Le poker requiert un véritable savoir-faire. Pour l’acquérir, les joueurs font appel à des coachs, analysent leurs données statistiques ou, à défaut, créent leurs propres outils.
Par Manal Fkihi et Marylou Czaplicki
15 heures, un après-midi de décembre. Max Keane alias Maxence joue en live sur Twitch. Douze tables de poker s’affichent sur l’écran. Le Dunkerquois clique à une vitesse folle tout en répondant aux questions sur le chat. Depuis cet été, cet assistant commercial, joueur de poker amateur, diffuse ses parties et délivre des cours via la plateforme de discussion Discord. Le poker s’apprivoise et se travaille. Beaucoup d’amateurs sont prêts à payer pour s’offrir les conseils d'un professionnel. C’est le cas d’Hamza, 28 ans. “Je stagnais tout seul, j’avais l’impression que je ne faisais pas partie du milieu du poker”, confie cet ancien employé dans l’événementiel. Arrivé à 8000 euros de pertes au poker, il a sollicité l’aide de Frédéric, créateur de StopMyBroke, pour quatre mois de coaching à 800 euros. En un an, Hamza a réalisé 20 000 euros de gains. Le jeu fascine et le coaching en ligne est en plein boom.
Après avoir prodigué ses conseils pour le youtubeur YoH Viral qui l’a embauché en 2018, Frédéric a lancé son propre groupe de travail sur Discord avec sept autres coachs. L’équipe de StopMyBroke accompagne les joueurs dans leur évolution. Il ne s’agit pas seulement de donner quelques ficelles à des débutants, mais bien de les amener à maîtriser leurs parties : “Il faut apprendre aux joueurs qu’on encadre à profiler leurs adversaires : ceux qui sont plutôt agressifs, ceux qui ont peur et qui abandonnent les coups”, énumère Frédéric. L’occasion, aussi, d’aborder les notions clés, comme le bankroll management, ou comment ne pas perdre compulsivement son argent. “Il faut avoir un compte bancaire dédié au jeu et déterminer un pourcentage à investir, de 0,1 % à 10 %, selon le tournoi”, explique le coach qui encadre douze joueurs. Tout un savoir-faire et une discipline à acquérir pour devenir expert.
© Killian Moreau
De plus en plus de joueurs amateurs s’offrent les conseils de coachs en ligne.
“Maintenant, j’arrive à me poser les bonnes questions lors de mes parties et je comprends les bases de la théorie, affirme Hamza, mais le plus important, c’est le mental.” Comme chez les sportifs. Le joueur amateur a investi 200 euros dans du coaching mental : “Il est indispensable de se construire un moral en béton armé si on veut enchaîner les parties et accepter la part de chance dans le jeu. Le poker est très éprouvant psychologiquement.”
“Il y avait des tableaux de chiffres dans tous les sens” En 2005, Denis Rivas est joueur de poker amateur. Avec ses amis, il s’amuse à faire des parties en ligne. Pour s’améliorer, il se dit qu’il va analyser ses données. C’est la douche froide : “Il y avait des tableaux de chiffres dans tous les sens, quelque chose d'inaccessible sans expérience. Je me suis dit 'Purée, tu es informaticien et tu ne comprends pas.'” Cinq ans plus tard, il fonde Xeester, le premier tracker grand public. Depuis, 60 000 personnes utilisent ce logiciel au prix de 10 à 50 euros par an, selon les caractéristiques souhaitées. “Nous exportons l'historique des mains jouées pour en extraire les statistiques en temps réel, expose Denis Rivas. Il y en a 500 différentes. Cela permet aux utilisateurs de marquer le comportement de l'adversaire et de retrouver ces informations lorsqu’ils rejoueront contre lui.” Avec un tracker, les joueurs peuvent ainsi repérer leurs points forts et points faibles, comme ceux de leurs concurrents.
Lire et échanger pour progresser
Pour d'autres joueurs, c’est la connaissance qui prime. Artisan dans le bâtiment et passionné depuis une vingtaine d’années, Patrice Valenti a lu plus de vingt ouvrages sur les techniques de programmation neurolinguistique (PNL) pour améliorer son jeu de poker. “Grâce aux PNL, je connais la signification des comportements. En live, si je stresse parce que je bluffe, cela peut se traduire sur mes mains. En ligne, on va analyser la vitesse de clics pour déterminer le profil du joueur ; on parle de ‘betting patterns’”, décrypte le quinquagénaire. Surtout, il aime se référer aux conseils d’un ami plus expérimenté que lui. En direct ou via des partages d'écran, “on se regarde jouer pour apprendre de l'autre, raconte-t-il. Nous faisons des debriefings psychologiques et techniques.”
Un travail d’équipe nécessaire pour échanger sur les mains. Les 80 membres du Poker Club Strasbourg Alsace viennent avant tout chercher le partage, dans un lieu où s’exerce une certaine forme de mentoring. “Si une personne a plus d’expérience et de technique, elle va donner des conseils à une autre pendant la pause”, relate Cédric Debusschere. Là-bas, les pratiquants travaillent leur concentration pour remarquer les habitudes des joueurs, et leur mémoire pour retenir les mains. Sans risquer d'y laisser leur chemise : seuls les 20 euros de cotisation par personne sont joués chaque année.
Le forum de coteur.com regorge de conseils en paris sportifs. Alors avant de miser, Benjamin*, passionné de sport, vient comparer ses analyses de matchs aux pronostics publiés sur le site de paris : “Pour avoir une chance de gagner, il faut connaître les équipes, leur composition, l’enjeu de la rencontre...” Des analyses, Loïc Chaoudour, à la tête de coteur.com, doit en écrire une quarantaine par semaine. Souvent “directement après la fin d’une rencontre”. C’est comme ça qu’il a progressé : en prenant des notes sur tous les joueurs, toutes les parties. D’abord pour parier lui-même, puis pour conseiller. Plutôt que de regarder les statistiques des performances d’une équipe sur les 15 dernières années, il se penche sur des éléments “que le bookmaker n’irait pas forcément chercher”. David Tennerel, ancien joueur de poker professionnel, se base aussi sur les erreurs des bookmakers pour délivrer des conseils sur son blog Parieur-Pro. Mais pour aiguiller au mieux les joueurs et les 300 membres de son club privé, il a choisi de miser sur les mathématiques, l’intelligence artificielle et les statistiques. Un moyen de contrer la variance sur le long terme, cette part aléatoire dans le jeu. “Notre travail consiste à miser sur des cotes mal ajustées. Le bookmaker va dire que telle équipe a une chance sur deux de gagner. Nous, on va juger que c'est plutôt deux sur trois. La cote va être trop haute chez le bookmaker, donc on va miser dessus et générer des gains sur le long terme”, vulgarise le Nantais.
* Le prénom a été modifié
Gratter sans sa pièce porte-bonheur ? Même pas en rêve ! Professeur de sport, pompier ou intérimaire, ils jouent toujours les mêmes numéros sans jamais se séparer de leur objet fétiche. Ces rituels portent-ils vraiment chance ?
Jour de chance
Chasser le mauvais oeil, les pensées obsessionnelles ou provoquer le hasard : Florence a un fétiche pour chaque situation.
© Marylou Czaplicki et Manal Fkihi
Objet porte-bonheur
Une grenouille porte-bonheur qui l’accompagne partout, c’est la recette de Franck pour attirer la bonne fortune.
© Marylou Czaplicki et Manal Fkihi
Numéro fétiche
Nicolas joue toujours les chiffres d'une date qui lui est chère. Une façon comme une autre de provoquer sa chance.
© Marylou Czaplicki et Manal Fkihi
Vous avez dit hasard ?
Peut-on réellement forcer le hasard ? Le mathématicien Nicolas Gauvrit s'intéresse de près à notre compréhension de l'aléa.
© Marylou Czaplicki et Manal Fkihi