui est le plus dur, ce sont les phases d'entraînement, car il y a beaucoup d'attente entre chacune d'elles. Quand on est sur le terrain, c'est là que l'on s'amuse le plus et que l'on vit vraiment le métier de militaire. »

Déceptions et désaccords

Lorenzo a trouvé le travail de militaire du rang ingrat, ce qui n'a fait que renforcer son désir de ne pas renouveler son contrat, signé pour cinq ans. « On était mis de côté par certaines des autorités qui ne faisaient que gratter leurs médailles, s'indigne-t-il. Nous, derrière, les petites mains, on faisait tout le boulot et ce sont les gradés qui récoltaient les lauriers. Et puis je voyais que les jeunes qui s'engageaient gagnaient plus que moi, alors ça dégoûte forcément un peu. On veut voir plus haut et toucher plus. Et pour toucher plus, il faut aller dans le civil. »

Des convictions d'ordre politique peuvent également convaincre les soldats qu'il est temps pour eux de quitter l'armée. C'est ce qu'a compris Antoine, 26 ans, après trois ans passés au 61ème régiment d'artillerie de Chaumont, en Haute-Marne. « J'étais opérateur de reconditionnement de drones, explique-t-il. Je ne pense pas que toutes les guerres que l'on fait soient toujours très justifiées. Quand on est militaire, on n'a pas à donner son avis sur ça. En revanche, on peut décider de quitter l'armée, alors c'est ce que j'ai fait. »

« On se sent inutile et vide »

Face à ses soldats exprimant leur désir de quitter l'institution militaire, l'armée tente souvent de les retenir à coups de promesses de grades et de médailles. C'est ce qu'a entendu Kevin, 24 ans, caporal au régiment de Chaumont. Son contrat prendra fin l'année prochaine, mais il a déjà fait part de son souhait de ne pas le renouveler. « On est nombreux à avoir décidé de partir au terme de notre contrat, explique-t-il. Au début, les supérieurs insistent pour te faire rester, ils te promettent des choses, te disent que tu seras dans les prochains gradés mais ça n'arrive pas toujours. Ils ont vu qu'avec moi, c'était peine perdue, que j'avais un projet professionnel solide dans le civil. Alors ils ont abandonné et m'accompagnent dans ma reconversion. »

Les anciens militaires ayant quitté les rangs au terme de leur contrat admettent que la réadaptation à la vie civile s'avère souvent difficile. Tous regrettent l'esprit de camaraderie qu'ils ont connu à l'armée. « C'est une seconde famille, confie Antoine. Ce que tu vis, c'est plus que des collègues de travail. On se fait d'autres potes au boulot dans le civil, mais ça ne vaut pas l'armée. » Lorenzo, lui, a eu du mal à retrouver sa place et son utilité sociale. « Chaque minute était cadrée dans l'armée, on avait tout le temps quelque chose à faire, se souvient-il. En revenant dans le civil, le rythme change, il y a une sorte de boule qui s'installe. On se sent inutile et vide. »

Défense Mobilité, transition accompagnée

Lorsque les soldats décident de mettre un terme à leur carrière militaire et de se reconvertir dans le civil, ils peuvent solliciter Défense Mobilité. Cette agence de reclassement professionnel, qui dépend du ministère de la Défense, évalue le projet de ces soldats, et peut leur payer une formation dans le civil.

Kevin a décidé d’en profiter. « Mon engagement de cinq ans dans l'armée se terminera milieu 2016, explique-t-il. Mais j'ai le droit de commencer mon processus de reconversion un an et demi avant la fin de mon contrat. J'ai fait des enquêtes de métier dans plusieurs entreprises et j'ai rempli de nombreux papiers. En juin 2016, je commencerai une formation de télépilote dans le civil. J'appréhende de ne pas trouver du travail immédiatement. Mais je me dis que si les gens de Défense Mobilité n'avaient pas été confiants, j'aurais dû faire un deuxième choix. » L'armée financera sa formation, qui sera encadrée par un organisme extérieur.

Sorties sèches

Joseph, en opex sur son île natale de La Réunion. Photo DR
Joseph, en opex sur son île natale de La Réunion. Photo DR

Joseph*, 31 ans, fait partie des fusiliers commandos depuis 2007. Il prépare sa sortie de l'armée, sans pour autant faire appel à son organisme de reconversion. « Je me suis engagé pour voyager et rencontrer des personnes, confie-t-il. Mais aujourd'hui j'ai envie de me poser et de mettre mes compétences en valeur sur le territoire français et non à l'étranger. Dès que je pourrai travailler dans le civil en ayant la retraite militaire, je le ferai. Ce ne sera pas avant six ou sept ans, mais je veux prendre les devants. »

Joseph vient d'obtenir son diplôme d'agent de prévention et de sécurité. Il affirme que ses supérieurs militaires ne s'opposent pas à ce qu'il accepte des missions de sécurité dans le civil, dès lors qu'elles n'empiètent pas sur son temps de travail au sein de l'armée. Son but : devenir agent de protection rapprochée. « Mon profil de militaire est très recherché dans ce genre de travail, affirme-t-il. Je sais intervenir quand il faut et me faire respecter. Je pense être plus complet qu'un agent de sécurité qui n'aurait pas fait l'armée avant. »

Christophe Lionne aurait, lui, souhaité bénéficier des formations payées par Défense Mobilité. Après six ans passés au 152ème régiment d'infanterie de Colmar, il a voulu quitter l'armée en 2006. Mais les seules formations qu'on lui offrait ne lui convenaient pas. « On ne m'a pas laissé le choix, car je n'avais pas assez d'ancienneté, explique cet ancien tireur d'élite. Défense Mobilité me proposait seulement une remise à niveau du diplôme que j'avais déjà passé avant l'armée, mais ça ne m'intéressait pas. Alors je me suis débrouillé tout seul. »

Se débrouiller seul : c'est ce qu'avait prévu Philippe Martin, 54 ans, dès ses débuts dans l'armée. Il s'est engagé par dépit, ne trouvant pas de travail ailleurs. Mais cela ne l'a pas empêché de faire 21 ans de carrière au 15ème régiment du génie de Toul. « Nous, on était de vrais faux militaires, plaisante-t-il. Même si on était parfois confrontés à la violence des terrains en opex, la vocation du régiment, c'était plus les travaux publics que l'armée. Finalement, je suis parti sur un coup de tête en 2001. Je voulais voir autre chose et je ne le regrette pas. Je n'ai pas voulu de l'aide à la reconversion de la part de l'armée. Quand vous partez, vous partez : je n'allais pas pleurer à droite et à gauche pour demander un coup de main. »

 

*Les prénoms ont été changés.

 

Gaëtan Plenet

« Une reconnaissance de la dureté du métier »

Depuis 2009, les agences de reconversion professionnelle des trois armées ont fusionné en une seule, Défense Mobilité. Sur tout le territoire français, elle aide les militaires en instance de sortie de l'institution à trouver une autre voie professionnelle dans le civil. Pour Michel Dahes, chargé des relations entreprises à l'antenne strasbourgeoise, les principales armes des anciens militaires dans leur nouvelle carrière sont leurs compétences techniques et leur discipline.

Michel Dahes, adjudant-chef chargé des relations entreprise à Défense Mobilité. Photo Benjamin Hourticq
Michel Dahes, adjudant-chef chargé des relations entreprise à Défense Mobilité. Photo Benjamin Hourticq

Est-ce que l'aide à la reconversion est un argument de recrutement, pour assurer aux jeunes qui s'engagent un futur après l'armée ?

 

La nation met en place un dispositif pour la reconnaissance de la dureté du métier. Être prêt à donner sa vie pour la nation, ce n'est pas anodin. À Défense Mobilité, nous nous trouvons en bout de chaîne. On se présente dès l'incorporation. Mais au moment de l'engagement, les militaires n'y pensent pas forcément. Donc on se rappelle à eux 18 mois avant la fin. C'est un argument que peu d'entreprises proposent.

 

Y a-t-il des secteurs vers lesquels les combattants vont plus s'orienter ?

 

Non. Le combattant que l'on imagine, c'est bien sûr le soldat avec son sac-à-dos, son arme, en train de patrouiller. Le plan Sentinelle à l'heure actuelle montre vraiment un militaire sur le terrain, ce qu'il fait. Mais derrière, il y a tout de même des compétences. Certains militaires peuvent être amenés à se servir d'un véhicule, d'un système d'arme, de téléphonie, de la radio, de la télégraphie. Donc chacun a un savoir-faire qui peut être utile à la sortie. Le rôle des conseillers est d'analyser chaque cas et voir où on peut l'orienter. Nous prenons également en compte ses volontés. Actuellement, dans le privé, beaucoup de sociétés demandent des agents de sécurité, susceptibles d'engager des militaires. Mais il faut que ces derniers en aient envie, c'est une autre question.

 

On pense souvent que les sociétés de sécurité et de convoyeurs de fond sont particulièrement recruteuses d'anciens militaires. Est-ce une réalité ?

 

Il est sûr et certain qu'une société comme Lomis ou Sécuritas va engager d'anciens soldats ou d'anciens gendarmes parce que ces personnes sont déjà formées, ont un savoir-être et une ponctualité. Le fait de se raser tous les matins, de cirer ses chaussures, d'arriver à l'heure précise : ça, l'entreprise en est demandeuse. Elle va préférer ça plutôt que d'essayer de former quelqu'un. Un militaire qui a travaillé cinq ou huit ans dans une structure telle que le ministère de la Défense a acquis de la maturité. Et cette maturité est irremplaçable.

 

Est-ce que les militaires ont des difficultés particulières dans cette transition dans le civil ?


Comme toute personne qui a le souhait de changer ou qui subit ce changement de force, parce que son contrat ne va pas être renouvelé. Un caporal de 35 ans, par exemple, ne va pas pouvoir continuer parce qu'il n'évolue pas. Dans le même temps, sa forme physique ne lui permet plus de porter des charges de 40 kilos sur le dos, d'aller combattre. Donc le contrat s'arrête, la personne doit faire son deuil et se questionner sur son avenir professionnel. L'orientation est donc une phase délicate. C'est pour cela qu'il y a énormément de conseillers emploi : 750 personnes travaillent à Défense Mobilité.

Propos recueillis par Benjamin Hourticq

Accidents de parcours

Manue Vezole et Thomas Brun sont deux blessés de guerre. La première est atteinte d’un syndrome de stress post-traumatique. Le second a perdu sa jambe après avoir posé le pied sur une mine antipersonnel. Tous deux se sont reconstruits et entament le début de leur deuxième vie.

« Pourvu qu’elles prennent conscience, qu’elles s’écartent. » Manue Vezole, aide-soignante dans l’armée de terre, panique. Elle est seule dans ce village retiré d’Afghanistan. Le reste de son équipe, des hommes, l’attend à l’extérieur. Ils n’ont pas eu le droit d’entrer. Par radio, son supérieur lui informe que la mission d’aide à la population touche à sa fin. Elle l’annonce aux villageoises qui l’entourent. Toutes s’énervent, hurlent, s’enferment avec l’aide-soignante dans une pièce isolée. Par réflexe, Manue Vezole arme son fusil, le pointe sur le groupe qui lui fait face. « Il y en a une qui a crié plus fort que les autres, soupire-t-elle, elles ont ouvert la porte et j’ai pu partir. »

Pour Manue Vezole, cet épisode traumatique s’ajoute aux afflux massifs de blessés, aux tirs de roquettes et aux engins explosifs sur la base qui nourrissent ses angoisses. « J’étais aide-soignante, normalement je devais rester au poste de secours. Mais je me suis retrouvée sur le terrain avec les combattants », explique la militaire.

À son retour en France, après quatre mois et un jour de mission, elle est mutée dans un service administratif. Mais son comportement change. Manue Vezole souffre de problèmes de concentration. Elle fait des « bêtises ». Elle oublie de passer des commandes, de noter les rendez-vous, de remplir des papiers. Ses collègues l’incitent à aller voir le médecin militaire qui lui diagnostique un syndrome de stress post-traumatique.

En octobre 2014, l’aide-soignante, réformée médicale, quitte l’armée.

Ancien chasseur alpin, Thomas Brun a perdu sa jambe lors de sa dernière opération extérieure en Afghanistan. Photo DR
Ancien chasseur alpin, Thomas Brun a perdu sa jambe lors de sa dernière opération extérieure en Afghanistan. Photo DR

Apprivoiser son nouveau quotidien

Manue Vezole est suivie psychologiquement par un médecin d’un centre médico-psychique et par une infirmière. Constamment sous tension, le quotidien est son nouveau champ de bataille. « Quand je suis rentrée en France je cherchais encore mon équipement de protection, mon arme. Je fais des cauchemars, je me fais violence pour sortir de chez moi parce que je suis seule avec mon fils et qu’on ne va pas rester à la maison », explique la mère de famille entre de longues pauses.

Aujourd’hui encore, les bruits sourds, comme ceux des feux d’artifices du 14 juillet, la font se coucher au sol. Pour elle, le moment idéal pour aller faire ses courses se cantonne aux heures de la pause déjeuner, lorsqu’elle est sûre de ne croiser personne. Impossible pour l’ancienne aide-soignante d’imaginer déambuler dans les galeries marchandes les week-ends précédents les fêtes de Noël…

Ancien chasseur alpin, Thomas Brun a, lui aussi, dû se réapproprier son quotidien. En avril 2011, lors d’une mission en Afghanistan, l’homme de 28 ans marche sur une mine antipersonnel. Il est amputé d’une jambe. « Maintenant je suis dans un bureau, je viens le matin à 8h et je repars à 18-19h, raconte le militaire. Je suis enfermé toute la journée, le terrain me manque. C’est très difficile à accepter. »

« Je serais sortie une main devant et une main derrière »

Durant ses mois d’arrêt pour longue maladie, le jeune homme bénéficie des avantages accordés aux blessés. Pendant ses mois d’hospitalisation, il accède à des séances de psychothérapie et de sophrologie. « Parce qu’il n’y a pas juste le jour où j’ai eu ma blessure, mais tout ce que j’ai vu là-bas qui peut remonter », livre Thomas Brun.

Si un soldat quitte l’institution avant de pouvoir accéder au service de reconversion, il devra opérer son retour à la vie civile sans l’aide de l’armée. « Une fois que vous êtes sorti des fichiers, vous êtes laissé à l’abandon », regrette Manue Vezole. Son syndrome de stress post-traumatique n’ayant pas été diagnostiqué à temps, l’ancienne aide-soignante de 41 ans, dont 18 passés sous les drapeaux, finance elle-même son CAP petite enfance. « Heureusement que j’avais de longues années de service pour toucher ma pension militaire, sinon, en parlant vulgairement, je serais sortie avec une main devant et une main derrière », déplore la quarantenaire.

Même si le niveau d’aide de l’institution varie selon les cas, la meilleure oreille reste celle des camarades, des copains qui ont vu ou subi les mêmes difficultés. L’hôpital a été vécu par Thomas Brun comme un lieu de rencontres et de partage. Souvent, il allait prendre un café avec d’autres militaires également blessés, quelques minutes où tous parlaient à cœurs ouverts. Ce soutien, Manue Vezole le trouve, elle, dans les pages Facebook dédiées aux personnes atteintes de stress post-traumatique. « Quand j’ai des insomnies, je dis ce qui me pèse et on est à l’écoute », confie la vétéran.

Un soutien moral renforcé grâce aux familles des soldats. Dès son retour en France, l’ancien chasseur alpin a demandé une mutation pour se rapprocher de sa famille. « Mon exutoire et ma raison de vivre, aujourd’hui, c’est mon fils, souffle Manue Vezole. Si je ne l’avais pas eu, je serais tombée très bas. »

Toujours prêt à faire la guerre

Thomas Brun a ramené deux médailles des premiers Invictus Games, organisés à Londres en 2014. Photo DR
Thomas Brun a ramené deux médailles des premiers Invictus Games, organisés à Londres en 2014. Photo DR

Blessés, les deux soldats n’en veulent pourtant pas à l’armée. « J’étais prêt à mourir pour mon pays », déclare l’ancien chasseur alpin. Manue Vezole s’était aussi faite à cette idée. Si elle devait recommander un « beau métier », ce serait celui de militaire. « Je ne cracherai jamais sur l’armée, elle m’a apporté beaucoup de choses, explique-t-elle. C’est la mission qui a gâché ma vie, pas l’armée. »

Avec l’idée de soutenir ses camarades, Thomas Brun fait partie de l’équipe de France des Invictus Games. Inspirée des Jeux paralympiques, cette compétition a pour but de mettre en lumière les hommes et les femmes blessés de guerre. Lancé à Londres en septembre 2014, l’événement a réuni 14 nations. Cette année là, la délégation française, composée de 18 athlètes, s’est illustrée en remportant 20 médailles. « J’ai eu deux médailles de bronze en lancer de poids et en lancer de disque. Je fais aussi partie de l’équipe de basket en fauteuil roulant. Dans cette épreuve, on est arrivé quatrième », raconte l’ancien chasseur alpin.

Participer à un tel événement est un moyen pour lui de représenter son pays et l’armée française d’une autre manière. Fixés à mai 2016, les prochains Invictus Games se tiendront à Orlando aux États-Unis. Le soldat compte y porter le drapeau tricolore une seconde fois et s’est inscrit aux phases de qualifications.

Même si le terrain lui est désormais impossible, les convictions et la vision de la guerre de Thomas Brun sont restées intactes. « Je serais prêt, dit-il, à rejoindre mes camarades au Mali ou en Centrafrique. »

 

Audrey Altimare

Franck, soldat à la rue

Après dix années passées dans la marine, Franck est aujourd'hui SDF à Strasbourg. Divorcé, au chômage, il côtoie d'autres anciens militaires confrontés à une situation similaire.

Désertion accordée

Damien, chasseur alpin pendant trois ans, a déserté l'armée en 2010. Cédric, lui, a rompu son contrat à quelques jours de la fin de sa période probatoire. Ces deux histoires symbolisent l'assouplissement des conditions de sortie de l'institution militaire.

« Si vous me condamnez, prévenez vos gendarmes, que je n'aurai pas d'armes, et qu'ils pourront tirer ». C'est par ces mots que Boris Vian concluait son célèbre poème « le déserteur », écrit en 1954, au crépuscule de la guerre d'Indochine et à l'aube de celle d'Algérie. Soixante ans plus tard, le sort du déserteur a bien changé.

Un matin d'août 2010, les gendarmes toquent à la porte de Damien*. « Malheureusement pour eux, je n'étais pas là », lâche cet ancien chasseur alpin de 27 ans, une pointe de malice dans la voix. Deux jours avant la visite des brigadiers, il a pris une décision solennelle. Il a déserté.

Dans le salon de son appartement, aux murs de briques rouges, entre tourne-disques vintage et jouets de bébé, il se souvient de son départ : « C'était un week-end, quand on était en perm, et j'avais pris ma décision. Je l'ai dit à très peu de personnes, à mon binôme, qui était mon meilleur ami de l'armée lors des faits. On a préparé mon paquetage, j'ai tout cadenassé dans mes armoires sécurisées, et c'est à lui que j'ai remis les clés. » Absent lors du rassemblement du lundi matin, il reçoit un coup de fil de son chef de section. Il ne répond pas. « Une erreur », estime-t-il maintenant.

Face au silence de Damien, les militaires enclenchent la procédure de recherche. Absent de son domicile lors de la visite des gendarmes, il reçoit un message le sommant de se présenter au poste. « Je les ai rappelés, je me suis présenté et donc forcément ils ont essayé de me faire peur. De me dire un tas de chose, de me dire : "Tu risques ça et ça. Ce que t'as fait, c'est de la merde". »

 

« J'étais pas le gars qui esquivait »

Damien le sait, « déserter, c'est grave ». Régie par le code de justice militaire, la désertion sur le territoire national est punie, dans les textes, de trois ans de prison ferme. « Mais jamais personne n'aura de la prison, sauf s'ils volent du matériel, des armes, ou alors des radios, tempère-t-il. Moi, je n'ai rien volé, j'ai rendu tout mon matériel. »

Face aux gendarmes, Damien expose ses arguments, met en avant son bilan au sein des chasseurs alpins : deuxième lors des classes, chef d'équipe lors d'opérations en Centrafrique, chasseur d'orpailleurs brésiliens en Guyane... « On a eu un grand débat. Ils avaient mes feuilles de notation, ils ont pu voir que j'étais un très bon élément, les notations de mes chefs ne disaient que des choses positives. Ils ont vu que j'étais pas le gars qui esquivait, qui partait pour rien. »

Blessé, déçu, amoureux

En 2010, Damien participe à un exercice de chef d'équipe en haute montagne. Trois semaines d'entraînement sur glacier, dans des conditions très difficiles. Un jour avant la fin du stage, il chute à ski et se « flingue le genou ». Après deux mois de convalescence chez lui, il rejoint son régiment. On lui apprend qu'il a changé de compagnie, il ne peut plus courir. On lui a aussi retiré la direction de son équipe. Damien se sent déclassé, « trahi ». « À partir de là, la balance a commencé à peser un peu trop », confesse-t-il. C'est une fille qui la fera basculer définitivement. Il désire fonder une famille. Blessé, déçu, amoureux, il ne veut pas attendre les deux ans restants de son contrat. Il choisit la désertion.

Trois mois après sa convocation à la gendarmerie, il reçoit un courrier du ministère de la Justice : « Ils m'ont dit que comme j'avais fait les choses correctement, je n'aurai pas la peine qui, normalement, aurait dû être six mois avec sursis. » Il traverse l’épisode avec un casier judiciaire vierge.

Passible de peine de mort dans certains cas avant 1981, le délit de désertion a évolué. Désormais, il est rare que l'armée prononce des peines de prison à l'encontre de déserteurs. « En général, dans la jurisprudence, les condamnations vont de six mois à un an avec sursis, explique Isabelle Ansaldi, avocate de Benjamin Pisandi, un déserteur de l'armée de terre dont l'affaire avait été très médiatisée en 2012. Chaque dossier est particulier : la personnalité, le passé judiciaire et la façon dont la personne s'est présentée devant ses supérieurs sont examinés. »

« J'étais pas sûr de vouloir remplir mes cinq ans »

Depuis la fin de la conscription en 1997 et la professionnalisation de l'armée, le militaire s'engage à aller jusqu'au terme de son contrat. Mais les sanctions encourues ne semblent pas assez sérieuses pour empêcher les départs.

Aujourd'hui, les portes de l'armée ne sont plus verrouillées pour les soldats désireux d'en sortir. Tout comme pour les nouveaux entrants. Lorsqu'un volontaire s'engage, il bénéficie d'une période probatoire de six mois, pendant laquelle il peut rompre son contrat.

Major de promo au sein du 152ème régiment de Colmar, mais incertain, Cédric s'est rétracté au dernier moment. Photo Laurent Habersetzer
Major de promo au sein du 152ème régiment de Colmar, mais incertain, Cédric s'est rétracté au dernier moment. Photo Laurent Habersetzer

C'est ce qu'a fait Cédric, major de promo lors de ses classes au sein du 152ème régiment de Colmar. À 19 ans, ce fils de vétéran de la guerre d'Algérie a quitté l'armée quelques jours avant la fin de sa période probatoire. S'il avait décidé de s'engager, c'était par curiosité : « J'aimais bien quand mon père me racontait ce qu'il avait vécu, mais il ne me disait pas spécialement d'y aller. » Le terrain, la guerre, ne « lui faisaient pas peur ». Ce qui l'a poussé vers la sortie, c'est l'incertitude : « Je pense que le problème, c'est que je réfléchissais un peu trop. J'étais un peu nostalgique de ma vie civile et je n'étais pas sûr de vraiment vouloir remplir mes cinq ans. » Une fois sa décision prise, pas de gendarmes pour le convaincre de changer d'avis. Seulement quelques coups de téléphone de ses supérieurs. Il ne change pas d’avis. Désormais, Cédric se verrait bien passer les concours d'entrée dans la gendarmerie ou la police : « Les métiers de l'uniforme m'attirent. J'ai besoin d'action, de terrain. »

 

Benjamin Hourticq

*Le prénom a été changé

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