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14h. À bord de son SUV, Alice Morel sillonne les chemins de Bellefosse. « J’ai trouvé des bois de cerfs, apparemment c’est toi l’expert ? », demande-t-elle d'un ton enjoué à un habitant. À la ferme auberge « Au Ban de la Roche », la patronne Véronique Weilbacher, aux manettes depuis trois décennies, en parle comme d’une « maire dévouée, qui se donne pour le village ». Amie de l’édile, elle a aussi siégé au conseil municipal à ses côtés pendant quatorze ans. « Quand quelque chose ne nous plaît pas, on n’a pas peur de lui dire. Elle nous entend et puis, ça évite les querelles ! » 

Alice Morel aime le débat. « Heureusement qu’on n’est pas toujours d’accord ! », lance-t-elle. Des opposants politiques, elle en a connus lors des scrutins précédents, parfois même élus au sein du conseil municipal. Il y a eu des remous, mais elle ne s’étend pas. Elle préfère revenir aux sujets pragmatiques. « En ce moment, on parle beaucoup des dégâts causés par les sangliers, et des différentes solutions pour y remédier, précise-t-elle. Avant le vote, le conseil était partagé, et finalement, ce n’est pas la solution que je prônais qui l’a emporté ! »

Maire et mère

Dans les années 1970, en rase campagne, l’élection d’une étudiante de 21 ans surprend. « J’étais jeune et j’étais une femme. On me prenait pour une gamine. » Mais rapidement, elle s’affirme : « Les gens se sont rendu compte qu’une femme aussi pouvait être compétente sur des sujets techniques, comme la voirie ou le réseau d’eau. » 

Malgré tout, les commentaires vont bon train. « Ils portent surtout sur l’apparence », sans qu’elle « n’y prête attention », assure-t-elle. Et puis, il y a les remarques sexistes, qui perdurent pendant quarante-trois ans de mandat : « Alice peut être maire car elle est célibataire », « Alice a de la chance car elle a un mari compréhensif. Mais si un jour, elle a un enfant… », « Un enfant ça va, mais le jour où elle en aura plusieurs… ».  La maire en plaisante : « J’ai finalement eu trois filles ! »

Petite commune, petits moyens

Les réunions qui s’éternisent, les rendez-vous de dernière minute, sans compter les voyages d’affaires réguliers de son mari… La jeune mère s’organise. « Ma maman et ma tante étaient très présentes, elles s’occupaient de mes enfants quand je n'étais pas là ». C’est plutôt quand elle « reste trois soirs de suite à la maison » que ses filles s’inquiètent, rapporte-t-elle. « Elles m’ont toujours vue engagée », poursuit l’élue. Grandir avec une « mère maire », c’est faire coup double : c’est elle qui a célébré le mariage de l’aînée, Sophie.

Avec Alice Morel, à chaque problème sa solution. « Bellefosse est une petite commune, avec un budget serré et peu de personnel, souligne la sexagénaire. On ne peut pas tout le temps faire appel à une entreprise extérieure, alors c’est à nous de nous adapter. » Il y a quelques jours, les habitants se sont réveillés sans eau. « Nous sommes partis en pleine forêt, malgré la tempête, pour découvrir l’origine du sinistre. » Elle sourit : « Ce genre d’imprévus, c’est le quotidien d’un maire ».

Son adjointe Claudine Bohy est admirative : « Je ne comprends pas comment elle a pu tenir aussi longtemps ». Rénovation de la piscine municipale construite en 1936, mise en souterrain du réseau électrique, restauration de la voirie… Il faut mener les projets alors que les dotations se réduisent, que les normes sont de plus en plus complexes. La fonction de maire s’alourdit. Malgré les difficultés, Alice Morel n’a jamais pensé à arrêter. 

Judith Barbe et Laurie Correia

Elle était la plus jeune édile de France en 1977. Quarante-trois ans plus tard, Alice Morel, 64 ans, se présente pour un huitième mandat dans sa commune de Bellefosse (Bas-Rhin). 

Ce mardi matin, les rues abruptes de Bellefosse (Bas-Rhin) sont presque désertes. Les flocons de neige disparaissent instantanément. Alice Morel soupire : « Les pistes de ski du Champ du Feu n’ont pas souvent été ouvertes cet hiver. » La maire de la commune nichée dans les Vosges, bottes fourrées aux pieds et anorak de ski bleu, admire sa montagne. À 64 ans, le sourire aux lèvres et le regard pétillant, elle semble toujours aussi amoureuse de l’endroit où elle a grandi. L’élue brigue cette année son huitième mandat.

Quand elle se présente la première fois, en 1977, c’est une étudiante de 21 ans, encore sur les bancs de Sciences Po Strasbourg. « J’étais attachée à ma commune, j’avais envie de participer à la vie du village, mais je comptais seulement intégrer le conseil municipal. » Surprise : elle se retrouve finalement propulsée à la tête de Bellefosse. Et devient la plus jeune maire de France.

Une maire centriste

Au cours de son premier mandat, Alice Morel décroche son diplôme puis un poste de fonctionnaire territoriale dans les Vosges. Elle est loin de se douter qu’une longue carrière de maire, puis de conseillère générale du Bas-Rhin, l’attend. « Tout s’est fait naturellement », explique-t-elle. 

L’élue, qui défend l’Europe et l’environnement, se revendique centriste. Son mentor ? Daniel Hoeffel (UDF puis UMP), ancien ministre et sénateur, qu’elle a rencontré lorsqu’il était président de l’Association des Maires du Bas-Rhin. « Sa connaissance des dossiers, son respect des institutions, son sens de l’intérêt général » impressionnent la jeune femme d’alors.

Un champ lexical végétal

Les images qui renvoient à la nature apparaissent en premier dans la communication de chaque candidat. Tous utilisent massivement les termes « végétalisation », « arbre » ou « espaces verts » pour symboliser leur engagement sur la question de l’environnement. S’ils s’accordent pour mettre en avant la préservation du parc végétal, certains candidats jouent sur le sens des mots. Jean-Philippe Vetter emploie le terme négatif « bétonisation », antonyme de « végétalisation », pour dénoncer la politique urbanistique menée à Strasbourg ces dix dernières années. Sa solution : « Verdir et fleurir les places et rues strasbourgeoises ».

Des candidats favorables à une économie verte

En quantité variable, chaque candidat présente des mesures en lien avec l’économie rurale. C’est « bio », en référence à l’agriculture biologique, qui revient dans le discours de tous les prétendants à la mairie de Strasbourg : en particulier chez Barseghian et Trautmann. La candidate écologiste déploie un vocabulaire plus varié sur ce thème avec les termes « agriculture urbaine » et « local », utilisés aussi par Alain Fontanel qui défend une production agricole de proximité.

Un état d’urgence climatique

À l’exception de Vetter, la locution « urgence climatique » apparait dans le programme de chaque candidat. Barseghian et Trautmann l’emploient en majorité, pour alerter sur la nécessité d’adopter un système de gouvernance respectueux de la planète et insister sur la rapidité du changement climatique et ses effets. Kevin Loquais utilise un ton plus alarmiste : « Il est temps de déclarer la ville de Strasbourg et l’Eurométropole en état d’urgence climatique ! » Et remet en cause « l’échec cuisant du plan climat » instauré par la Ville.

L’histogramme ci-dessous classe les termes verts qu’on retrouve chez chaque candidat en quatre catégories : nature, énergie, déchets et économie agricole. Deux autres qualifient les occurrences écologiques de manière positive ou négative. ⇩

Mariella Hutt

La bataille du GCO est perdue, mais il reste d’autres problèmes locaux : « Il n’y a pas que le GCO dans la vie de notre village », explique Annie Kessouri, justifiant sa décision de se présenter. Le conseil municipal veut continuer à sensibiliser à l’écologie, créer un lieu de rencontre dans l’ancienne école et mener une enquête sur les idées des citoyens pour développer le village. Mais le GCO ne sera pas tout à fait absent de la campagne : « Être déterminés à obtenir des aménagements destinés à réduire les impacts du GCO » lit-on sur les tracts. Avec pour objectif, pas « trop de bruit, trop de pollution et trop de répercussions négatives ».

Car, malgré le combat perdu, une chose est claire pour Annie Kessouri : « Nous sommes toujours contre le GCO. » C'est pourquoi la banderole, accrochée au fronton de la mairie, y restera encore suspendue.

Ballottés par des vents contraires depuis le début de la campagne, les socialistes ont désormais le vent dans le dos. La figure de Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg, n'y est pas pour rien. 

Tous sont déçus par la politique, surtout par le gouvernement français, qui a décidé malgré eux. « Je suis écœuré par ces ministres qui auraient pu arrêter le GCO », soupire Dany Karcher. « Il faut que le gouvernement soutienne davantage les maires », affirme Hélène Scheffer, 61 ans, vendeuse à l’épicerie du village. Après une petite pause, elle ajoute : « Au lieu de les gazer. »

L’autoroute, c'est aussi, pour certains, la victoire des grands et des puissants. La pasteure Caroline Ingrand-Hoffet s’inquiète : « Ce chantier montre la puissance du privé ». Une image qui suscite la « haine », comme le dit Marie-Claire Karcher, l’épouse du maire. « Je n'ai jamais regardé les travaux, ça me rend malade », avoue la vendeuse de l’épicerie, désespérée.

Toutes les batailles ne sont pas encore perdues

À l’approche de l’élection, une partie de la population semble pourtant décidée à reprendre le chemin des urnes. Comme Sandrine Fritsch : « Je suis déçue mais je vais quand même voter. » Ou encore Hélène Scheffer, convaincue que « c’est un devoir de voter » en ajoutant qu’elle « aime bien celle qui se représente ».

« Annie est née ici, elle est de chez nous », explique la pasteure. Elle fait la différence entre les candidats locaux « que l’on connaît » et les hommes politiques nationaux qui ont impliqués dans le GCO. Selon Caroline Ingrand-Hoffet, cela joue un rôle dans le choix des Kolbsheimois d’aller voter ou non.

Kévin Loquais (LFI) : « Nous sommes la troisième ville la plus inégalitaire de France ».

C’est discutable. Ce rang, qui figure aussi sur un document de l'Eurométropole, est construit à partir de quatre indicateurs (INSEE) sur la base de l’année 2014. Sont pris en compte : le revenu disponible médian, le taux de pauvreté, la part des prestations sociales dans l’ensemble du revenu disponible, et le rapport entre le revenu disponible des plus riches et des plus pauvres. 

Mais cette position peut être mise en perspective avec un classement utilisé par l’Observatoire des inégalités, sur la base d’un autre indice (Gini). L’INSEE a comparé les inégalités de revenus en 2014, après impôts et prestations sociales. Dans cette configuration, Strasbourg se place en 14ème position des villes les plus inégalitaires.  

Kévin Loquais (LFI) : « Si ma mémoire ne me trompe pas, il me semble qu’il y a 11 000 logements vides à Strasbourg ».

C’est vrai. Selon l’INSEE, dans un calcul mis en ligne en janvier 2019 sur la base de l’année 2016, 7,7% des 149 940 logements que compte Strasbourg sont vacants, soit environ 11 545. 

Thémïs Laporte 

Le symbole de l'impuissance politique est accroché à la mairie. « Kolbsheim dit non au GCO », lit-on sur la banderole suspendue au bâtiment. GCO comme Grand contournement ouest, une rocade, déjà en construction, qui doit détouner les camions du centre-ville de Strasbourg. Quelques mètres plus loin dans le village, la forêt est défrichée, l’autoroute est déjà visible. Et ce, bien que les habitants se soient battus contre le projet pendant des décennies.

« J’ai une image trouble de ce que l’on appelle la démocratie », soupire le maire de Kolbsheim, Dany Karcher. « Dis-nous ce que tu veux, mais à la fin, on fera ce qu’on voudra ». Après dix-huit ans à la tête du village de 900 habitants, il ne se présentera pas aux prochaines élections. Perdre la lutte contre le GCO a « facilité la décision de ne plus candidater ». Il assure : « Le GCO a pollué mes trois mandats. » 

La pluie tombe derrière les fenêtres de la mairie, quelques voitures, parfois des camions, roulent dans les rues désertes. « Je ne sais plus quoi faire », résume l'édile, assis à son bureau. Après que les derniers zadistes ont quitté le village cet été puis que certains sont revenus pour l'exposition « 10 jours vert le futur » à l’automne, le calme est revenu dans le petit village. La colère et la rage ont fait place à la déception et au sentiment d’impuissance politique. Beaucoup de Kolbsheimois ne veulent plus parler de leur bataille perdue, ils préfèrent laisser cette défaite derrière eux.

Déçus par le gouvernement

« Les habitants n’ont pas été écoutés », se plaint Annie Kessouri, 2e adjointe du maire et seule candidate aux prochaines élections municipales. « Nous sommes impuissants face à tout ça. » Une pensée partagée par Germaine Schell, 91 ans. « Nous, les petits, qu’est-ce qu’on peut faire ? », se demande-t-elle, assise dans son fauteuil, enveloppée dans un peignoir. Elle a l’air d’essayer, encore, de comprendre comment une telle chose a pu être possible. « C’est une injustice incroyable que le peuple ne puisse pas se révolter », s’échauffe la nonagénaire. Comme pour beaucoup de Kolbsheimois, elle a le sentiment de ne pas avoir pu se défendre.

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