Le PMU forcé à changer d'allure

Le légendaire Grand Prix d’Amérique devient Prix d’Amérique Races ZeTurf. La plus grande course de trot au monde est, pour l’édition 2020, sponsorisée par le concurrent du PMU online. Le partenariat concerne les grandes compétitions du meeting d’hiver de Vincennes qui se tient du 28 octobre au 6 mars. Un premier contrat signé entre la société de Trot et ZeTurf qui suscite le débat au sein de la filière des courses hippiques. Explications.

Par Leïna Magne et Philippine Oisel

© Léna Romanowicz

Les courses hippiques représentent 28% des emplois de la filière du cheval (environ 18000 personnes).

De persona non grata à sponsor d’un des plus prestigieux évènements hippiques au monde : ZeTurf a bien changé en dix ans. L’opérateur, auparavant interdit d'activité en France, est devenu le principal concurrent du PMU grâce à l’ouverture à la concurrence des paris en ligne.

" Le PMU, c’est notre oxygène "

Cette situation inquiète certains professionnels de la filière. Dans une lettre écrite au président du Trot, Jean-Pierre Barjon, ils expriment leur incompréhension face à la grande visibilité accordée à une entreprise “concurrente du PMU”, l’acteur historique. Même si l’opérateur Zeturf s’est engagé à 6,7 % des mises des parieurs, les signataires du texte redoutent une fragilisation de l’ensemble du secteur du cheval.

En effet, la filière équine est en France largement financée par les recettes du PMU grâce à un système avantageux de redistribution d’une partie des mises aux sociétés de courses (voir infographie). Jean De Chauvigny, président du Fonds Eperon créé en 2005 pour financer des projets innovants dans la filière équine, reconnaît que “ le PMU, c’est l’oxygène ” des professions des courses.

Cet oxygène vient pourtant à manquer. Entre 2011 et 2018, les mises sur les courses ont diminué de plus de 2 milliards d’euros, fragilisant considérablement la filière hippique. La baisse du chiffre d'affaires du PMU a directement impacté les sociétés de courses. “Toutes les économies de gestion possibles ont déjà été faites : sur les hippodromes, les centres d'entraînement, la formation des apprentis et également via une réduction du personnel au PMU”, explique Jacques Chartier, ancien directeur technique du Trot. Pour la première fois, les sociétés de courses ont dû réduire les prix alloués aux chevaux les mieux classés sur les courses. Une économie estimée à 26 millions d’euros. Le choix de baisser directement les allocations se répercute sur l’ensemble de la filière et a “les conséquences les plus graves” selon Jacques Chartier. À titre d’exemple, Stéphane Meunier, président du Syndicat des entraîneurs, jockeys et drivers de trot, et lui-même entraîneur, n’a pu renouveler les contrats de ses quatre salariés.

© MMI Haguenau

2010, le PMU perd son monopole

Une situation à laquelle n’est pas étrangère l’ouverture à la concurrence des paris en ligne. Jusqu’en 2010, seuls la Française des Jeux et le PMU étaient autorisés à proposer des paris sur internet. Avec la libéralisation des jeux d’argent et des paris sportifs en ligne, la concurrence pour le PMU devient double : de nouveaux opérateurs proposent des paris hippiques en ligne, et les paris sportifs explosent auprès des jeunes, qui se détournent des courses de chevaux. Le milieu des courses hippiques est, par ailleurs, confronté à un vieillissement du public. Selon une étude réalisée en 2016 par Pierre Martignoni, sociologue à l’université Lumière Lyon 2, seulement 1,3 % des turfistes pariant en ligne ont entre 18 et 25 ans. Et 76 % des parieurs sur les courses ont plus de 45 ans.

Choisir ZeTurf est une “question d’image plutôt que d’argent”, selon Jean d’Indy, ancien vice-président de France Galop. Aujourd’hui, le PMU concentre 80 % des enjeux hippiques sur internet – 1,1 milliard d’euros de mises sur une année – tandis que Zeturf, son challenger, comptabilise 250 millions d’euros d’enjeux par an. Jean d’Indy, proche du fondateur de Zeturf, est convaincu que l’opérateur arriverait à toucher un public plus jeune en renouvelant l’offre à l'avenir, notamment grâce au live-betting, le pari en direct pendant les courses.

Signataire du premier partenariat avec Zeturf pour le Grand-Steeple Chase de Paris en 2019, il considère que l’opérateur en ligne n’est pas une cible à abattre. “Il ne faut pas plomber ZeTurf – au contraire – plus il ouvre de comptes sur les paris hippiques, mieux on se porte. Il faut avant tout convaincre les gens de jouer sur les chevaux plutôt que sur le football. Il est là notre vrai challenge.”

Tout n’est pourtant pas perdu

Face à la concurrence de Zeturf, le PMU a investi depuis deux ans 30 millions d’euros pour sa modernisation. Au programme : lancement de nouveaux jeux, recentrage sur les clients fidèles, développement du numérique. L’entreprise a choisi de digitaliser ses points de vente et mettre à jour l’application mobile qu’elle propose. Une rénovation des hippodromes est également en cours, afin de rendre ces lieux plus accueillants au public.

Pour séduire une clientèle étrangère, le PMU multiplie également les partenariats internationaux, qui permettent aux joueurs étrangers de parier sur les courses françaises et aux Français de miser sur des courses à l’étranger. En 2018, ceux-ci se chiffraient à plus d’un milliard d’euros, soit 9 % du chiffre d’affaires du PMU.

C’est le moment où jamais pour l’entreprise de se remettre en selle. Surtout que le PMU conserve le monopole sur les paris en dur. Après des années de baisse des enjeux, le groupe a réalisé “le meilleur été de son histoire”, a récemment annoncé son président Cyril Linette dans une interview au Parisien. Au total, les Français ont misé plus de 2 milliards d’euros sur la période.