Full metal pompier
Intervenir sur une « tuerie de masse » ne va pas de soi pour les sapeurs-pompiers. En s’engageant, ils ont accepté de se confronter aux accidents routiers meurtriers, de lutter contre des flammes dévastatrices ou d’affronter une catastrophe industrielle. La menace terroriste s’est récemment ajoutée à la liste des potentielles interventions. En coulisses, certains acceptent difficilement les risques qui en découlent.
« La vraie question dans la formation, ce n’est pas tant de mettre un gilet, c’est d’accepter de le mettre », concède le lieutenant-colonel Pierre-Jean C., responsable de l’Ecole départementale d’incendie et de secours (Edis) du Bas-Rhin. Depuis octobre, les 350 sapeurs-pompiers professionnels de l’Eurométropole de Strasbourg se forment progressivement à l’extraction de victimes lors d’une attaque à l’arme à feu.
Le Grex – Groupe d’extraction - semble, à première vue, rassurer dans les rangs. Tous répètent les manœuvres sans sourciller les jours d’exercice. Car depuis la vague d’attentats de 2015 et 2016, la menace terroriste s’est concrétisée dans les casernes. Le rôle de ce maillon essentiel de la chaîne a évolué : les sapeurs-pompiers deviennent un service concourant, sous l’autorité de la police ou de la gendarmerie. Les équipes déployées sur le terrain sont chargées d’extraire les personnes blessées, au plus proche de la zone de tirs, escortées par les forces de l’ordre.
« Ça fait partie de nos nouvelles missions », témoigne le sergent-chef Cédric W. à la sortie d’un exercice. « On n’est pas formé pour ça au départ mais on est obligé de s'adapter et de collaborer avec la police. Il leur faut tout bonnement des bras et des jambes pour sortir les victimes », complète un sergent. Pour le responsable de l’Edis 67, le Grex ne suscite d’ailleurs « pas trop de mécontentement ».
Méthodes militaires
En coulisses pourtant, beaucoup émettent des réserves. La collaboration avec les forces de l’ordre, souvent absentes des formations, nécessite encore d’être travaillée. Ce jour-là, ce sont les stagiaires qui jouent les officiers de police. « Synchroniser les deux services n’est pas facile », explique le commandant Sébastien R. La période du marché de Noël n’arrange rien. Un exercice en situation « serait beaucoup trop compliqué à organiser », regrette-t-il.
La menace elle-même pèse sur le moral des troupes. Gilet porte-plaques, casque balistique, lunettes pare-éclats : les gestes et le matériel sont militaires. Les sapeurs-pompiers se préparent aux blessures de guerre mais s’exposent aussi aux balles perdues. Les conditions extrêmes sur place impliquent une gestion immédiate des nombreuses victimes à proximité de la zone, la distinction entre urgences absolues et urgences relatives, mais aussi de la réactivité.
« Les gens conscients, on les évacue. Les gens qui respirent mais qui sont inconscients, on est capable de les laisser. On va privilégier les gens qu’on est sûr de maintenir en vie. C’est un peu un tri, c’est dur... », témoigne Jean-Baptiste S., sapeur-pompier en formation au Centre d’incendie et de secours Ouest de Strasbourg. La situation peut aussi évoluer à tout moment. « On est prêt à ce qu'il se passe quelque chose mais pas une grosse catastrophe comme ça, on espère que ça n'arrivera pas », confie le sergent.
« Ils demandaient si c’était obligatoire, s’ils avaient le droit de refuser »
À sa création, le dispositif a suscité une levée de boucliers. « On s’est opposé surtout au niveau national. On nous demande de nous intégrer dans un dispositif de police, c’est pas notre métier », regrette Cédric Hatzenberger, secrétaire général FO Sdis dans le Bas-Rhin. « On ne fait que suivre les policiers [dans la zone] », rassure le commandant strasbourgeois Sébastien R. Irrecevable pour les syndicats. « On n’est jamais à l’abri d’un sniper, ou d’un autre terroriste oublié par la police qui nous tire dessus. Les pompiers ont peur que ça pète une seconde fois à l’arrivée des secours [...] Au niveau de l’équipement, par exemple, les boucliers ne sont pas aussi résistants que ceux de la police. Ils supportent les armes de poing, mais pas les armes de guerre. » Parmi les effectifs strasbourgeois, certains se sont tournés vers les organisations syndicales. « Ils demandaient si c’était obligatoire, s’ils avaient le droit de refuser, s’ils auraient le droit de refuser une fois sur place. Mais ça a fini par être accepté par une majorité. »
Un constat partagé dans les départements voisins. Damien Frézé, secrétaire du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels et personnels administratifs, techniques et spécialisés (SNSPP-PATS) en Meurthe-et-Moselle, a suivi le Grex cette année. Il souligne « un problème d’éthique ». « A la base, on n’a pas signé pour être exposés au feu d’une kalachnikov. » Comme beaucoup de ses confrères, il se résout à l’évolution du métier : « D’un point de vue déontologique, on ne peut pas refuser de se former à ce risque et à partir sur ce type d’interventions. »
Le « damage control »
Les mutations du métier touchent également les volontaires. Les procédures de secours intègrent progressivement le « damage control’ » : l’objectif n’est plus de sauver mais de limiter les dégâts. Les sapeurs-pompiers prodiguent les soins minimum pour assurer la survie de la victime, sans assurer plus de traitements. Chez les sapeurs-pompiers volontaires, la menace terroriste pèse lourd. Eux aussi peuvent être amenés à intervenir en cas d’attentat. « On sait que ça risque de tomber, donc autant s’y préparer », résume Clément M., SPV de 21 ans. Outre la pression psychologique, ces entraînements exigent des heures supplémentaires, ajoutées à un volume déjà lourd et contraignant. « C’est un risque de désistement. Les formations, c’est déjà beaucoup de week-ends en moins. Personne n’a râlé pour celle-là, parce qu’elle est importante », relativise Caroline G. La SPV engagée dans le nord de l’Alsace depuis trois ans s’interroge pourtant. « On s’entraîne avec du matériel qui coûte une fortune donc on fait semblant de s’en servir. C’est que de la comédie (…) On ne peut pas vraiment réaliser. Ça m’inquiète, j’ai vu des potes pompiers effondrés après le Bataclan. Ça m’effraie mais j’essaye de ne pas y penser. »
« Chacun doit rester à sa place »
Et tous les volontaires ne souhaitent pas être en première ligne. « On a été formés au secourisme, chacun doit rester à sa place […]. Ces formations ont un apport théorique, c’est pas inutile. Mais est-ce vraiment aux pompiers de faire ça ? Dans ce genre de contexte, il faut que ça soit des équipes plus spécialisées », commente un volontaire bas-rhinois. Pour cet ancien militaire, le dispositif ne s’adapte pas aux compétences de chacun. « S’ils ont jugé ça utile, c’est utile. Mais je pose la question de savoir si les intervenants de l’extraction doivent être les pompiers. »
Auberie PERREAUT avec Léa SCHNEIDER et photos Thomas PORCHERON
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