Jugés à vie
Pour la société, les auteurs d’infractions sexuelles ont commis des actes impardonnables. Ils doivent conjuguer culpabilité et regard des autres, en détention puis à la sortie de prison. Impossible pour eux de bénéficier du droit à l’oubli.
Pendant plusieurs années, Baptiste* a abusé de ses cousins, âgés de 8 et 12 ans. Ces attouchements ont traumatisé l’un d’entre eux, au bord du suicide il y a trois ans. Pour Baptiste, tout s’effondre. Il se rend au commissariat pour avouer les agressions sexuelles. « Je pensais ne plus sortir pendant plusieurs années », confesse-t-il. Finalement, il est relâché sous liberté conditionnelle. Pas encore condamné, Baptiste s’est senti obligé de quitter son emploi et de déménager. « J’ai coupé les ponts, l’enquête de police a eu lieu dans un milieu rural, tout le monde est au courant là-bas. » Le trentenaire vit reclus dans sa chambre pendant un an. « À partir du moment où j'ai eu conscience du mal que j’avais fait, je voulais plus sortir de mon trou. » Aujourd’hui, Baptiste a refait une formation et vient de signer un CDI. Pour autant, il sait qu’il devra bientôt rendre des comptes à la justice.
Les "pointeurs" mis au ban
En prison, chaque détenu est jugé par rapport aux actes qu’il a commis. Dans cette hiérarchie implacable, les auteurs d’infractions sexuelles sont au plus bas de l’échelle. « Pour les autres détenus, on ne touche pas aux enfants. En plus, ces auteurs sont souvent plus âgés et mieux intégrés dans la société, ils ne maîtrisent pas les codes de la prison », expose Corinne Rostaing, sociologue spécialiste du monde carcéral. Ceux qu’on appelle les "pointeurs" sont des boucs émissaires. « Certains m’ont déjà confié avoir reçu des pots de yaourt remplis de pisse ou de verre », poursuit la sociologue.
Corinne Rostaing
Sociologue, maître de conférences à l’Université de Lyon. Co-auteur de La violence carcérale en question, 2008, Puf.
Pointeurs
Surnom donné notamment aux personnes incarcérées pour infractions sexuelles, notamment aux pédophiles.
Cette violence, Frère Dominique Joly, aumônier catholique à la maison d’arrêt de Strasbourg, en a été témoin. « Pendant les activités, les détenus se retrouvent. Et ils savent qui vient du bâtiment B1 [celui réservé aux auteurs d’infractions sexuelles]. Un samedi, une bagarre a éclaté. Le condamné pris pour cible voulait porter plainte et il a laissé tomber. » Samia Ben Achouba, secrétaire de l’aumônerie nationale musulmane, confirme ces tensions récurrentes. « J’ai déjà entendu des promesses de tabassage sur ces détenus. Les autres disent qu’ils ne veulent pas des pointeurs, qu’ils vont salir la prière… » Pour punir les pédophiles, certains vont même jusqu’au viol. Ces faits font l’objet d’une telle omerta qu’ils demeurent souvent inconnus de la justice.
Les condamnés pour crime sexuel préfèrent même mentir en se faisant passer pour des braqueurs ou des dealers. « Généralement, la feinte s’arrête le jour du procès. Les journaux sont gratuits, tout le monde sait pourquoi un tel est parti au tribunal », remarque un surveillant pénitentiaire.
Cellules, promenade, sport, travail … Tout est aménagé pour protéger ces détenus. Plusieurs surveillants pénitentiaires affirment qu’ils font l’objet d’une attention particulière. « S’ils travaillent aux ateliers, ça tourne au vinaigre quand les autres apprennent pourquoi ils sont là. Du coup, on les regroupe plutôt aux cuisines », explique un gardien. Contrairement aux autres qui tambourinent aux portes et crient, les auteurs de violences sexuelles sont en général plus discrets. « Ils nous disent bonjour, on parle de la météo… Pour les autres, on porte un uniforme, on est des flics », indique un agent. La plupart des surveillants préfèrent tout de même ignorer pourquoi ces détenus sont là. Ils ont parfois du mal à rester insensibles. « Dans les années 1990, on a reçu un détenu qui avait violé et assassiné une gamine. Dans les médias, on a appris des détails atroces, raconte un gardien. On est comme tout le monde, on aurait pu lui faire du mal aussi … »
L’illusion du droit à l’oubli
À la sortie de prison, les articles de presse qui relatent l’affaire sont toujours en ligne. La plupart des condamnés sont également inscrits au Fijais qui les oblige à indiquer leur adresse une fois par an. L’auteur d’infractions sexuelles se sent toujours poursuivi par ce qu’il a commis. Sébastien* a été condamné à neuf mois de prison avec sursis. Son procès pour agression sexuelle sur un garçon de 8 ans remonte à 2012. Après le jugement, Sébastien a préféré quitter la capitale pour rejoindre le centre de la France : « J’avais besoin de changer d’air… Ma famille m’a rejeté quand ils ont su. Mon père me traitait de monstre, de Marc Dutroux. »
Dominique Joly
Aumônier catholique depuis 3 ans. Il se rend à la maison d’arrêt de Strasbourg pour des visites individuelles, des activités et la messe du dimanche.
Samia Ben Achouba
Aumônier musulman. À 55 ans, elle intervient dans 5 établissements pénitentiaires du Nord depuis 2002.
Fijais
Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles sert à prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles déjà condamnés. Il facilite leur identification et permet de les localiser rapidement et à tout moment.
Marc Dutroux
Dans les années 1990, en Belgique, Marc Dutroux est l’auteur de multiples viols et de meurtres sur des enfants et des adolescentes. L’homme a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
D’une voix fluette, il a encore du mal à avouer son attirance pour les enfants. Par peur de repasser à l’acte, l’étudiant a opté pour une solution radicale à ses 18 ans. « J’ai pris des castrateurs chimiques. Je me suis dit : " Il ne faut plus que des enfants souffrent. " » Il est toujours attiré par les mineurs mais se déclare "pédophile abstinent". Il reconnaît que son arrestation lui a évité de faire davantage de mal. Au quotidien, Sébastien évite toute proximité avec les mineurs : « Si par malheur je suis dans un environnement avec des enfants, un parc, une école, j’essaie de m’éloigner. » Même pour les fêtes de famille, Sébastien fait attention à ne pas être à leur contact et doit affronter la méfiance de ses proches. À 24 ans, l’étudiant est désorienté. Il n’arrive pas à laisser derrière lui son passé. « Je m’en veux cruellement du mal que j’ai fait, j’ai du mal à me regarder dans la glace. Je sais déjà que je ne pourrai pas être père. »
La réinsertion d’Éric*, condamné pour viol sur mineur à douze ans de réclusion criminelle, fait figure d’exception. Il a pu compter sur sa famille pendant sa détention puis à sa sortie de prison. Il a aussi retrouvé un emploi grâce à la confiance de ses anciens collègues. Mais à l’évocation d’une anecdote, il laisse transparaître sa colère. « J’ai eu un clash avec des personnes que j’avais rencontrées. Je m’étais lié d’amitié avec leur fils et ils ont appris que j’ai été condamné pour ça. Ils ont rompu tout contact. »
Castrateur chimique
Traitement médicamenteux qui réduit la libido. Il n’est pas définitif, les désirs sexuels reviennent dès l’arrêt du traitement.
Pédophile abstinent
Attirance sexuelle d’un adulte pour un mineur. Les adolescents de 16 à 18 ans sont aussi considérés comme des pédophiles s’ils sont attirés par des enfants plus jeunes d’au moins cinq ans. Les pédophiles abstinents ne passent pas à l’acte.