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Martine Uhlrich : "C’est un village ici"

Si l’église Saint-Vincent de Paul est bien au centre de la Canardière, elle a été concurrencée pendant un quart de siècle par une “institution” fondée par Martine Uhlrich : le salon de thé Chez Martine. Fille de boulangers, cette femme énergique dit "baigner dans le commerce depuis son enfance". Et de fait, elle travaille encore à l’âge de 69 ans à la billetterie d’un parc aquatique en Allemagne.

En 1989, elle acquiert un local rue de Franche-Comté, proche de la place de l’Île-de-France, et en fait un lieu de convivialité : "Même si vous veniez seul, il y avait toujours de la communication, ce n’était pas un simple restaurant." Les habitants s’y rassemblent pour des cafés littéraires, des jeux de cartes, se restaurer ou encore lors du vide-grenier annuel. Le salon est particulièrement fréquenté le jeudi matin, au moment du marché hebdomadaire. "Ma fierté, c’est d’avoir pu rassembler les gens de l’ancien quartier des Villas et ceux de la cité", souligne-t-elle. La route de la Meinau sépare ces deux mondes, frontière que les habitants plus aisés des Villas peinent à franchir.

Le plan de rénovation du quartier l’oblige à quitter son premier local en 2008 pour déménager directement sur la place de l’Île-de-France. Le commerce est "grand, tout neuf" et les habitants viennent, plus nombreux encore, y partager des moments chaleureux. Ils y trouvent aussi une oreille attentive : "J’étais l’assistante sociale de la Meinau, j’aidais les gens, je faisais partie de leur vie." Martine Uhlrich ne le cache pas, parfois ce dévouement lui a pesé : "J’étais comme un buvard." D’autant plus quand la consommation de drogue impacte l’activité du salon : "On ne savait pas comment faire pour aider [les jeunes]." Elle tolère leur présence amorphe mais "quand du monde arrivait dans le salon, je leur tapais sur l’épaule pour les réveiller et dire qu’il était temps de s’en aller".

Toujours avide de défis, elle vend son commerce en 2014 et part aider à l’ouverture d'un hôtel-restaurant de montagne en Suisse. Elle y travaillera comme gérante pendant huit ans, avant de revenir à la Meinau : "Je ne me voyais pas aller autre part, c’est un village ici." Aujourd’hui, elle dit ressentir un "pincement au cœur" quand elle repense à l’époque du salon de thé. Celui-ci trône toujours sur la place centrale de la Canardière, sous le nom de M Café, en clin d’œil à l’ancienne propriétaire. Le nouveau gérant a aussi conservé ses tables en verre soufflé ; Martine Uhlrich en parle avec fierté.

 

[ Plein écran ]

Les usines Mathis sont bombardées par les Alliés en mai et août 1944. © Archives municipales Strasbourg

Rudi Wagner : "Les policiers connaissaient les jeunes"

"À la Meinau, il n’y a pas un jour qui ressemble à l’autre, vous êtes pris dans le tourbillon de la vie", confie Rudi Wagner, ancien éducateur spécialisé de la Canardière. Né en 1947 dans un village d’Alsace, installé à la Meinau à partir de 1974, il n’est jamais reparti. Un de ses anciens jeunes le décrit comme "un homme extra, qui a fait énormément pour le quartier".

Éducateur à la MJC puis à l’association de Prévention et d’animation de la Meinau (PAM), il organise jusqu’à sa retraite en 2011 des sorties pour les jeunes à la patinoire, à la piscine ou encore outre-Rhin. Ce sont pour eux des "espaces de liberté, loin des yeux des parents". Des projets plus ambitieux sont organisés : camp d’été au Maroc, en Italie ou encore en Tunisie. Des ouvertures sur le monde importantes pour des ados issus de famille défavorisées qui avaient rarement l’occasion de partir en vacances. L’objectif de Rudi Wagner est de les sortir du désœuvrement et de l’entre-soi : "Les jeunes qui s’ennuient font des bêtises." Et elles ne manquent pas. 

Saïd Kaneb : "C’est agréable à vivre, malgré ce que l’on raconte"

Au mur, les médailles d’honneur du travail et de la famille trônent fièrement au-dessus des divans en velours pourpre. Malgré sa modeste décoration, le petit salon est chaleureux, entre le feuilleton algérien à la musique entraînante et l’odeur du café. C’est ici, rue Joseph-Weydmann, que résident Saïd Kaneb et sa femme Nadia. 

Âgé de 80 ans, ce petit homme au regard alerte a passé son enfance dans les montagnes de Kabylie. Il a quitté l’Algérie en 1959 pour faire des études de droit à Strasbourg. "Mais ça ne m’a pas réussi", dit-il dans un rire. Il rencontre sa première femme en 1964. Ils se marient un an plus tard et s’installent dans le grand ensemble de la Canardière qui vient de sortir de terre. Après des petits boulots, Saïd Kaneb traverse une courte période de chômage. Il finit par être embauché dans l’usine de fabrication de disjoncteurs Baco, aujourd’hui Legrand, dans la Plaine des Bouchers.

Depuis sa construction en 1961, la cité de la Canardière a connu de nombreuses mutations, dont les habitants sont les témoins mais aussi les acteurs. Entre fierté et nostalgie, trois figures du quartier racontent leur Canardière.

Au bout de la rue du Maréchal-Lefebvre, un édifice de briques tranche dans le paysage de tôle de la Plaine des Bouchers. Pendant la guerre, on y testait des moteurs d’avion. Aujourd’hui, entreprises et associations donnent une nouvelle vie au bâtiment Junkers.

Batiments liés à l'histoire des usines Mathis. © : A. Bataller , C. Bouchasson , L. Bourgeois

En 1931,  la manufacture Mathis est l’une des plus modernes d’Europe. Aujourd’hui, la zone accueille des locaux industriels. © Google earth / Histoires et lieux d'Alsace

0h20

Certains se ravitaillent au Night Shop, à cinq minutes à pied. L’échoppe de 15 m2, ouverte jusqu’à 5h, vend de tout : boissons, chips, bonbons…“C’est l’épicerie de la Meinau”, lâche un client, Ice-Tea et Maltesers à la main.

En face, le food truck Smash Burger est toujours ouvert. Dans moins d’une heure, Mehdi éteindra ses friteuses et le Select servira ses derniers verres. Mais la Plaine des Bouchers, elle, continuera à vivre au rythme de la techno jusqu’au bout de la nuit.

* Le prénom a été modifié.

Abel Berthomier et Sarah Khelifi

0h07

Entre-temps, une queue s’est formée devant le Studio Saglio, malgré la pluie et le vent. Des fêtards, prêts à danser jusqu’au petit matin, se disent attirés par un public “ouvert d’esprit” et par l’absence de voisins. Ils ne le savent pas, mais 1 865 personnes résident à la Plaine des Bouchers.

Elisa*, trentenaire, habite juste en face de la boîte de nuit. Arrivée d’Albanie il y a sept ans, sa situation irrégulière ne lui permet pas d’avoir un logement. Alors elle subit, deux soirs par semaine, ce désagréable voisinage et a déjà dû appeler la police suite à une bagarre. Cette nuit, trois hommes discutent bruyamment au pied de sa fenêtre. “Pour le prix de la maison, on supporte les nuisances”, témoigne un de ses voisins qui vit ici depuis vingt-quatre ans.

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