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Réparer le sacro-sein

une decoration

Dans une société qui idéalise et sexualise le corps féminin, difficile pour une femme d’exposer sans gêne et sans honte des seins abîmés par un cancer. Pour retrouver confiance, une majorité passe par la reconstruction mammaire.

image1 Catherine Azzaoui tatoue Cécilia pour parachever sa reconstruction mammaire. Photo Cléa Péculier / Cuej

Vêtue d’une blouse blanche et de gants bleus, Catherine Azzaoui manie minutieusement l’aiguille de tatouage sur le sein de Cécilia. La mélodie d’une musique classique accompagne ses gestes. “Ça va ? On peut glacer si tu as trop mal”, s’inquiète la tatoueuse installée à Forbach (Moselle), après avoir pigmenté le téton gauche de sa patiente, allongée sur le fauteuil. Venue spécialement du Havre (Seine-Maritime), cette dernière l’a contactée après une opération de reconstruction mammaire. “J’avais le sein complètement massacré. Je voulais tatouer le mamelon et les aréoles pour retrouver une poitrine normale. Le tatouage est très réaliste et la couleur finale fait totalement naturelle”, se réjouit la jeune femme.

Après avoir exercé en salon, Catherine Azzaoui est allée parfaire sa formation en micropigmentation à l’Institut Beauté de Femme de Lyon en 2013. Elle se spécialise rapidement dans le tatouage pour femmes ayant subi une intervention chirurgicale, majoritairement après un cancer du sein. “Elles ont besoin de reconstruire une vie avec leur propre identité. Elles doivent se départir de l’image de la femme sensuelle que la société leur impose, estime la praticienne mosellane. L’avantage du tatouage à l’encre est qu’il va rester à vie.”


Vidéo Eva Stasse / MMI

Faire illusion en société, ne pas oser se regarder dans le miroir

Facile de faire illusion, de sortir dans la rue sans que personne ne remarque qu’un sein manque. Cette partie du corps est cachée au regard des autres. Et pourtant, “la reconstruction est importante pour les femmes. L’être humain accorde beaucoup d’importance à sa conformité et à son intégrité physique, explique la chirurgienne plasticienne Isabelle Sarfati, de l’Institut du sein à Paris. Cela gêne suffisamment les gens d’avoir quelque chose en moins pour qu’ils décident de se faire opérer”.

En 2009, Jacqueline a enduré une mastectomie des deux seins avec pose de prothèses. Les résultats de l’opération, effectuée à Besançon (Doubs), ont été catastrophiques. Totalement désemparée, Jacqueline s’est rendue à l’Institut du sein de l’Orangerie de Strasbourg en 2011 pour tout enlever et repartir de zéro : “J’ai passé un an sans poitrine. J’avais honte. Honte d’avoir ce corps, honte d’avoir des seins nécrosés.” Elle a dû subir une nouvelle pose d’implants avant de retrouver une vie normale.

Âgée de 50 ans, Jacqueline affirme que la reconstruction mammaire marque surtout une étape-clé. Une position que partage Delphine, Strasbourgeoise de 43 ans opérée le 1er février 2019 : “Je me regarde de nouveau dans le miroir. C’est comme si j’arrivais au bout de la maladie. Désormais, elle est derrière moi.”

Droit dans les seins

La pression sociale est un des éléments qui ont poussé Mélanie, dont le cancer au sein droit a été diagnostiqué en juin 2017, à se faire reconstruire. “Ce n’était pas une évidence. J’aimais l’idée que ma féminité ne passe pas par mes seins, comme les Amazones.” Mais presque deux ans après l’ablation, elle se décide finalement pour une nouvelle opération. “Il est admis que les femmes vont se faire reconstruire. Sûrement, parce qu’avec nos cicatrices, nous portons l’angoisse de la mort.”

Après l’ablation, “beaucoup ont d’abord regardé mes seins plutôt que de me regarder dans les yeux”, confie Géraldine. Dans un premier temps, la femme de 46 ans a essayé de tout cacher à la société : “Pour moi, être féminine, c’est surtout une attitude.”

Après une ablation, si la reconstruction n’a pas été immédiate, la partie amputée reste plate et traversée d’une cicatrice. Quant au sein reconstruit, il n’a pas forcément d’aréole ni de mamelon et reste barré par une cicatrice. Des apparences bien loin de la symbolique sexuelle du sein. Dans l’intime, il est plus difficile de le cacher. “J’ai mis un an avant d’enlever mon soutien-gorge”, confie Christelle.

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Avant/Après. Suite au décès de sa sœur d’un cancer du sein, Christelle s’est décidée pour une mastectomie préventive et une reconstruction mammaire. Document remis

Redéfinir l’intimité

Face aux corps mutilés de ces femmes, les réactions des partenaires sont diverses. L’ablation est parfois synonyme de la fin d’une vie à deux : “Après les interventions, mon corps était mutilé, meurtri. Mon mari a divorcé après 17 ans de relation”, fulmine Jacqueline. Elle était sans seins et sans cheveux, il lui a fait comprendre qu’elle n’était plus désirable. Sa reconstruction achevée, elle se sent “plus épanouie et retrouve [sa] libido. J’ai rencontré quelqu’un alors que je ne fréquentais personne depuis mon divorce”, se réjouit-elle.

Certains hommes paniquent. “Au début, dans ma vie sexuelle, je ne disais rien au sujet de ma reconstruction. Quand j’ai commencé à en parler, les hommes ont eu peur et ne me touchaient plus la poitrine”, se remémore Christelle, aujourd’hui âgée de 33 ans. Elle n’a pas été atteinte d’un cancer du sein, mais après le décès de sa grande sœur en 2013 à seulement 28 ans, la jeune femme a décidé d’effectuer une mastectomie préventive, “un bénéfice énorme, pour ne plus avoir la crainte du cancer et pouvoir me projeter à nouveau”.

“Je n’ai clairement plus de vrais seins”

Le mari de Mélanie tâtonnait, s’approchait de la zone, hésitant. “À un moment, il fallait qu’il assume. Je lui ai lancé : ‘Ça se touche aussi !’ En fait, il avait peur de me faire mal.” D’autres changent radicalement de regard. “Pour mon mari, les seins lui font penser à la maladie. Mon corps s’est démystifié complètement. Mon haut est devenu médical, corrélé au cancer”, explique Géraldine.

Le rapport à la lumière, aux positions sexuelles change aussi. De nouvelles habitudes sont prises pour pallier l’insensibilité consécutive à l’intervention chirurgicale. “Je n’ai clairement plus de vrais seins, assène Christelle, je ne sens plus rien.” Qu’elle n’ait plus de sensations au niveau des tétons n’est pas un problème : “Il y a tellement de zones érogènes dans le corps que ne rien ressentir n’est pas gênant.”

Payer pour s’accepter à nouveau

Plus gênant, ce sont les restes à charge financiers. “6 000 euros de dépassement d’honoraires, les perruques pour conserver mes longs cheveux roux malgré la chimio, les soutiens-gorge adaptés pour les prothèses mammaires externes, les trajets pour aller à Strasbourg et Forbach, ainsi que les logements”, énumère Jacqueline.

“Les femmes font des sacrifices financiers énormes pour retrouver leur corps d’avant, souligne Emmanuel Jammes de la Ligue contre le cancer. D’un côté, on observe une baisse des revenus, liée à la rupture de l’activité professionnelle. Le mécanisme de compensation ne suffit pas pour du long terme. D’un autre côté, les charges augmentent avec la reconstruction médicale.” C’est toute la famille qui est impactée par cette difficulté financière. Parfois, le budget loisirs ou vacances est affecté à la reconstruction mammaire.

En moyenne, il reste 1 391 euros à la charge d’une femme qui a choisi la reconstruction mammaire après un cancer du sein, selon l’Observatoire sociétal des cancers. Certaines contractent un crédit à la consommation. 15 % renoncent à la reconstruction médicale pour des raisons financières.

Se sentir à nouveau féminine, reprendre possession de son corps, gagner en confiance ou franchir une dernière étape afin d’éradiquer, psychologiquement et physiquement, le cancer… Pour ces femmes, la reconstruction mammaire est un chapitre qui clôt un long parcours personnel, dont l’objectif initial était commun : “survivre”.

Mickaël Duché et Cléa Péculier

Docteur Benjamin Sarfati : grâce au robot, “il y a un réel bénéfice esthétique”

Chirurgien plasticien à l’hôpital Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne), Benjamin Sarfati a monté la toute première recherche clinique sur l’usage de la robotique dans la chirurgie d’ablation du sein, qu’elle soit préventive ou faisant suite à un cancer. Depuis 2014, il est aux manettes du robot chirurgical Da Vinci Xi et a opéré 135 femmes grâce à cette technique.

Comment se passe une opération avec le robot ?

Il faut bien comprendre que le robot ne prend aucune décision lui-même. Il reproduit exactement les gestes du chirurgien qui est à côté sur la console et qui le dirige à l’aide de deux joysticks. Le robot n’est qu’une aide. Mais son amplitude de mouvement est supérieure à celle de la main humaine.

Lors de l’opération, on crée un espace entre la peau et la glande mammaire avec un ciseau. On y insuffle ensuite de l’air pour pouvoir travailler avec le robot. Dans cet espace, on introduit la caméra avec laquelle on a une vision en 3D pour se repérer dans le sein. On détache la glande mammaire, on la retire puis on la dissèque. Par la même incision, on reconstruit le sein avec une prothèse. Pour l’instant, seule la reconstruction par prothèse est possible.

L’étude touche à sa fin début janvier. Les bénéfices observés sont-ils uniquement visuels ?

Il y a un réel bénéfice esthétique. Il y a moins de cicatrices, ce qui améliore l’image de soi et la qualité de vie. Lors d’une opération de mastectomie classique, elle mesure une dizaine de centimètres et se trouve sur la partie externe du sein ou dessous. Elle est donc visible. Grâce au robot, la cicatrice se trouve sous le bras et mesure seulement trois à quatre centimètres. C’est le minimum afin de pouvoir faire passer la prothèse et retirer la glande mammaire.

Au niveau médical, il existe moins de risques de nécrose. On espère aussi prouver que les risques d’infection sont moindres parce que l’emplacement de la cicatrice est éloigné de la prothèse. On ne pourra pas atteindre la perfection. L’évolution ultime serait de ne plus avoir à opérer.

Toutes les patientes peuvent-elles être opérées de cette manière?

Ce n’est pas adapté à toutes les femmes. Tout dépend du type de cancer, de la forme du sein. Pour celles qui ont des seins trop volumineux ou qui tombent, il y a trop de peau. On doit alors recourir à une intervention chirurgicale qui nécessite une cicatrice sur le sein. Donc le robot est inutile.

Propos recueillis par Cléa Péculier