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D’autant que la zone n’est pas modulable à l’envie pour ses résidents. “Le parc est encastré entre un chemin de fer, une petite rivière, des habitations et un pont. Et il est organisé en trois strates, ce qui pose de nombreux problèmes d’accessibilité et d’élargissement des espaces de stationnement”, se désole Rodolphe Keiff. La réorientation de son activité vers la vente par Internet et les professionnels depuis quelques années lui permet cependant d’être impacté que marginalement par cette situation. “Les grandes entreprises ont déserté la zone d’activités à cause de la faible capacité du parking”, soutient quant à lui M. Fischer qui plaide pour un agrandissement depuis plusieurs années. “Il faut s’adapter aux besoins économiques actuels !”
Avec pragmatisme, Rodolphe Keiff raconte les travaux d’adaptation entrepris au moment de l’emménagement de son magasin. “On a dû s’adapter aux bâtiments : comme le nôtre est grand et haut, il a fallu installer un monte-charge pour faciliter le déplacement des produits entre les étages et créer des entresols.” Les limites des édifices d’origines, Florence Schmitt, responsable du magasin mitoyen Le Géant des Beaux-Arts, les connaît bien. Le hangar de son enseigne abrite un vieux coffre-fort datant de l’ère brassicole : “On ne sait pas quoi en faire…”, souffle-t-elle. “Pour l’instant, on y stocke nos archives, faute de mieux. C’est pareil pour nos entresols et sous-sols : on ne peut pas accueillir du public car ils sont peu accessibles.” Une perte d’espace dommageable pour le magasin qui ne peut s’agrandir et se développer. D’autant que les clients, souvent des professionnels, viennent spécifiquement à Koenigshoffen se fournir en chevalets et autres gros matériaux.
"On a dû s’adapter aux bâtiments"
Mais si certains entrepreneurs installés sur le site reconnaissent aux vestiges de la brasserie un “cachet” indéniable, ils n’en occultent pas pour autant les contraintes qui l’accompagnent. Difficile ainsi de ne pas rencontrer un locataire de la zone qui n’a pas été forcé de faire des travaux de réfection. “J’ai dû tout refaire à mon arrivée : la peinture, le plafond… car c’était vraiment insalubre”, se rappelle Hervé Le Bis. Du “re-cadastrage des ateliers” pour l’association de réinsertion Libre-Objet en passant par la “construction d’une cloison pour abriter la chaudière” de l’école de BD L’iconograf’, les travaux se révèlent souvent lourds et coûteux. “Chaque année, un tiers du budget du syndic passe dans l’amélioration du confort et la rénovation”, déplore ainsi Paul Fischer.
Mais au-delà du prix, nombreux sont ceux à vanter le charme des traces de l’ancienne brasserie. Les fortes colonnes de fonte, les portes surélevées qui servaient autrefois de quais de cargaison, les cheminées d’aération… C’est le cas d’Hafid Mourbat, un artiste qui utilise des objets de récupération pour ses créations. Lui s’est installé il y a vingt ans dans le parc, mais a déménagé récemment dans le bâtiment D. La bâtisse, avec sa façade de briques rouges, servait autrefois de menuiserie où l’on confectionnait les tonneaux. Tout sourire, le locataire ne cache pas sa joie d’être dans l’un des plus beaux édifices conservés de la brasserie. Ce sentiment, Rodolphe Kieff, directeur de Salustra, a grandi avec. “Mon père, qui a fondé l’entreprise en 1972, est notamment venu s’installer ici car il aimait l’ambiance de ces vieux bâtiments et leur histoire” raconte-t-il. L’enseigne de luminaires dont il a hérité, est elle-même installée dans l’ancien entrepôt à grains de la brasserie.
“500€ par mois pour 100 m2 de locaux”
Debout au milieu de ses tableaux aux couleurs éclatantes, Hervé Le Bis, artiste-peintre installé au dernier étage d’un des bâtiments stockant autrefois les réserves d’orge et de malt, explique : “Lorsque j’habitais à Paris, je devais travailler directement dans mon salon, sans possibilité d’avoir un atelier séparé”. Arrivé dans les années 1990, le peintre a été séduit par un loyer de “1000 francs pour 300m2”. Ce qui lui permettait de créer un espace d’exposition en plus de son atelier et de son appartement. “Dans la zone, il faut compter environ 500 euros par mois pour 100 m2 de locaux”, estime M. Fischer. Une aubaine pour la trentaine d’entreprises lorsqu’on sait qu’un local similaire situé en plein centre de Strasbourg coûte approximativement le double.
La brasserie Gruber est restée pendant près d’un siècle une des places fortes de l’économie alsacienne, jusqu’à sa fermeture en 1965. Elle a entamé depuis une complète reconversion. Bureaux, ateliers d’artistes, enseignes commerciales et locaux dédiés à l’économie solidaire se côtoient dans un mélange singulier. Au total ce sont 250 artistes, bénévoles ou employés qui occupent le site. Une diversité permise par le caractère unique des lieux estime Paul Fischer, président du syndicat du parc : "Les artistes aiment ces anciens bâtiments car ils sont pratiques pour eux : moches, vieux et grands. Ils peuvent salir, faire des taches de peinture, réaménager à l’envie, avoir de l’espace pour un loyer peu élevé.”
C’est là, dans les caves réfrigérées de l’ancienne brasserie de David Grüber, que se nichent les activités de la Fabrique. “Avant, les ouvriers de la brasserie remplissaient les galeries de glaces artificielles produites en hiver dans le pré voisin” raconte Maud Lucas. “Cela permettait de maintenir à la bonne température la fermentation de la bière durant la période estivale.” Pour satisfaire les curieux d’un soir, elle déambule à travers les neuf travées voûtées aujourd’hui reconverties en ateliers. Menuiserie, impression en 3D, création d’objets en fer forgé, salle de couture… Difficile d’imaginer qu’il y a une cinquantaine d’années, ces 1500 m2 de caves accueillaient plus de 150 cuves de fermentation. L’une d’elles, jaillissant des galeries obscures qui s’étendent à perte de vue, est toujours en place. Témoignage vivant de l’économie brassicole passée.
Fin de soirée dans le faubourg de Koenigshoffen. Dans la zone d’activités (ZA) du parc Gruber, deux silhouettes descendent l’allée jouxtant la ligne de chemin de fer pour rejoindre la source de chaleur qui rougeoie au loin. “J’espère que vous êtes bien couverts”, s’inquiète Maud Lucas, en accueillant une mère et son fils devant le brasier à l’entrée d’une voûte recouverte de chaux. “À l’intérieur, il fait très froid…”, poursuit la bénévole de la Fabrique. Comme chaque jeudi, c’est portes ouvertes dans cette association qui met à la disposition de ses adhérents du matériel et de l’outillage. L’occasion de faire découvrir les ateliers partagés et conter l’histoire de ce lieu atypique.