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La perf’ dans les veines

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Un médicament pour le mal de tête, un comprimé de vitamines en hiver, un sirop pour la toux. Donner un coup de pouce à son corps par la prise de produits complémentaires, tout le monde l’a déjà fait. Quand il s’agit de repousser les limites de leur corps, les sportifs eux aussi sont tentés d’enrichir leur régime. Vitamines, protéines et compléments alimentaires s’ajoutent aux repas. Lorsqu'ils estiment que ce n’est plus suffisant, ils passent parfois un cap et franchissent la ligne rouge.

“Si j’avais pu, j’en aurais pris sur toutes les étapes du Tour, des amphétamines.” Alain Vigneron n’y va pas par quatre chemins. L’ancien coureur partage sans détour les souvenirs de sa carrière au plus haut niveau, de 1979 à 1987. “Une autre époque”, comme il aime le rappeler. Au total, il a bouclé sept Tours de France (dont cinq comme équipier des vainqueurs Fignon, Hinault et LeMond), deux Tours d’Italie et un Tour d’Espagne.

“Tu pédalais plus vite, c’est simple”

Au départ, Alain Vigneron est un gamin alsacien qui n’y connaît rien au cyclisme. “Le vélo, c’était un passe-temps, un loisir. Je ne suis pas né dans une famille de cyclistes, ni même de sportifs.” Quand il passe pro en 1979 avec l’équipe Flandria, un nouveau monde s'ouvre à lui. “J’ai découvert que les gens prenaient des produits à ce moment-là. Je débarquais.” Il voit les piqûres, les pilules, les intraveineuses. “Au bout de deux ans, raconte-t-il, j’ai quand même fini par essayer. Je ne suis pas idiot, je voyais bien les effets sur les autres.” Mais seulement les amphétamines, le reste lui fait peur.


Infographie Ambre Sturzel / MMI

À la fin des années 70 et au début des années 80, les contrôles antidopage s’intensifient en France, notamment sur le Tour de France. La priorité ? Lutter contre la consommation d’amphétamines. Alors les coureurs se tournent vers de nouveaux produits : c’est le boum des corticoïdes, dont les résultats sont incertains. “J’ai essayé une seule fois pendant le Tour, se souvient Alain. Ça n’a pas marché. Ça me faisait reculer au lieu d’avancer.” D’autres coureurs prenaient jusqu’à quatre kilos en une nuit, à cause des effets de rétention d'eau et d'augmentation de l'appétit. En revanche avec les amphétamines, Alain en est convaincu : “Tu pédalais plus vite, c’est simple.”

Pédaler plus vite, soulever plus lourd, pousser plus fort. Autant d’objectifs que Lucas* connaît bien, depuis qu’il a commencé la musculation en amateur, il y a neuf ans. Pour y parvenir, il se renseigne. “J’ai tout appris par des gars à la salle, sur l’entraînement, sur la diète, sur les produits. Il y avait beaucoup de choses fausses.” Même constat pour Alexandre*, culturiste professionnel de 28 ans : “J’ai fini par demander les conseils de l’un des meilleurs amateurs de la discipline. Diplômé en chimie, il m’a fait des protocoles.”

Un dopage normalisé mais toujours tabou


Infographie Ambre Sturzel / MMI

Lucas et Alexandre savent qu’il n’existe pas de potion magique. “C’est uniquement de l’optimisation, défend le premier. Les produits, peu importe lesquels, ne remplaceront jamais une bonne alimentation, un bon entraînement ou une bonne récupération.” Le bodybuilder de 25 ans n’utilise que des compléments multivitaminés le matin au petit-déjeuner, pour renforcer son système immunitaire et ses articulations, des omega 3 matin, midi et soir, pour optimiser son système hormonal — “c’est la dose recommandée sur tous les paquets” — et des protéines le matin et après l’entraînement. “Moi, pour l’instant, je n’ai jamais pris de produits interdits. Et je n’en ai pas l’intention.” Même si dans son sport, Lucas reconnaît l’usage fréquent de stéroïdes anabolisants chez les professionnels. “C’est normalisé, confie-t-il. On n’a pas un mauvais œil là-dessus. D’autant qu’on le remarque directement : sur le volume musculaire, sur le gabarit, sur l’apparence visuelle.”

“La Fédération française de bodybuilding [l’IFBB France] sait que tous les professionnels ou presque sont chargés, renchérit Alexandre, qui a déjà sauté le pas. Je me fais deux injections de testostérone par semaine. Mais je n’en ai pas pris tout de suite. Je me suis qualifié pour les championnats d’Europe. J’ai vu que tout le monde était massif, gros. J’ai été face à un dilemme : soit je continue en passant du côté obscur, soit j’arrête tout. Je me suis quand même qualifié aux championnats du monde. C’est là que j’ai commencé à prendre des produits. Je me suis dit ‘je veux passer au niveau supérieur’ et voilà.”

“Il y a des failles dans les règles”


Infographie Ambre Sturzel / MMI

Pour un sportif, consommer une substance inscrite sur la liste des produits dopants de l’AMA Agence mondiale antidopage est une faute passible de sanctions. Repérer et démasquer les tricheurs, c’est le travail de Guillaume Zekri, conseiller interrégional auprès de l’AFLD Agence française de lutte antidopage et de la DRDJSCS Direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale. S’il n’est pas autorisé à révéler comment il détecte les potentiels dopés, l’ancien coureur de 400m haies assure qu’il y a “plein de fausses croyances sur le dopage”. Comme l’idée que les sportifs seraient toujours en avance sur la lutte antidopage. “Les dopés n’ont pas d’avance [par rapport aux agences de lutte antidopage] sur les produits qu’ils s’administrent. Toutes les substances qu’ils utilisent sont des substances provenant des laboratoires pharmaceutiques. Donc des substances qu’on connaît. Ils ont peut-être des protocoles adaptés ; c’était le cas d’Armstrong. Il y a des failles dans les règles de contrôle, les sportifs qui veulent tricher les utilisent.”

Patrick Laure, médecin de la DRDJSCS, distingue deux motivations principales expliquant la prise de produits, légaux ou non. La première est d'ordre physiologique : les sportifs recherchent une meilleure récupération, en vue d'être moins fatigués et de moins ressentir la douleur. La seconde est d'ordre social : “Le sportif, comme monsieur et madame tout-le-monde, se dope dans la perspective de faire carrière ou de gagner de l’argent.”

Selon Alain Vigneron et Lucas, l'envie de prendre des produits pour améliorer ses performances contamine aussi le milieu amateur. “À partir du moment où on commence un sport, lance Lucas, on regarde l’élite. Si on apprend qu’ils sont si bons parce qu’ils ont recours à certains produits, forcément, on va aussi chercher ce type de substances.” “Il y avait cette impression que tout le monde se dopait depuis toujours, complète Alain. Les jeunes cyclistes voyaient et entendaient les pros les encourager à se doper. Ils intégraient l’idée que sans complément, ils n’y arriveraient pas. C’était déjà le début de l’accoutumance.”

“Tu te sens presque invincible”


Infographie Ambre Sturzel / MMI

Les effets des substances interdites dépendent de plusieurs facteurs : la dose absorbée par prise, la dose totale par jour, la durée de la prise, les mélanges, le non-respect des contre-indications et enfin, la sensibilité individuelle. “Chaque produit a ses avantages, explique Patrick Laure. Mais la prise de substances non autorisées peut aussi entraîner un handicap ou une maladie. Chez certaines personnes, elle peut amener de l’agressivité, de l’irritabilité. C’est autant d’effets physiques que mentaux.”

“Ma copine est inquiète, confie Alexandre. Elle me soutient, mais ce qu’elle voudrait, c’est que j’arrête tout ça…” Quand il a enchaîné trois compétitions il y a deux ans, le jeune homme a commencé à perdre ses cheveux, à avoir des boutons. “Ce n’est pas anodin [de se faire des injections de testostérone]. Je suis conscient des risques pour ma santé. Je fais attention.” Malgré tout, le besoin de résultat et de performance reste la priorité absolue. “Depuis tout petit, je suis compétiteur. Quelque part, je suis un sportif né. J’ai besoin de ça dans ma vie. Mon objectif, c’est de monter sur scène et de me présenter dans les meilleures conditions possibles, d’avoir le meilleur physique possible.” Le bodybuilder se focalise surtout sur les effets positifs. “Avec les anabolisants, tu récupères très vite. Tu peux faire des séances de trois heures, tu n’es pas fatigué. Tu sens que tu as de la force.” Ses performances à la salle augmentent, son corps se muscle. “Tu te sens fort et tu es fort. Tu te sens presque invincible.” Jusqu’à quand ?

Sarah Lerch

*Le prénom a été modifié.

Infographie Ambre Sturzel / MMI

Infographie Ambre Sturzel / MMI