Le hasard sous bonne garde

Derrière les rangées d’imposantes machines à sous posées sur la moquette de nombreux casinos français, se cachent des coulisses réglementaires complexes. De leur construction à leur exploitation, la vie de ces appareils est régie par de nombreux textes tatillons.

Par Alix Woesteland

“Dans le passé, le monde du casino n’était pas très vertueux. Mais avec la réglementation d’aujourd’hui, il n’y a pas d’établissement plus droit”, sourit Michel Reita, directeur technique chez Ludi SFM, l’une des huit entreprises à fournir les casinos français en machines à sous. Cette réglementation, il la connaît bien : il supervise depuis une dizaine d’années les techniciens qui interviennent sur ces appareils, avant et après leur vente aux casinos. “Je ne lis pas la réglementation tous les jours mais presque, raconte-t-il. Dans le monde des casinos, il faut être en permanence au courant de ce qui se passe, légalement parlant.”

“Les casinos sont soumis à un régime dérogatoire, explique Thibaut Villemagne, chef de la section des casinos au Service central des courses et jeux (SCCJ). Dans le code de la sécurité intérieure, l'article qui définit les jeux d’argent et de hasard pose un principe général d’interdiction. À ce principe, s’ajoute une série d’exceptions, pour les casinos ou les paris sportifs par exemple.” En France, les casinos sont ainsi les seuls établissements dans lesquels la présence de machines à sous est autorisée. 

Un impact législatif “assez lourd”

Les machines installées dans les casinos français doivent respecter plusieurs critères techniques, mais aussi esthétiques : “Les sémaphores (les leds au-dessus de l’écran de jeu, NDLR), par exemple, doivent obligatoirement être verts, rouges et jaunes, dans un ordre précis, explique Michel Reita. Mais si on va aux États-Unis par exemple, ils seront bleus et blancs.” Un casse-tête pour les fabricants qui doivent se plier à des réglementations variables d’un pays à l’autre. “L'impact législatif sur notre travail est assez lourd, confie Julien Miecret, développeur chez Gaming1, une société belge qui conçoit des bandits manchots vendus dans huit pays européens. Il faut prendre en compte l’endroit où va partir la machine. Si elle existe déjà en Belgique mais que je veux ensuite l’exporter en France, je dois la modifier pour respecter les contraintes de la France. À chaque fois, ça fait beaucoup de développement et de réflexion en plus.” 

L’installation des machines est également très encadrée. Elles ne peuvent pas être posées n’importe où : elles doivent respecter un plan, transmis au préalable par le casino au SCCJ. Et leur nombre est également soumis à conditions : “Pour 50 machines à sous, un casino doit aussi proposer au moins un jeu de table, précise Thibaut Villemagne. C’est plus sympa pour le joueur, ça permet d’éviter d’avoir juste des grands hangars, sans animation et sans vie.”

© Lola Breton

Les machines à sous sont remplacées tous les cinq ans environ, pour éviter qu’elles ne deviennent obsolètes.

Une fois installée par la société de fourniture et de maintenance (SFM) qui l’a vendue, la machine doit être vérifiée par cette même entreprise tous les 120 jours au maximum. “Les SFM ont un rôle particulier, parce qu’elles ont à la fois une casquette de commerçant et de police”, analyse Michel Reita. Les techniciens SFM sont les seuls à pouvoir accéder à l’algorithme qui constitue le cœur de l’appareil, grâce à des clés qu’eux seuls détiennent. “Même si les machines sont en général très saines, il faut un suivi quotidien, avec un entretien préventif du parc très régulier pour éviter qu’elles ne tombent en panne, indique Frédéric Bouschon, le directeur du casino de Vals-les-Bains (Ardèche). On relève souvent les compteurs des machines pour s’assurer que tout fonctionne correctement, qu’il n’y a pas de défaillance.” Sinon, il est contraint de demander à la SFM d’intervenir. Toutes ces précautions sont prises afin d’éviter que le propriétaire ne truque ses appareils.  

Apprendre sur le tas

“Tous nos actes reflètent quotidiennement la réglementation des jeux, expose Frédéric Bouschon. On répète régulièrement l’importance du respect de ces normes aux personnels et aux membres du comité de direction. Ces règles font partie d’une logique quotidienne, elles doivent devenir naturelles pour eux.” Pourtant ces normes ne sont pas toujours faciles à appréhender. Côté créateurs, Julien Miecret explique : “Quand on arrive dans l’entreprise, on n’est pas formés au règlement. On apprend sur le tas, en lisant des PDF, ou grâce aux rapports qui résument après coup ce qui est en règle ou pas sur les machines.” Un manque de formation qui semble aussi toucher les agents de l’État chargés du contrôle, selon Thibaut Villemagne. “Depuis quelques années, il y a un déficit de connaissances et de personnel, qui nous contraint parfois à faire des visites de casino sans vérifier la conformité du parc de machines à sous”, regrette-t-il. Une observation que confirme le fournisseur Michel Reita : “Il arrive que l’on doive travailler avec des policiers qui n’ont pas d’expérience dans les casinos et qui méconnaissent un peu la réglementation.”

© Lucie Caillieret

Pour toute modification du parc de machines à sous, un casino doit envoyer une déclaration 15 jours avant au Service central des courses et jeux.

De son côté, Frédéric Bouschon, le directeur du casino de Vals-les-Bains, vient tout juste de suivre une formation d’une semaine sur la question. “C’est un métier que je ne connaissais pas quand j’ai commencé il y a 23 ans et que je dévore au quotidien, même s’il est très prenant et chronophage, relate-t-il. Cette formation mise en place par mon entreprise me permet de repotasser un peu la réglementation, et de voir les choses sous un autre angle, en évoquant des points qui n’étaient pas forcément abordés dans le passé, le tout en compagnie d’un ancien représentant des courses et jeux.” L’encadrement des jeux électroniques est le grand sujet du moment. “La discussion porte en partie sur la mise en place de quotas de jeux électroniques, dévoile Thibaut Villemagne. Mais pour l’instant, aucune règle précise n’a été décidée.” 

© MMI Haguenau