A Blotzheim, c'est le casino qui régale !

Les casinos font le bonheur des gagnants, mais aussi des communes qui les accueillent. Qu’elles soient balnéaires, thermales ou climatiques, ces villes bénéficient de retombées économiques grâce aux taxes et aux emplois créés. Blotzheim, dans le Haut-Rhin, accueille depuis 2008 un casino de l’enseigne Barrière. Un pari gagnant au regard de la clientèle en hausse constante mais qui ne convainc pourtant pas l’ensemble des habitants.

Par Juliette Fumey

Autoroute A35 direction Bâle, sortie aéroport Bâle-Mulhouse. La route qui mène à Blotzheim longe le tarmac où stationnent des avions en partance pour toute l’Europe. Au loin, on distingue les cheminées d’un groupe d’usines pharmaceutiques et chimiques. Après quelques kilomètres sur la départementale 201 au milieu des champs, des trèfles à quatre feuilles et des immenses panneaux publicitaires du groupe Barrière se dressent sur le premier rond-point. Ils annoncent la présence d’un casino à Blotzheim. Ou plutôt sur les hauteurs de la commune, 777 allée du Casino. Le bâtiment aux lignes épurées et modernes détonne un peu au milieu des parcelles cultivées, à côté du château d’eau.

En plein confinement, le site est désert. L’immense parking, agrandi trois fois, est désespérément vide. Il accueille pourtant 360 000 visiteurs à l’année. Le casino de Blotzheim est le deuxième de France en termes de produit brut des jeux (le PBJ est la différence entre les mises des joueurs et les gains versés aux gagnants), avec plus de 50 millions d’euros engrangés sur l’année 2019.

© Juliette Fumey

Le casino de Blotzheim compte un restaurant, un café et une salle de spectacle distincts de la salle des jeux. Une condition imposée par le cahier des charges de la commune.

Mais ces résultats ne sont pas vraiment une surprise. Depuis 2008, le casino, par son emplacement stratégique à la frontière de l’Allemagne et de la Suisse, attire une clientèle d’étrangers, mais aussi de travailleurs frontaliers, au pouvoir d’achat élevé. Un jackpot alors même que le casino concurrent de Bâle, ouvert cinq ans plus tôt, n’est implanté qu’à cinq kilomètres à vol d’oiseau. “On se différencie de Bâle parce qu’on a un restaurant, un café, et une salle de soirées qui sont distincts de la salle de jeux, et qui peuvent accueillir des familles. Bâle va chercher une clientèle qui a plus de 18 ans, même pour le restaurant”, justifie Laëtitia Nespola, directrice marketing et commerciale de l’établissement.

Avec l’arrivée de ce temple du jeu, la commune de 4500 habitants a tiré le gros lot. À l’instar de n’importe quelle ville qui possède un casino, Blotzheim peut prélever entre 5 et 15 % de son PBJ. “On a choisi 15 %, on a pris le maximum, forcément”, sourit Jean-Paul Meyer, maire depuis 2001. En 2019, la commune a perçu 6,8 millions d’euros du casino.

Financer la vie associative, culturelle et sportive

Mais ce pactole ne tombe pas tout entier dans les caisses de la commune : 75 % en ressort immédiatement pour financer le Syndicat intercommunal à vocation unique, le Sivu, qui regroupe Blotzheim, Saint-Louis et Mulhouse. “On est la seule ville de France qui partage les revenus de son casino. Dans les autres, le syndicat ne concerne que la commune qui accueille l’établissement. Mais c’était une décision politique de mon prédécesseur”, souligne Jean-Paul Meyer.

© MMI Haguenau

Répartition du prélèvement communal entre le Sivu et Blotzheim.

Le Sivu contribue au développement et à l’amélioration de la vie associative, de l’offre culturelle ou de loisirs des trois communes, qui partagent la somme en trois parts égales. À Blotzheim, les ressources du Sivu ont permis de financer la Maison des associations. “Ça faisait des années qu’on essayait d’avoir une salle de gym, souligne Joseph Lang, président du club de gymnastique Union. Avant on était dans le palais Beau Bourg (complexe contenant la salle des fêtes et une salle de sport, NDLR), on avait des agrès à monter et démonter à chaque fois. Alors on s’est battu pour avoir notre salle à agrès fixes dans la Maison des associations. On a pu accueillir beaucoup plus de monde”, se réjouit-il. Le club est passé de 80 à 450 adhérents, et a créé deux emplois. Au total, ce sont une dizaine d’associations, dont un club de poker, qui bénéficient d’un local dans ce gros bloc orange, qui se tient juste à côté de l’immense palais Beau Bourg.

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La Maison des associations accueille une salle de gymnastique de 200 m², une salle des fêtes et des locaux pour une dizaine d’associations.

À l’autre bout de la ville, un nouveau stade de football, avec deux terrains, a aussi été financé à hauteur de 80 % par le Sivu, pour un coût total de 6,6 millions d’euros. Un soulagement pour Michel Mangin, coordinateur technique du club : “L’ancien stade était très vétuste et on avait les pieds dans la boue, c’était compliqué de jouer. Maintenant on peut faire évoluer les joueurs.”

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Le nouveau stade propose deux terrains, dont un synthétique pour jouer toute l’année

Les bienfaits du casino se ressentent clairement auprès des sportifs et des acteurs de la vie associative, pas toujours auprès des habitants. Les rares passants croisés dans Blotzheim en témoignent : “Ah oui, sûrement que ça aide la commune, mais comment, je ne sais pas”, “je ne suis pas sûr que l’argent du casino serve à refaire les routes”, “mais la commune n’a pas le droit de faire ce qu’elle veut avec l’argent.” Pourtant chaque année, la ville conserve un quart des recettes provenant du casino. Le maire préfère dire qu’il ne reste “que” 25 % de ces revenus. Ce qui représente tout de même 1,7 million d’euros pour l’année 2019. Une somme que la commune affecte à des travaux de voirie, à la réhabilitation ou à la rénovation de son parc foncier.

“Je n’en vois pas vraiment les effets”

Mais cette manne financière n’est peut-être pas assez visible pour certains habitants comme Marie-Claude Jordan, ancienne présidente de l’association des commerçants, et fleuriste. ‘‘On nous a présenté le casino comme une source de richesse pour la commune, mais je n’en vois pas vraiment les effets. Je m’attendais à voir un embellissement, avec par exemple de belles illuminations pour Noël. Quand je vais à Évian ou à Aix, on voit qu’il y a un casino. Je ne dis pas qu’il faut que ça soit Las Vegas, mais on pourrait en faire un peu plus. C’est dommage.”

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Très peu des clients du casino passent par le centre de Blotzheim. La majorité y accède directement depuis la sortie d’autoroute.

Il est vrai que le centre de Blotzheim ressemble somme toute à n’importe quel centre-ville de petite commune. Et les joueurs ne risquent pas d’affluer dans les commerces puisque l’établissement a été construit à l’extérieur de la ville. Une grande allée, bien décorée, permet d’y accéder sans passer par le bourg. L’emplacement a été choisi pour éviter le trafic dans le centre, surtout quand on sait qu’une soirée au casino peut attirer jusqu’à 1500 personnes. À l’époque, certains riverains s’étaient inquiétés via des pétitions d’un trafic routier problématique, ou encore d’un risque d’augmentation de la délinquance.

Un casino premier employeur de la commune

La municipalité, elle-même divisée sur le sujet, avait rassuré les habitants et avancé la perspective de création d’emplois comme argument en faveur de l’implantation du casino. Croupiers, hôtesses d’accueil, cuisiniers, ou encore gestionnaires, douze ans plus tard le casino emploie 176 personnes, mais très peu de Blotzheimois. L’établissement recrute des germanophones, mais “ceux qui parlent allemand préfèrent aller travailler en Suisse. Certains jeunes me disent ‘pourquoi je vais travailler en France alors que je gagne trois fois plus de l’autre côté de la frontière”, explique Laëtitia Daguet, chargée des relations avec les entreprises à la mission locale de Saint-Louis, qui a travaillé quelque temps avec le casino. L’établissement de jeux reste quand même un “acteur important dans le secteur” pour la mission locale, et le premier employeur de la commune.

S’il ne fait pas l’unanimité, le casino permet à Blotzheim de prendre une petite revanche sur l’Histoire. En 1958, la commune était passée à côté de l’occasion d’avoir l’aéroport sur son territoire, suite au rattachement de son hameau Blotzheim-la-Chaussée à Saint-Louis.

Comment Blotzheim a-t-elle pu accueillir un casino ?

Toutes les villes ne peuvent pas accueillir de casino. La loi de 1907, qui encadre la construction des casinos, ne l’autorise que pour les stations balnéaires, thermales ou climatiques. En 1988, une nouvelle loi vient assouplir cette contrainte et étend ce droit aux villes, centres d’agglomération de plus de 500 000 habitants, classées touristiques et qui contribuent pour plus de 40 % au fonctionnement d’un centre dramatique national, d’un orchestre national et d’un théâtre. Pour être classée ville climatique, Blotzheim devait donc répondre à des exigences en termes de qualité de l’air. Mais de prime abord, rien ne laissait présager que l’air y soit particulièrement plus pur qu’ailleurs. Blotzheim voisine les usines de chimie et de pharmaceutique suisses et allemandes, et est mitoyenne de l’EuroAirport. Déjà en 1988, l’académie de médecine rendait un avis nuancé sur la classification de Blotzheim en station climatique, suite à une demande de Pierre et Vacances. Le groupe souhaitait y installer un village vacances avec casino. Face au blocage de certains agriculteurs qui refusaient de vendre leurs parcelles, le projet avait été abandonné. La demande de reconnaissance en station climatique a par contre été reconduite. En 1994 la ville devient officiellement station climatique. Une classification dont l’ancien député-maire de Saint-Louis Jean Ueberschlag aime à raconter qu’elle a été rendue possible grâce à son intervention.

Jean Ueberschlag

© Juliette Fumey